Que signifie pour vous d’exposer de la bande dessinée dans ce lieu ?
On s’est rendu compte que la bande dessinée -qui est maintenant reconnue comme un art majeur- avait pour auteurs un très grand nombre de personnes, en France mais aussi dans les autres pays, qui étaient d’origine étrangère, qui étaient d’origine immigrée, au premier rang desquels figurent René Goscinny et Albert Uderzo, le premier d’origine polonaise, l’autre italienne. Ils ont inventé le personnage qui est peut-être le plus franco-français qui puisse exister : Astérix.
C’est à partir de ce point de départ que nous nous sommes dit que ce serait intéressant de les exposer, à la fois pour mettre en valeur l’art de la bande dessinée comme un art majeur, de montrer sa réalité mais aussi l’art, la beauté du geste, du dessin, des gouaches et des encres,... et, en même temps, de porter à travers la bande dessinée l’histoire de l’immigration -ce qui est notre rôle- de la faire connaître et reconnaître. Nous nous sommes adressés à des commissaires experts car la bande dessinée, comme l’histoire de l’immigration, ne supportent pas l’approximation. Et Vincent Bernière, Vincent Marie et Gilles Olivier ont fait un travail extrêmement sérieux. Il faut aussi prendre cela en considération : nous avons avec la BD un instrument qui inspire des sentiments de manière extrêmement rapide. En deux cases, trois bulles, vous êtes dedans ! Cette immédiateté correspond tout-à-fait à notre volonté pédagogique de raconter l’histoire de l’immigration. Les deux vont bien ensemble.
Quelles sont les œuvres qui vous ont le plus marqué ?
Il y a trois grandes périodes, à mon avis. Il y a d’abord la période où les Américains ont inventé le genre. Chez George McManus, l’auteur de Bringing Up Father (La Famille Illico en français) est l’histoire de cet Irlandais immigré qui termine milliardaire dont la femme est une parvenue. C’est une histoire d’immigration comme il y en a eu des milliers, en particulier aux États-Unis avec les Juifs de Brooklyn.
L’autre pôle, à mon avis, est toute cette bande dessinée qui raconte l’histoire de l’immigration à travers des autobiographies. On y retrouve des Portugais, des Africains, des Yougoslaves... Toute cette humanité qui fait la France d’aujourd’hui.
Il y a enfin un troisième pôle, c’est la bande dessinée de reportage, qui relate l’histoire immédiate. On y retrouve des récits que l’on peut voir au 20 heures ces jours-ci à la télévision : des bateaux pleins d’émigrants qui vont couler et des dizaines de morts...
La bande dessinée ne dispose-t-elle pas de moyens dérisoires face à cela ?
Non, je ne crois pas car j’ai observé que, quel que soit le mode de dessin, la façon dont l’artiste s’empare du sujet, que ce soit un Enki Bilal qui, même s’il n’avait pas fait de bande dessinée serait un peintre de l’importance de Soulages, à des créateurs au dessin plus simpliste, tous ont une grande sincérité.
Immédiateté, sincérité... Pour décrire des événements tels qu’on peut les voir aujourd’hui, moins on élabore, moins on y réfléchit, moins on y introduit de données politiques, philosophiques, juridiques, mieux on raconte les hommes. La bande dessinée a incontestablement une vertu humaine éclatante : il n’y a pas besoin de passer des heures à l’apprendre ; en trente secondes, on sait de quoi il s’agit, on éprouve les sentiments de l’immigration. L’amour finit par trouver quelqu’un qui le recueille, comme un étranger finit par s’intégrer là où il s’est installé, après beaucoup de difficultés.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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