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Les Trolls de Troy font du ski !

Par Charles-Louis Detournay le 11 janvier 2020                      Lien  
40 ans après les Bronzés, les plus poilus des héros de bande dessinée partent aux sports d'hiver. L’occasion d’une rencontre avec Jean-Louis Mourier et Claude Guth, amis et partenaires depuis plus de vingt ans.

Cette nouvelle aventure débute par un banquet comme seuls les Trolls de Phalompe savent les organiser. Mais voilà qu’une météorite s’approche du village et menace de l’écraser ! Heureusement, Waha, grâce à son pouvoir aléatoire, bloque l’astéroïde au dernier moment. Mais il n’y a pas que ce gros caillou en feu qui se retrouve figé : Tetram, Puitépée et tous les villageois sont également pétrifiés ! Les seuls à pouvoir encore bouger sont Waha, la petite Tyneth et le vieux sorcier. Et pour se débarrasser de la météorite incandescente, il va falloir trouver un dragon cracheur de glace... Direction la station de sports d’hiver la plus proche et tant pis pour ceux qui se mettraient en travers de leur chemin !

Comme à son habitude, Christophe Arleston dégote une nouvelle idée pour sortir les Trolls de leur village et les envoyer à la rencontre des humains. Cette fois, cette caricature très humoristique de notre société cible les sports d’hivers : les remontées mécaniques, les moniteurs de ski, les fondues au fromage, les enfants envoyés sur les pistes pendant que les parents se la coulent douce, la piscine et les chalets BCBG pour les plus nantis des vacanciers, rien n’est épargné !

Si le scénariste ramène des personnages rencontrés dans de précédentes aventures pour mieux doper son intrigue, ce cadre neigeux est surtout l’occasion de profiter de superbes illustrations réalisées par Jean-Louis Mourier et mises en couleurs par Claude Guth, qui collaborent, se connaissent et s’apprécient depuis plus de vingt ans.

Après une première lecture où l’on peut profiter des enchaînements entre gags et bagarres sans temps mort, on re-parcourt l’album avec un plaisir non dissimulé pour revoir certaines superbes mimiques de Waha, plus terrible que jamais. On revient surtout sur les nombreux arrière-plans qu’animent de délicieux et volontairement caricaturaux personnages secondaires. Un régal !

Cette multiplicité de degrés de lecture (petits et grands profiteront une fois de plus de ce récit à plusieurs niveaux), sa lisibilité et son rythme nous ont donné envie de rencontrer le dessinateur Jean-Louis Mourier et le coloriste Claude Guth, afin qu’ils se dévoilent en un portrait croisé :

Jean-Louis Mourier : Parce qu’Yves Lencot réalisait à l’époque les couleurs de Lanfeust [1], l’éditeur trouvait légitime qu’il s’occupe également de Trolls de Troy. Mais sur le premier album de la série, j’ai passé plus de temps à corriger des éléments directement sur les bleus qu’à presque réaliser les couleurs par moi-même. Nous nous sommes mis à la recherche d’un nouveau coloriste et nous avons été attirés par le travail de Claude, notamment chez Delcourt : sur Vauriens bien entendu, mais aussi sur Le Pouvoir des Innocents ou L’Esprit de Warren. Tout cela donnait déjà un bon exemple de son travail, car il œuvrait parfois en couleurs directes. Il était déjà un très bon illustrateur, mais pas seulement. Lorsque j’ai vu tout cela, j’ai compris que c’était quelqu’un qui comprenait le dessin. Parce qu’il dessinait lui-même, il savait déchiffrer celui des autres.

Claude Guth : : Comprendre le scénario est également important à mes yeux. Lorsque je travaille, le scénario de Christophe [Arleston] est posé sur ma table : il comprend tout un descriptif de la séquence, ce qui me donne beaucoup d’informations sur la couleur. Et puis, la relation entre également beaucoup en jeu. Dès notre rencontre avec Jean-Louis et Christophe, nous avons ressenti une grande affinité entre nous, et nous sommes tous immédiatement devenus très vite amis. Ce sont des personnes entières, spontanées et sincères. J’adore ce genre de relation basée sur la franchise. C’est aussi très important pour moi d’avoir des valeurs en commun.

Claude Guth & Jean-Louis Mourier (de g. à d.)
Photo : Charles-Louis Detournay.

JLM : Dans une relation professionnelle, il y a toujours un moment où des couacs se produisent, il faut donc discuter et échanger pour trouver des solutions. Surtout que la couleur peut apporter mille interprétations possibles d’une seule planche ! Ce qui m’a positivement surpris lorsque j’ai commencé à travailler avec Claude, moi qui fait beaucoup d’illustrations couleurs (et mêmes les couleurs de certains de mes albums), je n’ai pourtant pas retrouvé dans ses propositions ce que je visualisais en dessinant.

CG : La relation entre un dessinateur et un coloriste se déroule mal lorsque le dessinateur s’attend justement à ce que le coloriste reproduise simplement sa propre vision des couleurs, ce qui est impossible car chaque coloriste apporte sa propre spécificité. La relation ne fonctionne que lorsque le dessinateur oublie sa vision de la couleur et que le coloriste travaille dans le sens de la narration.

JLM : Lorsque j’ai vu tes premières mises en couleurs sur Trolls de Troy, j’étais effectivement surpris. Je sortais des Feux d’Askell où j’avais réalisé les couleurs moi-même, et d’emblée, tu étais parvenu à directement produire de très belles pages dans des ambiances que je n’avais pas imaginées. Par exemple, prenons le grand chantier dans le tome 2 de Trolls de Troy (notre première collaboration), j’avais imaginé une atmosphère étouffante sous un soleil éclatant, alors que tu étais parti dans une ambiance plombée, dans la boue et la pluie. C’était parfait ! Et plus logique par rapport à l’histoire.

CG : Pourtant, de mon côté, je n’étais pas pleinement satisfait de ces premières planches que j’avais amenées à Angoulême, justement le lieu de notre première rencontre. Le trait de Jean-Louis était un peu différent par rapport à aujourd’hui, avec beaucoup d’aplats noirs et un encrage au pinceau assez lâche. Avec ces masses de noirs, j’ai souvent tendance à charger les couleurs pour apporter de la profondeur…

JLM : À l’époque, je pensais encore qu’une planche devait être déjà complète et finalisée en noir et blanc. Ce qui est une erreur, car la couleur habille, pose l’ambiance et apporte beaucoup d’informations. Contraindre la couleur par de l’excès de dessin est un contre-sens, car on ne peut par exemple plus mettre en avant un élément lorsqu’il est noyé par les aplats noirs. De même, lorsque je suis passé à l’ordinateur, je me suis fait piéger pendant un moment en dessinant plus de détails, ce qui amenait un encrage plus fin. On continue toujours à apprendre, et cette évolution démontre qu’on prend encore et qu’on trouve toujours du plaisir dans ce qu’on réalise, qu’on continue à s’investir.

CG : Je suis passé au numérique pour la même raison, conjuguer ce sentiment de tourner en rond, qu’il fallait me mettre en danger pour apprendre de nouvelles choses. Et j’ai appris, car j’ai cherché à mettre en place une technique qui allie les qualités de l’informatique à un grain qui se rapproche de la mise en couleur traditionnelle. Puis, j’ai calibré mon écran pour que le rendu des couleurs que j’applique, moins lumineuses, soit pourtant celles qui vont apparaître à l’impression, afin d’éviter toute mauvaise surprise. Puis j’utilise le format utilisé en imprimerie, alors que d’autres préfèrent travailler sur un autre format puis le transforment pour l’impression. Pour ma part, je trouve que cela génère une perte.

JLM : Que cela soit au niveau du dessin et des couleurs, il nous a donc fallu des années pour se régler et affiner au fur et à mesure notre technique personnelle pour parvenir à cette symbiose.

CG : On continue donc à peaufiner notre collaboration, surtout au niveau des timings, car il a parfois fallu accomplir des prouesses pour respecter les délais. Je me rappelle d’un album où Jean-Louis a dessiné vingt pages en vingt jours. J’étais derrière pour assurer les couleurs, et dans ces cas-là, Jean-Louis accomplit des prodiges, car il peut dessiner une planche plus vite que le temps nécessaire à ma mise en couleurs. Il ne faut surtout pas travailler tout le temps à ce rythme, mais ces petits moments d’urgence nous permettent parfois de travailler de manière plus naturelle, en allant à l’essentiel. On regarde après cela d’un autre œil, lorsque le travail est terminé.

JLM : Je peux effectivement travailler très vite, comme lorsque j’ai dessiné et mis en couleurs un Feux d’Askell en trois mois. Mais après, je subis un gros contre-coup, ce qui ramène à une moyenne plus normale en comptant le nécessaire temps de repos. Lorsqu’on est fatigué, il ne sert à rien de travailler, le résultat ne sera souvent pas à la hauteur de vos attentes, et il faudra recommencer. Heureusement, sur Trolls, le plaisir est présent en permanence, et j’espère que cela se ressent au travers des planches.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782302078949

Trolls de Troy T24 : Un caillou sur la tête - par Arleston, Mourier et Guth - Soleil.

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 Nos autres chroniques de Trolls de Troy : tomes 7, 9, 10 et 11, 13, 14, 15 & 16, 17, 18, 19, 20, 21 et 23 ainsi que Dix ans de Trolls de Troy.

Toutes les illustrations sont tirées de cet album sont : © Éditions Soleil, 2019 – Arleston, Mourier.

[1Yves Lencot a réalisé les couleurs des six premiers tomes de Lanfeust jusqu’en 1998, avant de céder la main à Claude Guth qui en a réalisé les couleurs jusqu’à la fin de Lanfeust des Etoiles.

 
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1 Message :
  • Les Trolls de Troy font du ski !
    31 janvier 2020 21:51, par Johnny Comet

    … L’édition de son « Mourierama 2012 » révèle un artiste très créatif. Son talent de peintre illustrateur est impressionnant. C’est bien dommage qu’il n’a jamais pu se détacher des « Arlestonneries » habituelles !!!

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