Ouverte pour la première fois le dimanche après-midi, la cérémonie des prix commença par un court concert de Brigitte Fontaine.
Animée par le trop exubérant Gilles Verlant, la soirée eut ses moments d’émotion avec notamment l’annonce du décès d’un des jeunes chauffeurs des voitures officielles du Festival, fauché après son service par un « putain de camion. » Il avait 19 ans. Il y eut aussi la chaleureuse adresse des fondateurs du Festival Jean Mardikian et Francis Groux en hommage à Claude Moliterni.
Aucun incident n’émailla cette cérémonie à laquelle Dupuy & Berberian prêtèrent leurs talents d’animateurs. Le palmarès qui en résulte est cohérent et fait la part belle à la bande dessinée d’auteur, les séries et le récit d’aventure classique en sont, on s’en aperçoit, quasi-absents.
Passons sans plus attendre aux détails du palmarès :
Le Fauve d’or – Prix du Meilleur album de l’année :
– Pinocchio de Winshluss (éditions Les Requins Marteaux).
Sur ActuaBD, Morgane Aubert écrivait récemment : « Voici une toute nouvelle interprétation totalement décapante du conte de Collodi ! Imaginez, Pinocchio n’est pas une marionnette en bois mais un automate : Geppetto, homme avide d’argent et de pouvoir en a fait un super-robot, un androïde militaire indestructible. Mais Pinocchio ne sera pas un pantin comme les autres. En effet, Jiminy cafard (et non Criquet), looser invétéré, vient de se faire jeter par sa belle. Il décide alors de s’installer dans la tête du robot, mais en voulant modifier les fils électriques afin d’y installer le câble, l’insecte fait tout disjoncter : dès lors, Pinocchio ne sera plus jamais une simple machine et se trouvera confronté à un monde terrifiant… Winshluss dépeint alors avec cynisme et de façon déjantée une humanité dépressive, pourrie et violente. »
Cette distinction devrait remplumer les Requins Marteaux qui vivent en ce moment, dit-on, une passe financièrement difficile.
Les essentiels
– Lulu par Étienne Davodeau chez Futuropolis
Comme l’écrivait David Taugis dans nos pages : « Lulu ne correspond à aucun cliché, et surtout n’a rien d’une aventurière ou d’une rebelle. À la fois raisonnable et rêveuse dans son escapade, elle apprend à se découvrir, notamment en tant que femme. La brève histoire d’amour qu’elle vit s’avère très émouvante. Quant à la petite tribu qui se constitue à ce moment-là, elle apparaîtra familière aux habitués de l’univers de Davodeau. Ses couleurs douces, les contrastes dans les scènes nocturnes sont de toute beauté. »
– Martha Jane Cannary de Blanchin & Perrissin chez Futuropolis
Dont Nicolas Anspach a écrit dans nos pages : « Les auteurs se sont sacrément documentés pour nous conter la vie de cette femme au caractère d’acier. […] Mathieu Blanchin a pris le parti d’illustrer ce récit avec un style nerveux et dynamique, usant tour à tour de l’esquisse ou d’une griffe plus réaliste selon les besoins du récit. Ce basculement de style régulier, tout en hachures et lavis, s’opère toujours pour servir la narration. Cette biographie est une réussite qui nous permet de découvrir l’une des figures les plus légendaires de l’Ouest sans sombrer dans la caricature, ce qui n’était pas gagné d’avance ! »
– Le petit Christian Tome 2 de Blutch chez L’Association
Dix ans après le premier tome, Blutch reprend les péripéties du personnage qui incarne son enfance, avec ses notations incisives et drolatiques servies par un dessin virtuose. Le petit Christian arrive dans ce volume au seuil de la puberté. Un must.
– « Spirou, le Journal d’un Ingénu » d’ Émile Bravo
Déjà couvert de prix (Prix RTL, prix des Libraires, etc.), il n’est pas étonnant que l’on retrouve l’ouvrage d’Émile Bravo dans ce palmarès. À son propos, les louanges, n’ont pas manqué, y compris dans nos pages où nous écrivions : « Bravo s’y prend à merveille pour décrire l’itinéraire d’un enfant qui entre dans l’âge adulte. D’autant que dans cet ouvrage, qui se situe au moment de la signature du pacte germano-soviétique, peu avant le dépeçage de la Pologne par les Nazis et les Soviétiques, décrit les négociations de la dernière chance entre des représentants du gouvernement polonais et un envoyé de Von Ribbentrop. Ces négociations qui ont lieu au Moustic Hôtel en présence du jeune groom et d’une jolie gamine de son âge membre du Komintern attirent la présence d’un journaliste aussi ambitieux que gaffeur : Fantasio le bien nommé. L’ensemble est un peu empreint de naïveté (toute l’Europe sait en effet à quoi s’en tenir avec le régime nazi depuis les accords de Munich) mais ce manque de réalisme est facilement compensé par un récit sensible et brillamment ficelé. »
– Tamara Drewe de Posy simmonds chez Denoël Graphic
Déjà Grand Prix de la Critique, Tamara Drewe, écrivions-nous dans ces pages, « … est le prototype de ces prédatrices urbaines dont le nez refait et les jambes interminables font tourner la tête des mâles de la bourgeoisie intellectuelle, Gentry comprise, en particulier quand cette amazone décide de se mettre au vert à la campagne dans une communauté de personnalités plus ou moins connues, retirées du monde afin de « créer en paix. » Cette fois, ce n’est pas Flaubert qui l’inspire, mais Thomas Hardy et son « Loin de la foule déchaînée » dont l’héroïne est une femme volontaire qui refuse la main de deux prétendants pour l’accorder à un troisième, un bellâtre un peu fade. Ici, on retrouve ce schéma : une femme et trois hommes. Tamara met en émoi cette communauté d’écrivains, montant en épingle leurs angoisses, leurs insécurités et leurs orgueils… […]Tamara Drewe est une réussite tant graphique que narrative . »
Essentiel Révélation
– Le Goût du chlore de Bastien Vivès chez Kstr/Casterman
Dans nos pages, David Taugis écrivait : « Comme dans son précédent Opus Elle[s], Bastien Vivès ne tient pas à tout éclaircir, surtout quand il s’agit de relations entre hommes et femmes. Surtout dans cette population entre deux eaux des 20-30 ans. La gaucherie émouvante du personnage principal -dont on ignore le nom du début à la fin- évolue de façon originale. »
Essentiel Fnac/SNCF :
– Mon gras et moi de Gally chez Diantre
Chronique décomplexée d’une jeune femme qui entretient avec son embonpoint une relation à la fois enjouée et conflictuelle. Une œuvre de la sympathique blogeuse Gally publiée par les toutes nouvelles éditions Diantre.
L’Essentiel Patrimoine
– Opération Mort de Shigeru Mizuki chez Cornélius
C’est la (légère) petite fausse note de ce palmarès. Pourquoi couronner un auteur déjà primé par un Fauve d’or il y a deux ans et qui jouit cette année d’une exposition au CIBDI, alors que de magnifiques éditions de Tezuka sont publiées chez Delcourt, une intégrale du Grand Duduche de Cabu chez Vents d’Ouest ou encore une intégrale des Peanuts chez Dargaud, pour ne citer que quelques exemples qui me passent par la tête en écrivant ces lignes et que nos lecteurs pourront aisément compléter ? Mystère.
L’Essentiel jeunesse
Décerné jeudi dernier et aussitôt attaqué par les rumeurs, ainsi que nous vous l’expliquions. Dans nos pages, nous ne manquions pas d’écrire : « L’adaptation de Sfar reste au premier degré. Les textes sont ceux de Saint-Exupéry, mais le dessin vagabonde, interprète, donne un éclairage aux zones d’ombre du texte. Il l’illumine parfois. C’est du Sfar, bien sûr, et du meilleur. Sfar a un petit garçon et l’on voit bien que les regards, les attitudes, les sentiments –comme ces larmes qui perlent souvent à l’œil- sont éminemment observés. Sfar réinterprète ce morceau de littérature comme l’on peut réinterpréter une œuvre musicale. Chopin par Gainsbourg n’enlève rien à Chopin. »
A ces prix s’ajoutent :
– Le prix de la bande dessinée alternative qui revient au pro-zine DMPP
– Les Prix découvertes de la Caisse d’Epargne parmi lesquels Thimothée Bart, Arthur Pascal, Léopold Bensaïd et surtout Vincent Caut qui fait l’unanimité auprès des professionnels.
– Le Prix des écoles d’Angoulême décerné à Pico Bogue de Dominique Roques & Alexis Dormael chez dargaud
– Le Prix des collégiens de Poitou-Charentes pour Chinn T1 de Vervish, Fred, Escaïch & Bertrand chez Bamboo.
– Le Prix du strip à David Dupuis
– Le Prix Révélation Blog pour Lommsek
– Le Prix Jeunes Talents de la Région Poitou-Charentes : Marine Blandin
– Le Prix Jeunes talents à Clément Paurd
Enfin, le Prix Goscinny pour Groenland Manhattan de Chloé Cruchaudet chez Delcourt, dont nous vous avons déjà parlé.
Un palmarès copieux truffé de découvertes.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : Winshluss, auteur de l’Essentiel du meilleur album 2009 : "Pinocchio" aux éditions Les Requins Marteaux. Photo : D. Pasamonik.
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