« Dense, philosophique, personnel, captivant, prophétique… » écrivait Jaime Bonkowski de Passos dans sa chronique sur ActuaBD à propos du premier tome de cette collection magnifiquement rééditée par Urban Comics. En fait, c’est bien plus que cela. Promethea est une somme ésotérique en bande dessinée, une sorte de pierre philosophale de l’imaginaire, un viatique pour survivre face aux défis et aux angoisses qu’offre le monde.
C’était au départ une série de 32 comics publiés entre 1999 et 2005, produits pour America’s Best Comics, un label lancé par la WildStorm de Jim Lee avant qu’elle ne soit absorbée par DC Comics. Ils ont été successivement publiés en France par Semic, puis par Panini, enfin par Urban Comics qui a réuni en trois volumes les cinq TPB (Trade Paperbacks) de l’édition américaine.
C’est une série d’inspiration millénariste mêlant la mystique judéo-chrétienne (principalement la Kabbale) avec la mythologie grecque et des éléments ésotériques occidentaux comme le tarot par exemple.
L’histoire commence en 411 après Jésus-Christ, en pleine crise christologique [1] de la Chrétienté, au moment où un magicien d’Égypte byzantine se fait massacrer par des chrétiens fanatiques et arrive à sauver sa fille, Promethea, qui s’enfuit dans le désert en espérant que ses dieux pourront la protéger. Ce faisant, elle entre dans le domaine de l’Immateria, l’imaginaire.
Au XXe siècle, la jeune Sophie Banks s’intéresse au personnage de Promethea qui traverse de nombreux mythes, elle interviewe Barbara qui semble en savoir long sur la question, mais qui est plutôt rétive à partager son savoir avec une profane, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que la jeune fille est traquée par des êtres mystérieux qui pensent qu’elle est la nouvelle réincarnation de Promethea, celle qui précisément succèdera à l’avatar actuel de la déesse : Barbara. Celle-ci la sauve d’une situation périlleuse et l’invite à écrire un long poème dans l’espoir qu’il porte la jeune femme à un stade éveillé qui lui permette d’incarner Promethea.
C’est le début d’une longue quête dans laquelle Alan Moore, en parfaite osmose avec J. H. Williams III et Mick Gray, multiplie les pages où l’expression picturale rivalise en lyrisme et en symbolisme avec le texte - quelquefois exigeant - du mage de Northampton.
Dans le texte introductif à l’œuvre où Alan Moore explique les sources de sa création (on peut le lire sur le site d’Urban Comics), il se garde bien d’expliquer les nombreux symboles qui parcourent l’album et qui en constituent l’étoffe. Notamment ceux issus du tarot et de la Kabbale.
Dans la tradition juive, la Kabbale étudie le sens caché du texte sacré. Moore fait de même avec les grands mythes : évidemment celui de Prométhée, puni pour avoir dérobé aux Dieux le feu afin de l’offrir aux humains, et dont il nous offre l’avatar féminin, mais aussi les créations d’auteurs contemporains, réels ou supposés, comme le poète Shelley ou l’occultiste Aleister Crowley, dont Moore semble être un disciple. Les allusions à la Kabbale (multiplication de représentations de l’arbre séphirotique, l’arbre de vie des Juifs qui ouvre le chemin de la Connaissance) et au Tarot (les lames structurent le chemin vers l’éveil) sont dans le sillage de leurs incantations.
Promethea est en tout cas la pierre angulaire de l’œuvre d’Alan Moore. On y trouve plus d’un point commun avec From Hell, V pour Vendetta ou Watchmen. Moore serait-il la dernière incarnation de sa magicienne et nous, ses lecteurs, ses prochaines incarnations ? Qui sait ? Restons éveillés !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Promethea T. 2 - Par Alan Moore (scénario), J. H. Williams III (dessin) et Mick Gray (ancrage) - Urban Comics - Sortie le 5 mars 2021 - 18,50 x 28,20 cm - 352 pages - 35 €
Lire la chronique du tome 1 :
Dense, philosophique, personnel, captivant, prophétique, le Promethea d’Alan Moore & J.H. Williams ressort chez Urban Comics
[1] Controverse sur la nature humaine de Jésus et son rapport à Dieu.