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Morgan Di Salvia : « La dimension humaine dans le métier d’éditeur de BD est hyper importante. » [INTERVIEW]

Par Christian MISSIA DIO le 12 juin 2024                      Lien  
MERCATO. Après avoir annoncé son départ du poste de rédacteur en chef de Spirou Magazine, Morgan Di Salvia entame une nouvelle étape de sa carrière en tant qu'éditeur chez Casterman, avec prise de fonction le 3 juin. Nous avions recroisé notre ancien collègue lors d’une de ses dernières missions pour les éditions Dupuis. En effet, il accompagnait les auteurs Cyrille Pomès et Carine Barth à l'occasion de la publication de leur nouvelle série "Lieutenant Bertillon", un entretien que vous pourrez lire bientôt sur ActuaBD.com. Nous avions profité de l'occasion pour recueillir les impressions de l'ex-rédacteur en chef de Spirou à l'aube de ce nouveau chapitre de sa vie professionnelle dans la BD.

Bonjour Morgan Di Salvia, tu étais le rédacteur en chef de Spirou, mais tu as annoncé ton départ sur ton compte LinkedIn il y a quelques semaines. Quelles sont les raisons de ton départ ?

Morgan Di Salvia : Parce que j’aime bien les chiffres ronds et que 5 ans, c’était bien. Mais j’avais envie de vivre une nouvelle aventure. On m’a proposé un rôle d’éditeur chez Casterman, et j’avais envie de changement. Quitte à changer, autant faire un grand changement. C’est comme ça que j’ai décidé de fermer le chapitre Spirou de ma vie professionnelle. J’étais relativement triste de le faire, mais en même temps, on sait qu’on ne le fait qu’à un certain moment de sa vie. Parfois, c’est un an, parfois, c’est 5 ans, parfois, c’est 10 ans. Les plus audacieux tiennent 10 ans, mais 5 ans me paraissaient pas mal.

Tu as été rédacteur en chef de Spirou pendant 5 ans, mais tu avais déjà de nombreuses collaborations avec cet éditeur avant, notamment lorsque tu étais journaliste chez nous, sur ActuaBD. Durant combien de temps as-tu collaboré activement avec les éditions Dupuis au total ?

La première fois que Dupuis m’a donné de l’argent pour écrire, c’était le 9 septembre 2009. Je m’en souviens bien car il y avait plein de 9 dans la date de la facture. Cela fait donc une quinzaine d’années, mais de cœur, ça fait 35 ans, car je suis abonné à Spirou depuis que j’ai 7 ans et j’en ai 42 aujourd’hui. En fait, ce catalogue a été vraiment important pour moi et j’étais très heureux de pouvoir y contribuer et le défendre pendant ces cinq années. Après, le monde est vaste et c’est chouette de pouvoir vivre d’autres expériences. On m’a proposé de nouvelles opportunités, j’ai réfléchi et j’ai décidé d’accepter. C’est aussi simple que ça, en fait.

Quel bilan tires-tu de tes cinq années en tant que rédacteur en chef ? Quelles sont tes principales réalisations ?

C’est vraiment difficile de répondre moi-même à ça... Sincèrement, je n’ai pas de recul sur ce que j’ai fait, donc je ne sais pas du tout si, avec le recul de l’histoire, c’était une période nulle, moyenne, médiocre, pas mal, passable, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que nous n’avons pas eu de chance avec les circonstances industrielles et sociétales.

Je suis arrivé en juin 2019, et j’ai dû faire face au Covid, à l’augmentation de 100 % du prix du papier, à la grève des diffuseurs, à la faillite de notre diffuseur, à la faillite de l’imprimeur, au changement d’imprimeur, puis encore un autre changement d’imprimeur. J’ai passé beaucoup de temps à colmater des fuites industrielles, ce qui a pris pas mal d’énergie. Mais je crois que je laisse le journal dans un meilleur état que je l’ai trouvé, et c’est ça qui m’importe... Je ne dis pas ça pour me vanter, mais je crois que c’est le cas. Dans un monde où la presse papier souffre beaucoup, le Journal de Spirou se porte bien. Le Journal de Spirou ne perd pas d’argent, et je pense qu’artistiquement il est à flot. Nous avons beaucoup de propositions intéressantes en bande dessinée. Ce qui est difficile, c’est que le genre tout public que le journal défend n’est plus forcément celui qui est le plus à la mode de nos jours. On vit une époque, dans tous les domaines culturels, que ce soit la musique, le cinéma ou la bande dessinée, où tout est très segmenté. Si tu as une application de streaming ou de cinéma, elle va te conseiller uniquement ce que tu aimes déjà. C’est exactement l’inverse de ce que nous faisons dans Spirou.

Nous proposons une offre clé en main pour toute la famille avec 52 pages qui ne vont pas forcément plaire à tout le monde. Nous essayons de proposer du plaisir de lecture pour une fille ou un garçon de 9 ans, comme pour son grand frère ou sa grande sœur, ou un parent ou un grand-parent. C’est ça toute la difficulté, le numéro d’équilibriste de Spirou. Je pense que pour le moment, ce n’est pas mauvais, mais je suis vraiment le plus mal placé pour faire mon autocritique, je ne peux pas.

Morgan Di Salvia : « La dimension humaine dans le métier d'éditeur de BD est hyper importante. » [INTERVIEW]
Spirou Magazine n°4495 du 5 juin 2024
C’est dans ce numéro de Spirou qu’est annoncé le départ de Morgan Di Salvia

Je reformule ma question : Parmi tes prédécesseurs, auquel te sens-tu le plus proche dans ton travail ?

Je vais me faire des ennemis, je ne te remercie pas pour la question (rire). Bon alors, je vais faire une réponse de Normand. C’est grâce à Patrick Pinchart (fondateur du site ActuaBD.com, NDLR) que je me suis abonné à Spirou, car il était le rédacteur en chef à l’époque de mon premier abonnement. J’ai été adolescent sous Thierry Tinlot et, forcément, c’était un traumatisme de rire, donc je lui dois beaucoup. J’ai trouvé qu’Olivier Van Vaerenbergh a été hyper audacieux et a osé des choses que je n’ai pas osé faire en termes de sortir du cadre. Frédéric Niffle a été génial comme rédacteur en chef parce que c’est un super éditeur et qu’il a fait débuter des séries comme Dad et Imbattable, qui sont géniales. Tu vois, je dois un peu à tout le monde, mais finalement, on l’a tous fait à notre manière avec juste un point commun qui a traversé les générations : Spirou est un journal rigolo et humaniste, et ça, on l’a tous respecté. C’était la ligne de conduite que nous nous sommes tous fixée et que j’ai voulu respecter.

Quelles sont tes intentions en tant qu’éditeur pour Casterman ? Quels genres de BD souhaites-tu promouvoir ? As-tu déjà des idées sur les types d’auteurs que tu aimerais signer ?

En fait, ce qui est super, c’est que Benoît Mouchart, le directeur éditorial de Casterman, m’a proposé de rejoindre l’équipe en me disant : « On a vu ce que tu as fait avec Spirou, on sait ce que les auteurs pensent de toi, donc du moment que tu es dans la ligne de Casterman, on te fait confiance, fais ce que tu veux ». C’est génial comme feuille de route parce que c’est très vaste. Donc, je pense que je vais d’abord observer ce que les autres éditeurs chez Casterman ont signé ces derniers temps pour éviter les doublons. Ensuite, j’ai envie de développer des séries, car il me semble que ce genre va revenir au premier plan des bandes dessinées.

J’aime bien toutes les BD. Tu sais, le soir, pour me détendre de mon boulot, je lis des BD. Donc je pense que je vais signer des œuvres très différentes, mais ça dépendra des rencontres. La dimension humaine dans le métier d’éditeur de bandes dessinées est hyper importante.

Si j’ai fait ce livre avec Cyrille Pomès et Carine Barth (Lieutenant Bertillon), c’est parce qu’on s’est bien entendus humainement. Je pense que ce facteur est très important et ça, tu ne peux pas le prévoir. Tu peux avoir envie de travailler avec quelqu’un, mais si le courant ne passe pas, tu ne feras pas un bon livre, ou alors ce sera un heureux accident.

Il faut qu’on puisse apporter quelque chose aux auteurs en tant qu’éditeurs. Nous sommes généralement leur premier interlocuteur, donc il faut qu’on puisse leur apporter quelque chose. Les créateurs, c’est eux. Nous, on est parfois le psy, parfois le punching-ball, parfois le conseiller, parfois le correcteur. Ça dépend. Chaque auteur a des besoins différents. Il faut créer des rapports humains avec les auteurs, et c’est ça qui orientera les choix, je pense.

Dernière question. Selon toi, quelle est la qualité primordiale qu’un éditeur doit avoir dans sa relation avec ses auteurs ?

Pouvoir les écouter et être disponible pour eux et toujours être franc. Et dans 99% des cas dire la vérité.

Le gag annonçant le départ de Morgan Di Salvia
Fabcaro, Fabrice Erre & Sandrine Greff © Dupuis

(par Christian MISSIA DIO)

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