Si vous êtes féru de bande dessinée érotique, vous connaissez certainement l’un des chefs d’œuvres de Georges Pichard, intitulé La Comtesse rouge. L’auteur de Blanche Épiphanie et de Paulette y adaptait le récit de Léopold von Sacher-Masoch racontant les sévices que la Comtesse Elisabeth Bathory aurait perpétré sur d’innocentes jeunes filles.
Raúlo Cáceres reprend ce classique en le transposant dans un sabbat vampirique et lubrique. En effet, sa comtesse a survécu à la mort ce qui lui permet de recueillir les fruits de la vie et de jouir sans entrave dans la nuit. Notre-Dame des Tombeaux ne connaît que l’orgie, le sang et le sexe. Voleuse de sperme, dévoreuse de chair, cette insatiable gourmande de plaisirs en tous genres, pourvu qu’ils soient violents et sadiques, recherche aujourd’hui un mystérieux cercueil maudit. Mais des traqueurs de vampires sont eux aussi en chasse...
Réalisé entre 1998 et 2001, les vingt-et-un épisodes (184 pages) d’Elisabeth Bathory constituent l’œuvre de jeunesse de Raúlo Cáceres, dont les Saintes Eaux avaient été notre coup de cœur en 2020. L’auteur avait alors une vingtaine d’années et se livrait corps et âme dans une saga érotico-horrifique, certes un peu moins aboutie que les Saintes Eaux, mais tout aussi intéressante.
Les lecteurs qui avaient apprécié ce précédent et imposant volume publié par Tabou en 2020 vont y retrouver une filiation dans la thématique, car Raúlo Cáceres y analyse une légende européenne, plus spécifiquement espagnole, centrée sur le vampirisme. Mais Elisabeth Bathory est beaucoup plus pornographique dans sa forme : cela fourre à tout-va à chaque page, de manière extrêmement bestiale. L’auteur fait d’ailleurs fonctionner son imagination pour composer des tableaux uniquement réalisables par des non-vivants : une tête arrachée occupée d’un côté, tandis le son corps s’active de l’autre, etc.
Face à cet étalage, on se surprend à apprécier le décalage apporté aux dialogues, rapportant des éléments du folklore ou faisant avancer l’intrigue. Presque humoristique, ce décalage bienvenu permet de supporter cette succession un peu répétitive de coïts horrifiques. Rappelons en effet que la série était prévue initialement pour une publication en épisodes, et qu’il fallait donc que chacun d’entre eux comporte ces traditionnelles séquences.
On reste surtout subjugué par l’incroyable encrage de Raúlo Cáceres ! Les lecteurs qui ont apprécié Les Saintes Eaux retrouveront avec plaisir ses immenses double-pages où l’auteur s’applique avec soin et audace dans la réalisation de ses noirs. Il en est de même avec des compositions de pages aux textes le plus souvent séparés des réalisations graphiques, comme dans les anciennes gravures.
Certes, l’utilisation des gris et l’accumulation de petits traits, surtout dans les chapitres intermédiaires, ne sont pas toujours des plus heureuses, car elles nuisent un peu à la lisibilité. Mais cela rend passionnante la succession des chapitres, car l’on découvre comment l’auteur a progressivement mis en place de nouveaux procédés narratifs.
Théâtre à la fois d’expérimentations graphiques qui annoncent le futur style de Raúlo Cáceres, et d’un abandon sans conditions au genre horrifico-érotique, Elisabeth Bathory est un récit de jeunesse de l’artiste qui vaut beaucoup plus que le détour. Mais il est vraiment à conseiller aux nos amateurs à l’estomac très accroché et qui ne s’offusqueront pas de scènes nécrophiles bien plus sanguinolentes que celle de Magnus.
Quant à la suite, l’éditeur nous annonce un artbook de Raúlo Cáceres à paraître pour la fin de l’année.
(par Charles-Louis Detournay)
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Du même auteur, lire notre précédent article : "Les Saintes Eaux" : chef d’œuvre mystico-pornographique