Virginie, comment est né cet enthousiasmant projet ?
Dargaud m’a contactée… sans savoir que j’étais une fan absolue de Valérian et Laureline ! La demande venait d’ailleurs également de Pierre Christin : il souhaitait travailler avec un dessinatrice, comme il avait pu le faire par le passé avec Annie Goetzinguer entre autres. Je n’ai donc pas hésité un seul instant.
L’idée du récit était très balisée.
Pierre avait déjà une idée très précise de l’histoire qu’il voulait raconter, qui se positionne donc après le dernier tome de la série que vous connaissez. Son script était déjà prêt et n’attendait que moi. Je l’ai lu et j’étais emballée. C’est ainsi que nous avons commencé à travailler ensemble, un plaisir doublé d’une facilité car j’ai découvert que Pierre n’habitait qu’à quinze minutes de chez moi !
Les planètes étaient alignées !
Oui ! On s’est donc mis au travail. Je dessinais de mon côté, et lui envoyais progressivement des séquences de découpage, le rough puis l’encrage. Et puis il nous arrivait de discuter des éléments ensemble pour bien se coordonner.
Quelle était votre sensation en travaillant avec Pierre Christin ?
Collaborer avec lui est extraordinaire ! Il est d’une grande simplicité et d’un professionnalisme absolu, ce qui m’a beaucoup aidé car j’étais très impressionné par le grand auteur qu’il est. Cela s’est heureusement révélé une collaboration basée sur l’échange, comme j’en ai eu avec d’autres scénaristes.
Le contexte de l’album évoque beaucoup les histoires et la part de création qu’il y a en chaque auteur…
Cet album parle surtout de Pierre lui-même. Du conteur qu’il est, en particulier à travers son alter ego dans la série, à savoir Monsieur Albert (qui est d’ailleurs mon personnage préféré.)
Bien sûr, il fallait vous frotter aux personnages iconiques de Valérian et Laureline… surtout qu’ils n’ont pas l’âge qu’on leur connaît dans la majorité des albums !
C’était d’ailleurs un petit peu frustrant, car je suis très fan des personnages en tant que tels. Je m’attendais à réaliser de grands voyages interstellaires, mais Pierre m’a dit : « Attends, ne t’emballe pas, on reste sur Terre. »
Ce n’est pas complètement le cas, car il y a toutes des séquences qui se déroulent ailleurs, le récit respecte l’ADN de la série, mais c’est vrai que j’ai dû ranger mon scaphandre au placard. Je le reprendrai pour une éventuelle prochaine fois ! Mais c’était surtout très intéressant de se rendre compte que cet album présenté comme un hors-série, vient se placer exactement à la suite des Valérian existants.
Peut-on y voir un passage de relais sur la série ?
Dans l’idée de Pierre, je pense qu’il y a quelque chose de cet ordre-là. C’est un passage de relais très général, voire générationnel. Ce n’est pas pour rien qu’il a repris les personnages en tant qu’enfants. Pour moi, j’y vois donc un relais et une ouverture…
Restait également la question du graphisme : vous êtes-vous senti un peu tétanisée par le travail de Jean-Claude Mézières ?
Il m’était impossible de me mesurer au dessin incroyable de Jean-Claude qui est juste fabuleux ! Je le lui ai dit lorsqu’on s’est rencontrés !
Comment alors tracer son chemin ?
Et bien, on se débrouille ! Tout d’abord, au niveau de la technique : mes précédents albums en traditionnel ont été réalisés au crayon. J’ai donc travaillé mon encrage en numérique sur Joe la Pirate avant de commencer le Valérian et Laureline. J’ai bien regardé l’encrage de Jean-Claude par le passé, qui me fascinait par son apparente simplicité, mais aussi parce qu’il est vif, intelligent et bien placé ! C’est un dessinateur instinctif, son encrage s’apparente à une véritable écriture. Je me suis dit que je devais apprendre sans jamais rêver de le rivaliser car je n’en aurais pas l’occasion.
Or, voici que l’occasion m’en était donnée, et je me suis dit que je devais aller chercher ce qui était le plus vif et le plus instinctif en moi. Dargaud m’a rassuré en me rappelant que c’était un album "Vu par…" . « Donc, nous sommes surtout intéressés par ta personnalité graphique, m’ont-ils dit, Tu as carte blanche. » J’ai donc commencé par les bases : réaliser des recherches…
Des recherches sur les personnages ?
Oui, j’ai commencé par Laureline, qui m’apparaissait à la fois la plus évidente, tout en restant la plus importante. Si on se mettait d’accord sur un graphisme commun, le reste allait suivre normalement plus facilement. J’ai dessiné plusieurs versions de Laureline, dont une avec les cheveux courts. Puis je me suis attaqué à Valérian en restant davantage dans les clous, tout en regardant ce que Mézières avait fait dans la dernière planche de L’OuvreTemps. Quant au schniarfeur, comme on m’avait donné carte blanche, je suis parti sur des postures qui se rapprochent du singe, etc.
Après avoir tout envoyé à Pierre, il m’a dit : « Alors oui, c’est très bien ! Très bien ! Mais les cheveux courts ne vont pas à Laureline, tu lui remets les cheveux longs. Puis les yeux sont trop mangas… Puis pour le schniarfeur, cela ne va pas du tout, tu repars de ce qu’a fait Jean-Claude. »
À partir de là, j’ai compris comment le degré de liberté évoqué venait de se réduire tout en se précisant. Cela restait bien entendu très intéressant pour moi qui, venant de l’animation, a l’habitude de s’inspirer d’un style pour coller à un univers existant. Car j’avais tout de même la liberté de ne pas tomber dans la pure imitation. Je me suis donc interdit de trop réfléchir et j’ai foncé en gardant la structure des personnages.
S’il fallait coller au cadre de manière générale, on sent que vous vous êtes libérée à certains moments, surtout dans l’espace, avec de nouvelles créatures...
Oui, je me suis complètement lâchée sur ces pages-là. Ce qui était d’ailleurs paradoxal, car hormis Mézières, je n’aime pas vraiment la science-fiction. C’est pourtant venu tout naturellement, je me faisais avant tout plaisir !
Comment allez-vous travailler votre prochain album : en traditionnel ou en numérique ?
Le Conan que j’ai fait était réalisé de manière traditionnelle, puis j’avais enchaîné avec Joe la Pirate en numérique, au cours duquel j’ai appris de nouvelles choses dans mon encrage. Ce que j’ai appliqué dans cet album-ci, tout en me rendant compte que j’ai intérêt à travailler sur un format un peu plus grand avec le temps. Par la suite, je vais continuer à alterner d’un album à l’autre, car les deux techniques me permettent de compléter mon dessin en expérimentant d’un côté, puis en appliquant mes trouvailles de l’autre.
Et quels sont alors vos prochains terrains d’actions ?
Deux projets : tout d’abord le tome 3 du Petit Théâtre des opérations chez Fluide Glacial, sauf que l’on va mettre en scène des femmes sur le front. C’est en prépublication dans Fluide Glacial et cela paraîtra en 2023. Je trouve cela très drôle et je m’amuse beaucoup. Et mon second projet en cours traite de l’Histoire de la Comédie française avec Michaël Le Galli.
Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.
(par Charles-Louis Detournay)
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Valérian et Laurine par Christin & Augustin : Là où naissent les histoires - Dargaud
Paru le 16 Septembre 2022 - 56 pages - 13,50 €
Concernant cet univers, lire quelques-uns de nos nombreux articles :
Disparition de Jean-Claude Mézières et Le grand Jean-Claude Mézières, le fabuleux dessinateur de "Valérian et Laureline", est mort
notre analyse de son artbook paru fin 2021 : L’Art de Mézières
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Jean-Claude Mézières : "Je ne suis pas contre que d’autres auteurs apportent leur vision sur Valérian" (2010)
Une interview des deux auteurs : "Même si Valérian et Laureline ne sont pas immortels, ils peuvent vivre une vie sans fin" (Mars 2007)
Photos de Virginie Augustin : Charles-Louis Detournay.
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