La façon dont a été promotionné son nouvel album relève du cas d’école : teasing en amont dans la presse, partenariat avec Allociné, site internet dédié, présence massive dans la plupart des grands médias, enfin une tournée de 26 dates dans les librairies et les salons de province. Mais là où le phénomène atteint des sommets, c’est l’hystérie avec laquelle l’album qu’il signe avec Bruno de Dieuleveult est accueilli dans les forums de bande dessinée. Que sa BD marche ou ne marche pas, qu’elle soit sublime ou moche, il est difficile ces jours-ci d’ignorer que Jean-Jacques Beineix fait de la BD.
Un pari risqué
Il faut dire que c’est une nature. Quand Beineix croit dans un projet, il s’y consacre corps et âme, contre vents et marées. Dès décembre dernier, il confiait à Bo-Doï « Cet album est la quintessence de mes films. J’y ai mis tellement de choses que c’est pire que de sortir un long-métrage. Je pense souvent à Jacques Brel qui dégueulait avant d’entrer en scène. L’artiste vit avec la peur. C’est une chose qu’il partage avec le guerrier. » Et on comprend son effroi : il n’a pas choisi la voie royale. Il aurait pu se reposer sur un dessinateur expérimenté, qui a déjà une audience auprès des libraires, apporter son nom pour l’accroître encore. Son éditeur Glénat lui aurait certainement prêté l’un de ses jeunes poulains. Beineix, au contraire, choisit Bruno de Dieuleveult, un storyboarder qui n’a jamais fait de BD. Mais attention : dans son domaine, c’est une pointure qui a storyboardé quelques-uns réalisateurs les plus notoires : Gérard Oury, Patrice Leconte, Régis Wargnier, Nicole Garcia, Gérard Corbiau et bien d’autres, dont bien entendu Jean-Jacques Beineix. De Dieuleveult se laisse convaincre, si l’on en croit Beineix, presqu’à son corps défendant. Il est comme cela Beineix : il préfère quelqu’un à sa main, en qui il a confiance. Et il se lance dans cette entreprise avec bonne humeur et décontraction : « Je ne doute de rien car le doute est consubstantiel avec mon travail » a-t-il déclaré hier au public de la Fnac Montparnasse.
Pour le scénario non plus, il ne choisit pas la facilité. Il aurait pu faire une œuvre originale, s’abstraire de toute difficulté, se servir la soupe en quelque sorte. Au lieu de cela, il préfère adapter un roman de Marc Behm, La Vierge de Glace. Par fidélité au projet comme à l’écrivain anglais. En fait, ce scénario, il le porte depuis plus de vingt ans. Ce devait être un film qui ne s’est finalement pas fait. Bo-Doï lui dit : « On va quand même vous accuser d’avoir fait de la bande dessinée à défaut d’un film. » Il réplique sèchement : « Moi je ne fais jamais les choses par défaut. Je les fais parce que je suis passionné. Ces temps-ci, on porte la bande dessinée à l’écran, moi je fais exactement le contraire. »
Le martyr des forums
Laissons le lecteur juger par lui-même si cette tentative est vouée à l’échec ou à la gloire. Constatons quand même ce phénomène : durant tout l’été, Beineix aura été le sujet le plus lu des forums BD. Sur BDParadisio qui est, en cette matière, une référence, pas moins de 700 posts lui ont été consacrés en quelques semaines (un record absolu que même le très détesté Nick Rodwell, en charge des droits d’Hergé, n’avait jamais atteint). Quel que soit le lieu, les internautes se déchaînent : Il est traîné dans la boue avec une violence inouïe alors même que l’album n’est pas sorti ! A peine en librairie, ses détracteurs s’empressent de poster leur opinion. Dans une intervention mordante et ironique, un certain Candebrelot conclut à propos de l’album : « C’est une bouse. Totale. Définitive. » Et la meute de s’esclaffer !
En fait, on le voit bien, ce qui irrite, c’est le bonus médiatique qu’apporte la célébrité, le fait que deux débutants (c’est bien là leur premier album) aient une couverture média aussi exceptionnelle alors que le dessinateur de base met des années avant d’arriver à ce statut. Quelques stars mises à part, toute une profession se sent ainsi dépossédée par cet excès de gloire. On est dans un phénomène proche du Loft (que Beineix connaît bien) : le métier conspue et le public, tout en allant y voir, se sent manipulé. Le dessinateur Maëster le résume justement sur ce même forum : « Ce qui est un tout petit peu agaçant, ce n’est pas tant que Beineix soit présent sur tous les fronts pour défendre son oeuvre (ce qui est son droit le plus strict et prouve au moins qu’il y croit un peu, voire beaucoup pour être si disponible. L’attachée de presse aura certainement eu moins de mal à avoir des retombées que pour le dernier Titeuf). Il ne fait après tout qu’utiliser des règles médiatiques qu’il n’a pas mises en place. Ce qui est agaçant, c’est le conformisme des médias qui s’emparent d’un pseudo événement pour le râbacher à l’envi, sans aucune imagination ni sans aucun professionnalisme. C’eût pu être l’occasion de faire parler de Bande Dessinée dans les grands médias généralistes pour peu que les interviewers s’intéressent un tant soit peu à l’oeuvre et non aux potins qui entourent l’auteur (Beineix interrogé sur sa défense du "Loft", par exemple). Cela avait déjà été le cas avec la BD de Beigbeder ; le seul intérêt semblant être de voir une personnalité connue s’intéresser à une forme d’expression si "pauvre" (niaise, infantile, dégradante)... Comme si se tourner vers la Bande Dessinée pour des artistes reconnus dans un autre domaine était forcément démériter, était forcément un pis-aller. » On ne pourrait mieux dire.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photo (c) D. Pasamonik
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