Le FIBD d’Angoulême a dévoilé sa sélection des titres de bande dessinée en compétition pour la 43e édition de son festival : quarante albums dans la sélection officielle, dix dans la sélection jeunesse, sept pour la sélection patrimoine et cinq pour le Prix Polar-SNCF. Une analyse un peu plus fine de cette sélection laisse ressortir, outre le clivage traditionnel qui favorise les petits labels éditoriaux, une tendance très nette à solliciter les titres du domaine étranger, une tendance qui est aussi celle de la production éditoriale dans l’Hexagone.
Un comité de sélection composé de journalistes, Juliette Salin, rédactrice en chef du "Monde des ados" , Nicolas Albert (La Nouvelle République du Centre-Ouest), Matthieu Charrier (Chef Adjoint Service Societe Culture d’Europe 1), d’un libraire, Charles Ferreira (Librairie Gibert Jeune), de Jean-Pierre Mercier, conseiller scientifique de la Cité de la bande dessinée et d’Ezilda Tribot, responsable de la programmation jeunesse au Festival d’Angoulême décide quels seront les 62 albums de bande dessinée, issus de la publication de ces derniers mois qui seront dans la compétition. Voici ce qui est sorti du chapeau :
- Ajin T1 par Gamon Sakurai & Tsuina Miura (Glénat)
Allo, Dr Laura ? Mémoires graphiques par Nicole J. Georges (Cambourakis)
L’Arabe du futur T. 2 par Riad Sattouf (Allary)
Arsène Schrauwen par Olivier Schrauwen (L’Association)
Carnet de santé foireuse par Pozla (Delcourt)
Catharsis par Luz (Futuropolis)
Cher Pays de notre enfance par Étienne Davodeau & Benoît Collombat (Futuropolis)
Chiisakobe T1 par Minetaro Mochizuki (Le Lézard noir)
Combats par Daniel Goossens (Fluide Glacial)
Doctors par Dash Shaw (Çà et là)
En Temps de guerre par Delphine Panique (Misma)
Esprits des morts & autres récits d’Edgar Allan Poe par Richard Corben (Delirium)
Est-ce qu’on pourrait parler d’autre chose ? par Roz Chast (Gallimard)
Une Étoile tranquille - Portrait sentimental de Primo Levi par Pietro Scarnera (Rackham)
La Favorite par Matthias Lehmann (Actes Sud)
La Fille de la plage T1 par Inio Asano (IMHO)
Fin par Anders Nilsen (Atrabile)
Hans Fallada - Vie et mort du buveur par Jakob Hinrichs (Denoël Graphic)
Hiver rouge par Anneli Furmark (Çà et là)
Ici par Richard McGuire (Gallimard)
Les Intrus par Adrian Tomine (Cornélius)
Joker par Benjamin Adam (La Pastèque)
Letter 44 T.1 par Alberto Jiménez Albuquerque & Charles Soule (Glénat Comics)
Megg, Mogg & Owl, T2 : Magical Ectasy Trip par Simon Hanselmann (Misma)
Mortelle vinasse par Mai-Li Bernard (The Hoochie Coochie)
Ms. Marvel T1 par Gwendolyn Willow Wilson & Adrian Alphona (Panini)
Murderabilia par Alvaro Ortiz (Rackham)
Nimona par Noelle Stevenson (Dargaud)
Outcast T1 par Paul Azaceta Robert Kirkman (Delcourt)
Un Père vertueux par Ludovic Debeurme (Cornélius)
Paci T3 par Vincent Perriot (Dargaud)
Le Piano oriental par Zeina Abirached (Casterman)
La Renarde par Marine Blandin et Sébastien Chrisostome (Casterman)
La République du catch par Nicolas de Crécy (Casterman)
Saga T4 par Fiona Staples et Brian K. Vaughan (Urban Comics)
Tel qu’en lui-même enfin par Killoffer (L’Association)
Tu mourras moins bête T4 par Marion Montaigne (Delcourt)
Tumultes par Hugues Micol (Cornélius)
Unlucky Young Men T1 par Kamui Fujiwara & Eiji Otsuka (Ki-oon)
Vive la marée ! par David Prudhomme & Pascal Rabaté (Futuropolis)
Alcibiade par Rémi Farnos (La Joie de lire)
Dad, T.1 : Filles à papa par Nob (Dupuis)
Le Grand Méchant Renard par Benjamin Renner (Delcourt)
Le Jardin de minuit par Edith, d’après Philippe Pearce (Soleil)
A Silent Voice T1 par Yoshitoki Oima (Ki-oon)
Tempête au haras par Jérémie Moreau & Chris Donner (Rue de Sèvres)
Ulysse Wincoop T1 par Benjamin Bachelier & Marion Festraëts (Gallimard)
Victor & Clint par Marion Duclos (La Boîte à bulles)
Violette autour du monde T1 par Stefano Turconi & Teresa Radice (Dargaud)
L’Insubmersible Walker Bean T1 par Aaron Renier (Sarbacane)
Barnaby par Crockett Johnson (Actes Sud / L’An 2)
Cette Ville te tuera par Yoshihiro Tatsumi (Cornélius)
Le Feuilleton intégral T11(1950-1958) par Hergé (Casterman)
L’Homme au landau et autres histoires par Jacques Lob (Cornélius)
La Maison aux insectes par Kazuo Umezu (Le Lézard noir)
Vater und Sohn/Père et fils - L’intégrale par E. O. Plauen (alis Erich Ohser) (Warum)
Simon du Fleuve - Intégrale 1 de Claude Auclair (Le Lombard)
- Inspecteur Kurokôchi T1 par Kôji Kôno Takashi & Nagasaki (Komikku)
Olympia par Bastien Vivès, Ruppert & Mulot (Dupuis)
Southern Bastards T1 par Jason Latour & Jason Aaron (Urban Comics)
Tungstène par Marcello Quintanilha (Çà et là)
Undertaker T1 par Ralph Meyer & Xavier Dorison (Dargaud)
Les sélections en mal de visibilité publique ?
Des majors comme Glénat, Delcourt, Casterman et Média-Participations (Lombard, Dargaud, Dupuis, Kana) qui constituent près de 35% de la production des titres publiés en 2015, ne bénéficient plus que de 20% des titres de la sélection officielle, 25% même si l’on compte l’ensemble des quatre sélections, grâce à une meilleure représentativité dans le secteur des albums jeunesse. Ce constat n’est pas une surprise : Angoulême a toujours porté un regard bienveillant sur les publications en marge des grands labels commerciaux, les plus petites structures bénéficiant chaque année une mise en avant. L’invitation à la découverte est un des rôles du FIBD.
Les grandes maisons d’édition ne sont pas ignorées par le Festival : elles représentent une part trop importante de son financement, notamment par le truchement de la vente des stands. Le FIBD "compense" par des expositions qui leur font la part belle, et souvent au grand bonheur des festivaliers, à des expositions qui sollicitent des marques connues, cette année encore : Lastman et Hugo Pratt chez Casterman, l’exposition sur Otomo pour Glénat, Morris pour Dargaud, etc. Nous y reviendrons dans les prochains jours.
La composition du grand jury
Pour départager ces lauréats, chaque année, un nouveau jury apporte par sa vision plus ou moins objective de la bande dessinée, un choix qui va parfois a contrario de cette sélection initiale. Pour cette 43e édition, ce jury est présidé par Antonin Baudry, diplomate et ancien président de l’Institut Français, mais aussi scénariste de BD et de cinéma, lauréat avec Christophe Blain du Fauve d’Or 2013 pour Quai d’Orsay sous le pseudonyme d’Abel Lanzac. « le Festival d’Angoulême, témoigne Baudry lors de la présentation du programme 2016 du Festival en décembre dernier, Pour mon père et moi, c’était la Mecque, on espérait y aller ensemble un jour. C’est aussi un événement très important pour l’écosystème de la bande dessinée, qui réunit des gens passionnants, créatifs et indépendants. Aujourd’hui, je suis heureux de pouvoir y apporter ma pierre. »
Autour de lui, Baudry a composé un « jury à la fois relevé, exigeant et éclairé, en accord avec l’équipe du Festival » :
Laurent Binet, écrivain et auteur entre autres de HHhH et de La Septième Fonction du langage (Grasset), prix Interallié 2015
Nicole Brenez, professeur en études cinématographiques et programmatrice à la Cinémathèque française
Philippe Collin, journaliste France Inter et Arte
Véronique Giuge, libraire de la librairie Album à Paris
Hamé, réalisateur et membre du groupe de rap La Rumeur
Matt Madden, auteur (US)
Ce qui frappe dans cette sélection, c’est l’absence presque totale de la bande dessinée dite « populaire ». Comment interpréter ce terme ? Philippe Collin, journaliste et membre du jury le présentait ainsi : « Je trouve toujours le temps de lire des bandes dessinées et d’en défendre le bien-fondé autant qu’il m’est possible. La bande dessinée est un art populaire. Profondément populaire. Populaire au sens premier. C’est-à-dire un art généreux, ludique et polyphonique. »
Pour nous, simples mortels, le vocable « populaire » s’applique aux albums qui s’adressent et sont reconnus par un large public. Dans la sélection du FIBD, il y a encore quelques années encore, on retrouvait des séries telles que Jérôme K. Jérome Bloche, Lastman, Valérian, Adèle Blanc-Sec, Le Chat du Rabbin, Death Note, XIII, Les Bidochon, Les Gouttes de Dieu, Long John Silver, Spirou & Fantasio, Seuls, L’Épervier, Il était une fois en France, Walking Dead, Alix Senator, Magasin Général, pour ne citer que ceux-là, qui correspondaient à cette définition. Cette année, la 43e édition du FIBD n’a sélectionné officiellement, sans cette catégorie, que L’Arabe du Futur T. 2, un choix-repoussoir puisque le premier tome avait déjà reçu le Fauve d’or l’année dernière. La sélection Polar-SNCF, en revanche, sauve la mise en choisissant Undertaker T1 dont le premier tome fait d’ores et déjà un tabac en librairie !
D’année en année, la tendance des sélections angoumoisines ressemble au menu d’un restaurant gastronomique : on n’y vient pas régulièrement, on ne comprend pas toujours ce que cela cache, mais on est toujours curieux de réaliser quelques nouvelles découvertes. Ce qui pourrait donc passer pour une liste d’albums « incontournables » restés souvent inaperçus aux yeux de la majorité des lecteurs, contribue à accroître la schizophrénie d’Angoulême : les auteurs reconnus y attirent les visiteurs, mais les prix passionnent de moins en moins les lecteurs.
Fort de la diversité de sa composition, le Grand Jury garde comme de juste sa part de subjectivité, quitte à corriger le tir. Mais, même dans le catalogue des plus petites maisons d’édition, on reste ainsi étonné que certains titres n’aient pas été sélectionnés. On citera Junker paru chez Cambourakis ou de Zaï zaï zaï zaï, plébiscité par l’Association des Critiques et des Journalistes de BD, alors qu’un précédent titre de FabCaro, Carnet du Pérou - Sur la route de Cuzco (6 pieds sous terre), pourtant dans la même veine avait été sélectionné en 2014.
La bande dessinée francophone s’efface progressivement
Si les jurys se suivent et ne se ressemblent donc pas forcément dans les choix et leurs goûts, la sélection suit cependant une tendance constante qui devient criante avec les années : la diminution progressive de la représentation des auteurs francophones dans la sélection au profit de choix plus internationaux.
En examinant les sélections des neuf dernières années, on constate une confirmation nette de cette tendance. En 2008, près de 68% des albums sélectionnés sont issus du domaine francophone, une tendance demeure à 66% en 2012. 2013 voit s’opérer une première chute à 53% du total de la sélection, puis 51% en 2014, avant de descendre en 2015 à 46%. Désormais la sélection d’Angoulême ne représente plus la bande dessinée francophone.
La sélection officielle de ce 43e Festival d’Angoulême aggrave ce déficit puisque le pourcentage d’albums francophone chute à 41%. Si nous étendons cette analyse en ajoutant les sélections Patrimoines et Polar-SCNF (ce que nous n’avons pas prix en compte dans l’historique précédent en raison de l’arrivée récente de ces prix), ce pourcentage de 41% se maintient. Il passe cependant à 46% si l’on prend en compte les titres Jeunesse, essentiellement issus du domaine francophone.
Quelle analyse tirer de cette tendance ? Elle rejoint l’évolution de la production de l’édition francophone de ces dernières années, de plus en plus vouée à la traduction. Ainsi constations-nous, en analysant le Rapport 2015 de Gilles Ratier pour l’ACBD, que 58,9% des nouveautés de l’année dernière étaient le fait de licences acquises l’étranger, un chiffre encore en progression cette année. Cette proportion dans la production n’est évidemment pas le reflet du marché. Heureusement, les blockbusters de la librairie francophone restent, grâce à Astérix, Titeuf, Largo Winch ou Le Chat de Geluck, le fait de créations francophones
Didier Pasamonik nous expliquait voici quelques jours la raison de cette progression : « La publication des bandes dessinées étrangères, mangas ou comics en tête évidemment, [est] un autre exemple [d’une production à] coût de développement réduit, source de marge. Il suffit d’acheter une licence, de concéder un à-valoir calibré sur le tirage initial, et l’affaire est faite, roulez jeunesse ! Pas d’auteur à financer en amont, pas de frais de développement en dehors d’une traduction et d’un lettrage, et même, le plus souvent, pas de gros frais de marketing : la sortie d’un film en salle ou quelques passages TV suffisent à l’affaire ! »
Le nouveau système de l’élection des Grands Prix, qui s’appuie sur un système de vote controversé, accentue cette tendance. Dans les favoris des votants de ces deux dernières années, ce sont systématiquement des auteurs étrangers, Watterson se trouvant élu comme Grand Prix en 2014 et Otomo en 2015, en opposition au système précédent de cooptation qui favorisait les auteurs franco-belges. Cette double ouverture à l’international (moins d’albums franco-belges dans la sélection accentué par un grand prix favorisant les auteurs étrangers) diminue l’exposition médiatique et commerciale de la production francophone, avec une conséquence logique sur les ventes..
Ce constat cependant pose la question de la représentativité de cette sélection officielle. La majorité des auteurs qui viennent à Angoulême et qui font vivre le FIBD sont français. Certes, le FIBD multiplie les gestes en direction des créateurs, mais le fait est qu’en accentuant son caractère international (sélection, prix et Grand Prix) , Angoulême réduit son soutien à la création francophone, une position difficilement compréhensible alors que les auteurs de bande dessinée clament de plus en plus fort leur sentiment de précarité et la paupérisation de leur condition.
« Un festival, ça sert à quoi ? écrit Franck Bondoux, délégué général de 9ème Art+, dans l’introduction de son dossier de presse. Ça sert à se rencontrer, […], à promouvoir des artistes libres[…], ça sert à une profession […], à un territoire national (La France) […] et régional (l’Aquitaine). »
Dans cet événement, où « tout l’écosystème de la bande dessinée se retrouve chaque année pour interagir », comme Bondoux l’écrit encore, le festival ne devrait-il pas davantage œuvrer pour que nos auteur soient encore libres de créer dans le futur ? La question se pose.
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
43e Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême : du 28 au 31 janvier 2016.
Visiter le site du FIBD pour étudier :
La sélection officielle
La sélection jeunesse
La sélection patrimoine
La sélection Polar-SNCF
Visiter notre rubrique consacrée au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, et plus spécifiquement les programmes des éditions précédentes : 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015.
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