L’évènement mérite d’être signalé. Dans son numéro du 28 janvier 2009 [N°3694], l’hebdomadaire Spirou titre : « Tous en scène pour Angoulême ». Une manchette précise : « Spécial Angoulême ! ». On revient de loin. Souvenez-vous : en 1987, Jean Van Hamme alors directeur général de Dupuis décidait de ne plus revenir à Angoulême. Pendant 17 ans, l’éditeur belge allait bouder dans son coin, faisant l’économie d’une manifestation qu’il jugeait désormais inutile.
Une erreur stratégique
Quand Média-Participations racheta l’entreprise en 2004, la holding franco-belge décida de revenir sur cette décision. Peut-être avait-elle pris la mesure de l’importance d’Angoulême. Pendant 17 ans, Dupuis est un peu passé à côté de l’histoire : elle n’a pas vu venir l’émergence des mangas, ni des courants majeurs de la bande dessinée contemporaine comme l’Heroïc Fantasy dans lesquels se sont engouffrés des outsiders comme Delcourt et Soleil, ou encore cette « nouvelle bande dessinée » qui émergea dans les années 1990. Il y a pire : pendant 17 ans, elle coupa ses auteurs et ses cadres de la culture de la bande dessinée du moment, interdisant la nécessaire prise de conscience des mutations du métier et laissant libre cours à ses concurrents d’en occuper la place.
Un festival en permanence sous le feu de la critique
Angoulême, hélas ! Car telle est cette manifestation : une réunion d’un millier d’auteurs, et autant de professionnels et/ou journalistes venus du monde entier pour humer les tendances. C’est pourquoi les orientations parfois élitistes, parfois irrationnelles et (malheureusement) illisibles du Festival, traduisant une absence de réelle vision (car il faut bien dire que le Festival a aussi raté le train des mangas et continue à mépriser cette norme mondiale qu’est l’Heroïc Fantasy, de même qu’une « culture jeune » en général) conservent les mêmes griefs qu’a pu lui reprocher Van Hamme il y a 25 ans. Angoulême est soit à la traîne (exposition Mizuki), soit déphasé et illisible (concerts de bande dessinée) et s’ingénie à passer à côté des grandes valeurs populaires qui pourtant ont besoin de cette vitrine exceptionnelle pour se développer à l’international, seul terrain où son audience peut croître désormais. Une direction artistique qui écarte, dans sa sélection notamment, des pans entiers de la création d’aujourd’hui.
Tot, l’éditeur d’Ankama, le wonder-boy du cross média français, le résume bien dans une interview qu’il nous a accordée récemment : « Je ne vais pas à Angoulême. Je n’ai rien contre le festival, je trouve juste que le milieu français de la BD manque cruellement d’ouverture d’esprit. Et pour moi, le festival d’Angoulême représente cela. Si je viens à Angoulême, je vais me faire défoncer, mes auteurs y ont déjà eu droit : "C’est de la merde, ce que vous faites. Ce n’est pas de la BD." Je pense que nous sommes dans un virage chez Ankama, il y a une demande des fans, nous voyons le succès du manga, de la japanimation, du comics en France, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas mélanger les styles et sortir des albums étranges, spéciaux, avec des différences de papier, moitié noir et blanc et moitié couleur, bref, faire des expériences. Je pense que les gens attendent beaucoup cela. »
L’abominable dédicace
Angoulême, hélas, et Spirou le prouve une nouvelle fois, pour les auteurs. En page 2 du magazine, l’hebdomadaire de Marcinelle publie une page de Lewis Trondheim. Une fois de plus, l’exécuteur testamentaire de la nouvelle BD s’essuie les espadrilles sur les collectionneurs de dédicace mettant en évidence leur manque de classe et leur vulgarité, et surtout l’ignominie de la gratuité de la prestation. Pour la plupart des auteurs, la dédicace est vécue comme une corvée. Pourquoi venir alors ? Parce qu’on le doit bien, hélas. Heureusement, le magazine est vendu avec un petit manuel du « gentil chasseur de dédicace », un opuscule intelligent et souriant comme Sergio Salma en a le secret.
Nous, nous sommes là parce que nous croyons que l’histoire d’Angoulême est faite de ces moments, ces prises de position péremptoires et de ces ronchonnements. Dans la cité charentaise, les directeurs de festival passent, la bande dessinée reste.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Jusque Dimanche 1er février 2009.
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