En 1986, le gouvernement Thatcher met en place la tristement célèbre Section 28, une loi interdisant aux services publics de « promouvoir » l’homosevixualité, qualifiant les relations amoureuses homosexuelles de « fictives ». Nombre d’artistes britanniques vont participer au combat contre cette loi (Boy George avait par exemple écrit une chanson à ce sujet), dont les effets délétères se feront sentir un peu partout, entre autres dans les écoles et bibliothèques - elle ne sera en fait abrogée qu’en 2003. Moore, qui à l’époque vivait avec sa femme et la compagne de sa femme, décide d’auto-publier A.A.R.G.H ! (« Artists Against Rampant Government Homophobia », « Les Artistes contre l’homophobie endémique du gouvernement »), une anthologie à laquelle il conviera une partie du gratin des comics, dont Neil Gaiman, Bryan Talbot ou Kevin O’Neill. Moore écrit pour ce volume The Mirror of Love, une histoire de 8 pages illustrée par Steve Bissette et Rick Veitch (ses collaborateurs sur Swamp Thing), qui contera sur plusieurs milliers d’années l’histoire des amours homosexuelles.
Une dizaine d’années plus tard, A.A.R.G.H ! était un peu oublié, mais le photographe José Villarrubia (qui travaille aussi comme coloriste, entre autres pour Jae Lee) adapta pour le théâtre le texte de Moore, en en faisant un monologue, la narration en ‘voix off’ de la version originale se prêtant très bien à cette transformation. Villarubia n’en avait alors pas fini avec ce texte. Quelques années plus tard, il décide les éditions Top Shelf à en publier une nouvelle version en livre illustré. Dans ce volume, chaque double page présente sur la page de droite quelques lignes du texte de Moore, accompagnées sur la page de gauche d’une photo de José Villarrubia (il en a réalisé une bonne quarantaine).
Moore a réussi avec ce texte à mêler les références historiques et sociales avec un ton lyrique et élégiaque renforcé par la narration à la première personne du pluriel (une personne de sexe indéterminé s’adresse à son aimé(e)). Le travail de Villarrubia est tout aussi remarquable, avec une variété de style allant de l’illustration fidèle du texte (les Spartiates) au presque abstrait (du sang sur la neige pour le passage sur les horreurs nazies), en passant par des idées poétiques comme une goutte de sang sur les lèvres d’une statue (en face d’un passage sur Michel-Ange).
Comme toutes les œuvres au sujet pointu et de grande qualité, The Mirror of Love peut aussi bien intéresser les lecteurs qui veulent s’informer sur le sujet, que ceux qui apprécient les écrits de Moore. Ce n’est sans doute pas un hasard si Moore lui-même considère ce travail comme l’un de ses meilleurs, et avec la participation d’un artiste du calibre de Villarrubia, le résultat est bien parti pour être considéré comme l’un des sommets de la carrière d’un scénariste déjà largement célébré.
Voir en ligne : Site de l’éditeur
(par François Peneaud)
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