Perdu dans l’infini d’un désert de sable, Conan avance accompagné de Natala, une esclave à la beauté sauvage. Les réserves d’eau et de nourriture sont dorénavant épuisées et sous ce soleil de plomb, cela ne signifie qu’une chose : la mort. Tandis que les dernières forces de Natala l’abandonnent progressivement, Conan aperçoit au loin, vers le sud, une cité aux allures de mirage. C’est Xuthal.
À cet instant, elle symbolise la vie et le salut aux yeux des deux amants. Mais en pénétrant dans sa cour intérieure, le vide et le silence qui y règnent laissent présager du pire. Sur le sol, seul le corps d’un homme gît, froid et abandonné. Sans le savoir, Conan et Natala viennent de s’engouffrer dans la gueule d’un loup à la forme innommable : Thog, dieu de la mystérieuse et imposante forteresse.
Outre l’avantage de proposer une parution rapide, la succession des auteurs au sein de la collection de Conan le cimmérien lancée par Glénat permet de multiplier les interprétations artistiques et les adaptations graphiques. Cette fois, Christophe Bec et Stevan Subic sont à l’œuvre, un tandem qui nous avait déjà enthousiasmés lors de leur reprise de Tarzan chez Soleil.
On retrouve d’ailleurs toutes les caractéristiques qui avaient déjà fait mouche dans le graphisme du Tarzan. Notre héros est un monstre de chair et de muscles, impressionnant dans sa bestialité, au point que l’on voit à peine sa tête. Et surtout, le traitement des masses de noir fait progressivement monter la tension et l’horreur au fur et à mesure de la lecture.
Car cette nouvelle de Conan lorgne vers l’épouvante. On y retrouve d’ailleurs des références marquées à Lovecraft, comme nous le confirme Christophe Bec : « Il s’agit de la nouvelle de Conan la plus lovecraftienne, les deux écrivains avaient beaucoup échangé à ce sujet. Conan ressort à moitié mort de l’affrontement titanesque contre ce démon de l’ombre, la part de ténèbres de la civilisation décadente de Xuthal. Seul le lotus noir, qui agit comme la morphine, lui permet de surmonter la douleur. »
Les références graphiques de Subic parachèvent ce lien entre les univers mythiques. On discerne des influences tirées de Druillet, dans sa première époque, ainsi que plus généralement au sein des auteurs qui ont illustré Lovecraft. Bien entendu, les inspirations graphiques ne s’arrêtent pas là, et Stevan Subic se livre complètement dans chaque case, afin de provoquer un émoi graphique permanent auprès du lecteur.
« Pour dessiner cette ville crépusculaire, j’ai donné quelles références à Stevan, précise Christophe Bec. Les forteresses africaines comme la mosquée de Sankoré à Tombouctou ou le palais de Wa Naa, au Ghana. Des architectures atypiques, presque lovecraftiennes. Plus globalement, on retrouve chez Stevan l’héritage de Buscema, mais aussi de Métal Hurlant. C’est un dessinateur de cette trempe, un enlumineur, qui prend des risques graphiques et narratifs, et c’est tellement réjouissant dans l’uniformisation et la norme actuelle du style roman graphique proche du croquis. »
Le scénariste évoluant beaucoup dans le domaine de la frayeur et l’épouvante, il semblait donc l’auteur incontournable pour adapter cette nouvelle de Robert E. Howard. Ce n’est pourtant pas la seule raison qui l’a poussé à opérer ce choix. Comme il nous l’explique : « Jean-David Morvan et Patrice Louinet qui gèrent la collection m’avaient envoyé un petit panel de nouvelles restantes, qui n’avaient pas encore été adaptées. Je suis arrivé assez tard sur la collection, et c’est un peu moi qui ai forcé la porte. Conan avait marqué mes lectures d’adolescence, je tenais absolument à en faire un. J’ai choisi Xuthal immédiatement, c’est une de mes nouvelles préférées. Dans sa postface, Patrice explique qu’elle a été écrite juste pour l’argent, je m’en moque, c’est parfois dans la contrainte qu’on écrit les meilleures choses, c’est un des meilleurs récits d’Howard, le sous-texte est très fort, c’est pratiquement une ode au sado-masochisme, à la prise de drogue, c’est très subversif en fait… Et puis j’avais été marqué par l’adaptation de Master Buscema. »
En effet, le texte dispose d’un fort potentiel érotique, pas du tout aseptisé par les auteurs. Sans pouvoir le qualifier de sexuel, le récit s’en retrouve démultiplié. On peut le lire comme un récit d’Heroic Fantasy, puis d’épouvante, avant de prendre le pli de la nouvelle érotique et d’analyser le triangle amoureux qui se forme entre les protagonistes. Le tout est bouleversé par le monstre tapi sous la cité, une forme de la bestialité de l’homme lorsqu’il ne peut réfréner certaines pulsions.
« Thalis, cette femme qui les accueille à l’entrée de la ville, désire le cimmérien, explique le scénariste. Mais Conan reste fidèle à sa compagne, une esclave libérée. Thalis semble aussi attirée par les femmes… La scène du fouet est très suggestive, limite pornographique. Sans compter les tentacules du monstre Thog, qui sont comme des dizaines de pénis. C’est étonnant d’ailleurs que ce soit passé à l’époque. J’ai clairement appuyé ça dans mon adaptation, et rendu juste un peu plus voyant les sous-entendus. »
Toutes ces thématiques et ces prises de risques graphiques sont équilibrées par la composition des planches. Très allongées sur des double-pages lorsque la torpeur du désert assomme Conan et sa compagne, avant de passer progressivement à la verticalité, lorsque le récit s’accélère. Jusqu’à prendre de pleines pages pour dévoiler l’innommable !
En définitive, Xuthal la crépusculaire est une excellente adaptation, à savourer dans sa version normale ou en grand format noir et blanc pour les amateurs. Un album démontre qu’après 13 tomes, la série n’a rien perdu de sa force, ni de sa pertinence, donnant l’occasion à toute une génération d’auteurs de montrer toute l’étendue de leurs talents. On en redemande !
Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.
(par Charles-Louis Detournay)
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