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Romain Renard : "Melvile m’a permis de concilier mes envies de faire de la BD et de la musique, chaque création permettant d’enrichir un même univers"

Par Christian MISSIA DIO le 26 janvier 2016                      Lien  
L'univers de Melvile, la ville imaginaire que Romain Renard a créée pour les besoins de sa série n'en finit plus de se multiplier. Que ce soit en musique sur scène ou sous forme de jeu vidéo, le fils de l'illustre Claude Renard repousse les limites de la narration afin de proposer aux lecteurs une expérience unique. Magique !
Romain Renard : "Melvile m'a permis de concilier mes envies de faire de la BD et de la musique, chaque création permettant d'enrichir un même univers"
Melvile T. 2 - Par Romain Renard - Le Lombard

Comment êtes-vous entré en contact avec Technocité, le centre de formation spécialisé dans l’IT et les médias numériques ?

Romain Renard : C’est Technocité qui m’a contacté car ils comptaient mettre en place une formation basée sur une BD. Ils avaient le choix entre plusieurs livres et finalement, j’ai eu la chance d’être choisi par eux.

À la même période, je jouais dans la ville de Mons Melvile sur Scène, l’adaptation scénique de ma BD Melvile. Ils ont eu vent de mon spectacle et comme ils sont basés également à Mons, ils sont venus me voir.

C’est avec Pierre Santos, un des formateurs de Technocité que le contact s’est fait et celui-ci m’a encouragé à dire aux étudiants le type de jeu vidéo que je voulais pour ma série. Je me suis donc rappelé que dans le tome 1, j’avais introduit la légende d’un père de famille qui se déguisait en cerf pour se sacrifier et permettre ainsi à son fils de prendre la relève. Je me suis dit que nous tenions là un bon point de départ pour développer un jeu cohérent par rapport à l’univers que j’ai créé. Tout de suite, nous nous sommes mis d’accord pour développer un Limbo-like, adapté du jeu vidéo Limbo, un jeu de réflexion/plateforme. Ces étudiants m’ont beaucoup impressionné dans leur façon de concevoir le jeu et le gameplay, car je ne suis pas très doué sur ce point-là.

Romain Renard en compagnie des étudiants de Technocité qui ont réalisé un jeu vidéo Melvile pour leur travail de fin d’étude
Crédit photo : Skillfox
Les étudiants de Technocité en pleine réalisation du jeu vidéo Melvile
Crédit photo : Skillfox
Romain Renard teste le jeu vidéo réalisé par les étudiants de Technocité
Crédit photo : Skillfox

C’est un peu surprenant de vous entendre dire cela lorsque l’on connaît le travail que vous avez fourni pour construire l’univers de Melvile.

Oui, mais ça fait longtemps que je ne me suis plus replongé dans un jeu vidéo et, à chaque fois que je vois ce qui se fait aujourd’hui, je me prends une claque monumentale ! Rencontrer l’équipe de Technocité a développé mon intérêt pour ce type de production. Toutefois, j’ai bien conscience que mon lectorat est un peu plus âgé que celui qui pourrait s’intéresser à un jeu vidéo. C’est pour cela que ce n’était pas une démarche naturelle pour moi. D’ailleurs, nous réfléchissons actuellement à la manière dont nous allons intégrer le travail de Technocité dans l’application que nous préparons pour T. 2 de Melvile. Sinon, nous pourrions l’intégrer dans l’app que nous prévoyons pour le troisième album de la série.

Quelques visuels du jeu vidéo réalisé par les étudiants de Technocité
Crédit photo : Skillfox
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Crédit photo : Skillfox
Crédit photo : Skillfox
Crédit photo : Skillfox

La nouvelle application qui accompagne le nouvel album de Melvile a été développée par Clap !, une petite structure qui avait été créée à l’occasion du développement du premier tome mais qui, depuis, a grandi et travaille avec tous les éditeurs de BD aujourd’hui.

Pour cette nouvelle app, nous avons beaucoup travaillé la narration. Ce sera un complément de l’histoire composée d’une vingtaine de nouvelles qui permettront de vraiment développer l’univers de Melvile. Le gamer pourra se balader de manière virtuelle dans la ville et pourra interagir avec chaque élément du décor pour déclencher une nouvelle histoire, un peu à la manière d’un webdocumentaire. Pour moi, la nouvelle écriture c’est un réceptacle qui me permettra de raconter des histoires, peu importe le support.

C’est la même démarche avec le spectacle. Cet univers étendu permettra, aux joueurs qui le souhaitent d’élucider des mystères disséminés dans les BD. L’app sera jouable sur tous les devices, que ce soit Android, iOS et même sur les PC.

Comment est né le spectacle Melvile sur Scène ?

À la base, il y avait la B.O. que j’avais composée pour le premier album de Melvile. Puis, le FIBD m’a invité pour que je joue cette musique sur scène. Mais j’ai rapidement pris conscience que pour que les gens pénètrent dans l’univers de Melvile, il fallait que j’associe les images au son. J’ai donc réalisé un film dans lequel j’ai mélangé BD et vidéo, que je projetterais sur scène pendant que mes musiciens et moi jouerons la bande originale de Melvile.

Puis, ce spectacle a évolué lorsque j’ai rencontré Dirty Monitor qui s’occupe de l’Imaginarium, le spectacle BD qui est organisé chaque année durant la Foire du Livre de Bruxelles. Plus tard, j’ai reçu une invitation du Théâtre du Manège de Mons pour que je joue mon spectacle sur leur scène suite à ma prestation à la Foire du Livre. J’ai alors recontacté Dirty Monitor et nous avons décidé de tout revoir afin de créer un vrai spectacle pour le théâtre, avec une vraie scénographie et des effets 3D. C’est comme cela qu’est finalement né le spectacle Melvile sur Scène. Celui-ci à bien tourné car nous l’avons joué à plusieurs reprises à Mons, au Théâtre National de Bruxelles, à Charleroi, etc. Et puis, celui-ci est un peu le fil rouge du prochain spectacle.

Pour la sortie du tome 2 de Melvile, j’ai prévu quelque chose de beaucoup plus light car cette version théâtrale n’est pas toujours adaptable dans les festivals BD. Nous avons donc opté pour un spectacle plus mobile intitulé Les Chroniques de Melvile, qui sera axé sur la musique. Mais Melvile sur Scène sera toujours joué dans les théâtres.

Quel modèle économique avez-vous mis en place pour rendre viable votre projet ?

Le modèle économique s’est inventé au fur et à mesure.
Le spectacle qui été joué à Mons a été coproduit par le Théâtre du Manège. Nous avons aussi bénéficié d’aides de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Enfin, un producteur que j’ai rencontré lorsque je travaillais comme scénographe chez Franco Dragone, a cru au projet et m’a soutenu financièrement.

Justement, est-ce votre passage chez Franco Dragone qui vous a inspiré un tel spectacle ou est-ce, au contraire, votre héritage d’auteur de BD qui a été le moteur de tout ce projet ?

Un peu des deux... c’est un peu des trois, je dirais même.
Melvile est la première BD que j’ai scénarisée. Mes autres livres jusque là étaient soit adaptés d’un roman, soit basés sur une biographie d’une gloire musicale.

À côté de la BD, j’ai toujours fait de la musique. Ce sont mes deux plus grandes passions, mais à chaque fois que je faisais une BD, je ne pouvais pas me consacrer à la musique. Même chose dans l’autre sens : lorsque je répétais avec mon groupe, je ne pouvais pas bosser sur une BD. Melvile m’a permis de concilier mes envies de faire de la BD et de la musique car chaque création permet d’enrichir un même univers, celui de Melvile. Pareil pour la vidéo et mon autre métier de scénographe. Melvile me permet de relier toutes mes envies en enrichissant un seul univers.

Avant de passer au Lombard, vous étiez régulièrement publié chez Casterman. Pourquoi ce changement d’éditeur ?

C’était l’envie. À l’origine, j’ai proposé le projet à plusieurs éditeurs. J’ai reçu de nombreuses réponses encourageantes, mais c’est au Lombard que j’ai senti la plus forte envie. Pour cela je dois remercier mon éditrice Nathalie Van Campenhoudt car elle a vraiment cru à l’aspect para-BD que je voulais développer. Il n’est pas exclu que je travaille avec d’autres éditeurs à l’avenir mais d’après ma petite expérience, j’ai compris qu’il vaut mieux travailler avec un éditeur qui marque la plus forte envie pour votre projet.

Quel a été le retour du public par rapport au premier tome de Melvile et quelle a été sa réaction quand vous êtes venu avec votre idée de projet transmédia ?

Nous avons été les premiers à proposer une B.O. pour accompagner une BD. Quand on est les premiers, on joue un peu un rôle de défricheurs. De plus, le fait que l’application ne soit disponible que pour les utilisateurs d’iPad a fait que l’audience de cette app a été moins importante que prévue. Cette audience n’était pas confidentielle mais nous avons constaté que 20% des personnes qui avaient acheté la BD avaient téléchargé l’application. Pour la prochaine application, nous espérons 90% de téléchargements de la part des lecteurs car celle-ci sera disponible partout.

Après, je suis conscient que l’on ne peut pas imposer un rythme de lecture au public. Avec notre B.O., notre app, nous n’imposons rien. Nous ne faisons que proposer une expérience de lecture différente. À eux de rentrer dans le jeu ou non, mais cela ne nuit absolument pas à la lecture de l’album. Mais ceux qui ont testé l’application ont aimé l’expérience.

Quant à l’album proprement dit, le retour a été bon. Jusqu’à présent, Melvile est mon plus gros succès en tant qu’auteur de BD, d’où la confiance de mon éditeur qui m’a laissé carte blanche pour développer mon univers.

Melvile T. 2 : L’Histoire de Saul Miller
Romain Renard (c) Le Lombard

Pour le tome 2 de Melvile, vous avez proposé une grande pagination. Pourquoi ce choix ?

Parce que j’avais envie de donner de la place aux humeurs. C’est quelque chose que j’ai de plus en plus envie de faire. Cela me permet d’explorer plus en profondeur la psychologie des personnages, que ce soient les personnages principaux ou les personnages secondaires.

Généralement en BD, il faut aller à l’essentiel lorsqu’on construit des dialogues. Moi, j’ai envie de laisser à mes personnages la possibilité de parler d’autre chose que du fil conducteur de l’histoire.

Que raconte ce second épisode ?

Nous suivrons l’histoire de Saul Miller, un astrophysicien à la retraite. C’est l’un des premiers habitants de Melvile à avoir quitté la région pour mener une grande carrière. Dans cette histoire, Saul consacre du temps à une jeune fille à qui il donne des cours de soutien scolaire. Un jour, des chasseurs arrivent devant chez lui et ceux-ci lui demandent de pouvoir traverser sa propriété pour se rendre dans un bois afin de pratiquer leur sport. Saul refusera de les laisser passer et la situation va rapidement dégénérer.

Quel sera le tirage de ce nouvel album ?

Je pense que ce sera autour des 10 000 exemplaires. Il y aura aussi une remise en place du premier album.

Pourriez-vous nous expliquer votre technique de mise en couleur ?

Je travaille au fusain. Toutes les lumières et les matières sont faites en noir et blanc, que je scanne puis j’injecte de la couleur grâce à Photoshop. J’ai réduit ma palette au point de ne travailler qu’avec trois ou quatre couleurs uniquement.

Melvile T. 2 : L’Histoire de Saul Miller
Quelques planches du nouveau Melvile.
Romain Renard (c) Le Lombard

L’année 2015 vient de s’achever et nous débutons 2016. Quelle est votre analyse du marché de la BD de l’année dernière ainsi que de l’enseignement du 9e Art en Belgique ?

C’est à la fois très excitant et très inquiétant. Les difficultés sont présentent au delà du marché de la BD car c’est le marché du livre dans son ensemble qui est en mutation.

Au niveau de mes lectures, j’ai bien aimé le dernier Pedrosa, ce que fait La Revue dessinée et 64_Page aussi.

Je pense que la BD est train de devenir de la littérature. Les formats, les scénarios, les dessins, les découpages sont en train de fortement évoluer. Lorsque j’ai collaboré avec 64_Page, j’ai découvert des jeunes auteures françaises qui avait un niveau très élevé pour des étudiantes. Je vois chez elles une exigence de dessin, une exigence formelle et narrative que je n’avais pas lorsque j’avais leur âge. Mais c’est vrai que c’était des femmes françaises. Par contre, elles viennent toutes se former en Belgique, preuve que nous avons un enseignement de qualité. C’est un motif de fierté pour nous, Belges. Peut-être que la conception belge de la série en bande dessinée est beaucoup plus classique chez nous qu’en France - je parle de la BD mainstream - les Français ont une vision beaucoup plus décomplexée de la série en BD.

La relève belge, je la vois surtout du côté des éditeurs tels que La 5e Couche et Fremok. Un mec comme François Dejonghe fait des choses beaucoup plus étonnantes mais ça reste dans l’Underground. Tandis qu’en France, l’Underground a été digéré depuis belle lurette par la BD mainstream.

Il faudrait aussi que la presse belge francophone se repositionne sur la BD, comme le journal Le Soir le fait avec le prix Diagonale.

Quels sont les auteurs ou œuvres qui vous ont donné envie de faire ce métier ?

En dehors de mon père et de ses amis très proches, j’ai eu quelques chocs de lecteurs. Il y a eu L’Homme qui marche de Jirō Taniguchi. Quand j’ai lu ce manga, je me suis dit : "Putain, on peut faire une BD qualitative à partir du pitch d’un mec qui marche ?!". Sinon, il y a aussi Miles Hyman lorsqu’il a fait des illustrations dans une collection de Gallimard-Futuropolis où il avait illustré les livres de Marc Villard, John Dos Passos, Joseph Conrad, etc. Jean-Claude Götting aussi et Rubén Pellejero et Jorge Zentner avec Le Silence de Malka. Quand j’y pense, ce sont des auteurs sentimentaux, pas fleur bleue, mais qui parlent des sentiments humains. C’est une veine que je vais continuer à creuser...

Propos recueillis par Christian Missia Dio

Melvile T. 2 : L’Histoire de Saul Miller
Romain Renard (c) Le Lombard

(par Christian MISSIA DIO)

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