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Simon Andriveau : "La créativité naît de la contrainte des 46 pages"

Par Charles-Louis Detournay le 11 novembre 2008                      Lien  
Avec {le Grand Siècle}, ce jeune auteur nous démontre les capacités de son éblouissante palette graphique, alliée un scénario aussi étonnant que captivant. Toujours en train de griffonner, Simon Andriveau, lucide, se remet perpétuellement en question, tout en demeurant sûr de ses choix artistiques.

D’où vient l’idée du Grand Siècle, le thème de vos albums ?

C’est toujours voulu faire de l’historique, je voulais travailler sur les costumes d’époque entre le XVIe et XIXe, qui sont fort ancrés dans l’imagination populaire. Puis, en effectuant mes recherches, je me suis focalisé sur cette seconde partie du XVIIe, en particulier la période allant de 1666 à 1709. Dans chacun des cinq tomes qui formeront la globalité de la série, je sais ce qui doit se passer en termes d’action et à quel moment. Sur cette période, il y a des faits historiques qui se sont déroulés que j’approprie pour les traduire dans mon intrigue. Je jongle avec l’espace et le temps, afin de voir le maximum de choses : la France profonde, les pirates, les ruelles parisiennes, la mort de Louis XIV.

Par rapport à d’autres séries qui mettent en valeur l’Histoire par les personnages, on sent que vos héros sont réellement moteur de leur vie, et que ce sont leurs destinées, l’Histoire étant vraiment en toile de fond.

Simon Andriveau : "La créativité naît de la contrainte des 46 pages"Ce n’est effectivement pas très académique, mais je cherche à surprendre le lecteur, à l’éloigner des sentiers battus, car je veux réaliser des albums originaux et surprenants.
Chacun des cinq albums porte le nom et est narré par un personnage. Chacun d’entre eux possède un talent particulier qui le rend supérieur à ses contemporains. La force herculéenne d’Alphonse, l’intelligence et la débrouillardise de Benoît. Moplai, qui sera au centre du troisième tome, est un bretteur hors pair. Concernant Bénédicte dont un album pourrait porter le nom, elle semble être une grande intrigante. Ces personnages hors du commun vont donc se rencontrer, s’allier et s’opposer en tournant autour de l’intrigue centrale, ce que Moplai veut faire de ce rapport d’autopsie de Louis XIII, qu’est-ce que Bénédicte veut faire de Moplai et de son enfant ? Intrigues et trahisons seront donc au programme jusqu’au cinquième tome qui portera un nom plus particulier, et qui révèlera le vrai héros de ce récit.

Dans le premier tome, Alphonse, vous faites évoluer longuement vos personnages dans un camp de gitans. À la lecture du second tome, Benoît, on s’interroge sur l’importance de ce passage : vous auriez pu vous en passer sans nuire à la trame principale. Est-ce le remplissage des fatidiques 46 pages ?

Je voulais aborder ce thème rarement mis en avant en bande dessinée. Il y a bien sûr cet impératif de rentrer dans les 46 pages, mais c’est ce qui est également fort sympathique, car cela vous fait choisir des options qui n’auraient peut-être pas forcément prises délibérément. Il y a une créativité qui naît de la contrainte, on dit d’ailleurs souvent qu’il n’y a pas de liberté sans contrainte. C’est une chose que j’ai apprise en réalisant mon film d’animation de fin d’études. Bien sûr, les grands professionnels se libèrent sans doute de ce carcan ‘créatif’, mais c’est loin d’être mon cas !

Toujours dans votre premier tome, Alphonse, on pouvait noter des mots modernes et des injures assez peu historiques qui ponctuaient vos textes, cela se calme dans le second tome.

Je compte toujours utiliser le même langage, c’est la façon dont je parle. L’occasion s’est effectivement moins présentée dans le second tome, mais je n’ai pas pour autant revu ma copie. Je ne veux pas coller au langage historique, je fais une traduction d’un vécu, comme le lecteur peut le lire. Benoît semble parfois parler d’une manière guindée alors qu’Alphonse est plus vulgaire, mais cela colle au personnage, tout en étant traduit de manière contemporaine.

Concernant votre dessin, dans le premier tome, vous employez parfois des codes humoristiques (petits nuages noirs au-dessus de la tête d’un personnage) alors globalement, vous évoluez plus dans une veine très réaliste.

Je fonctionne vraiment à l’envie, selon les besoins du moment. Effectivement, il y a des traits humoristiques dans le premier tome, comme les trognes des personnages, c’est moins le cas dans le second, le ton y est d’ailleurs plus dur, encore accentué dans le troisième, pour s’arranger un peu dans le quatrième. Dans Alphonse, certaines situations auraient été difficiles à mettre en place sans une pointe d’humour, comme le massacre de la famille de Benoît qui passe mieux avec ce côté accidentel, ou l’accueil d’Alphonse et Benoît chez les gitans, qui serait alors perçu comme une suite de palabres sans fin. On peut donc gagner des pages en évitant de donner des explications assez longues. Dans le deuxième tome, le récit est plus fluide, et j’ai donc dû moins utiliser ces artifices.

Graphiquement parlant, il y a une différence de style entre la fin du premier tome et le début du second …

Sur la fin du premier tome, je prenais moins de plaisir lors de l’encrage, et on sent une certaine raideur qui s’était installée. Le temps de gestation du tome 2, que j’ai attaqué dans la foulée, ne m’a pas permis de retrouver ces sensations.

Pourtant votre cadrage évolue, le mouvement des bateaux vous semble très naturel. Bien sûr, les couleurs claires changent des bois sombres du premier tome.

C’est très subjectif, mais à mon niveau, j’ai retrouvé un trait plus libre dans les plantations, cela se sent dans les personnages et dans l’entrelacs de leurs chevelures. Je dois sentir les choses, je cherche le trait organique, naturel. Je n’aime pas le "rötringage", à savoir remplir la trame d’un espace, tandis que dans les dernières pages de ce second tome, je sentais que mon trait s’était assoupli, libéré de ce carcan qui l’emprisonne. Plus je prends d’assurance dans ces moments où cela me semble si évident, plus je me libère de mon crayonné. J’ai d’ailleurs réalisé les dernières planches d’une traite. Dans le troisième tome, j’aimerais me concentrer sur mes cadrages pour remplir mieux l’espace.

Et la suite de vos projets ? Bien sûr, le troisième tome du Grand Siècle qui s’appellera Moplai, le quatrième qui se nommerait Bénédicte ?

Ou Jacques ! (sourire) La grande trame est écrite car je sais ce dont va parler chaque album, et après je me laisse un peu de champ libre. Quoiqu’il en soit, cette série se terminera en cinq tomes : il est pratiquement impossible de faire un sixième album, car après 40 ans, tous mes personnages seront assez fatigués (sourire). Je travaille déjà depuis quelques temps sur un projet d’anticipation d’un futur assez proche, vers 2050-2100. Ce genre de date est assez confortable car on n’a besoin de beaucoup de références visuelles et, en même temps, on ne doit pas non plus récréer toute une société. Les mentalités ne devraient pas être éloignées des nôtres, tout en laissant tout de même pas mal de place à l’imagination.

Le papa du mystérieux Moplai, à côté du plus célèbre des balafrés

En tant qu’auteur complet, n’avez-vous été approché par un scénariste qui voudrait donner une autre impulsion à vos projets ?

J’ai encore pas mal d’idées en tête que je voudrais exploiter, donc l’association avec un autre auteur ne me tente pas actuellement. Mais je ne veux pas fermer la porte, car j’ai demandé dernièrement à Jean-David Morvan s’il n’avait pas envie de faire une histoire de Wolverine, personnage que j’apprécie beaucoup. Le comics est pourtant un univers qui m’est totalement inconnu et si je devais affronter cela seul, il me faudrait m’y immerger pendant une longue période.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Toutes les illustrations sont © Andriveau/Delcourt.
Photographies : ©CL Detournay.

 
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