Symbole du dévoiement de la science médicale au service d’une entreprise criminelle, le docteur Josef Mengele, « l’Ange de la Mort » d’Auschwitz, a été l’un des criminels nazis en fuite les plus recherchés des années 1970-1980, avant que l’annonce de sa mort en exil au Brésil en 1979 ne soit officiellement confirmée en 1985. Figure fantasmatique du savant sadique dans la culture populaire, inspirant nombre de films et de romans depuis les années 1970, le personnage historique est mieux connu depuis les années 2000 grâce à la découverte de nouveaux documents, comme l’album de photographies du commandant-adjoint d’Auschwitz, aujourd’hui conservé au Mémorial de l’Holocauste à Washington. En 2017, Olivier Guez publiait La disparition de Josef Mengele, captivant et éprouvant récit, fruit de trois ans d’enquête sur le parcours sud-américain du fugitif. Mi roman, mi document, son livre a été couronné par le succès public et critique.
Au scénario de cette adaptation, Matz (Le Tueur, Le Serpent et le coyote...) propose un découpage très respectueux de l’œuvre d’Olivier Guez, introduisant habilement, au fur et à mesure de la progression de l’intrigue, les éléments de contexte historique de l’affaire Mengele. Le récit commence avec le débarquement de l’ancien médecin SS en Argentine en 1949, avant qu’une série de flashbacks explique comment il a réussi à échapper aux recherches des alliés en travaillant comme ouvrier agricole dans une ferme. Il bénéficie de l’aide financière sans faille de sa famille, à la tête d’une grosse entreprise de construction d’engins agricoles. Une aide qui lui permet de s’offrir les services des filières d’exfiltration des criminels de guerre nazis et de leurs complices.
L’activité de Mengele dans le camp d’Auschwitz-Birkenau n’est que très rapidement évoquée au fil de l’album, à travers l’obsession du personnage pour « l’utilité historique » de ses sinistres expérimentations. Mengele ne s’est jamais repenti. Jusqu’au bout il est resté un national-socialiste endurci. En Argentine, il fréquente les cercles de survivants du IIIe Reich qui espèrent que de l’inévitable confrontation entre Américains et Soviétiques renaîtra le projet hitlérien d’ordre nouveau. La chute de Perón, la reprise des poursuites judiciaires contre les anciens nazis en Allemagne de l’Ouest, les succès militaires et diplomatiques de l’État hébreu les font vite déchanter.
Plus inquiet que ses amis, il est persuadé que s’il se fait attraper, c’est la corde qui l’attend, lui qui a participé directement à la « Solution finale » en triant les déportés à la sortie des trains. Il méprise les imprudents, comme Adolf Eichmann, alias Ricardo Klement, qui finit par se faire repérer. Enlevé par un commando israélien, ce dernier est jugé et exécuté à Jérusalem en 1962. Mengele redouble dès lors de prudence et, de plus en plus isolé, s’enfonce dans la paranoïa et le ressentiment à l’égard de ses « amis » et de sa famille.
Au dessin, Jörg Maillet nous offre de très belles planches, avec les grands aplats de noir qui constituent sa marque de fabrique. Les personnages sont bien campés, en premier lieu Josef Mengele, dont le regard constamment soupçonneux se laisse peu à peu envahir par les brûlantes lueurs de la folie. Les dessins pleine page qui rythment l’histoire traduisent bien l’effacement de l’homme dans un univers hostile qui devient progressivement le tombeau de sa raison. Le tout baigne dans une atmosphère très sombre, qui laisse place à une lumière éclatante quand le bourreau finit par mourir sans jamais avoir trouvé la paix. Le dessin de Jörg Maillet est servi par les remarquables couleurs de Sandra Desmazières dont il faut saluer ici le talent. Une excellente pioche pour Les Arènes !
Voir en ligne : présentation de l’album sur le site de l’éditeur
(par Paul CHOPELIN)
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La disparition de Josef Mengele – Par Matz (scénario), Jörg Mailliet (dessin) et Sandra Desmazières (couleurs) - D’après le roman d’Olivier Guez – Les Arènes BD – 2022 – 192 pages couleurs – 24,90 €