Vous l’avez compris, ce romantique bout de chemin ensemble était aussi d’ordre créatif, une pierre blanche posée sur le beau chemin de l’Histoire de la BD. Mais, oui mais, les réalités et ses contingences, comme l’inflation en temps de crise ou les leçons de morale de qui de droit en période de sublimation, nous rattrapent toujours. Triste monde. Ainsi les deux tourtereaux, jusque-là fusionnels, ont commencé à se faire des grimaces, gare aux assiettes qui volent. Dès lors madame est partie, en emportant ses cliques, et pas que, dans l’attente d’un tout légal partage des biens, surtout artistiques, à forte valeur marchande, tandis que pour Miller ça va être la claque, mais il ne le sait pas encore...
Qu’arrive-t-on à faire avec un crayon, de l’encre, de la peinture et beaucoup d’amour ? De talent aussi. Tout simplement, probablement une des couvertures de comics de super-héros les plus iconiques de tous les temps et, certainement, la plus emblématique de ces dernières décennies : celle de Batman : The Dark Knight Returns, mini-série de Frank Miller, publiée en 1986, qui va propulser de nouveau le vengeur à cape de Gotham City vers les sommets et marquer durablement le monde des comics, et pas seulement, de son empreinte !
Un monument de l’art de la BD pour raconter avec texte et images qui aujourd’hui encore sert de mètre-étalon.
Une couverture de Batman qui vient d’être adjugée, sur le site de vente aux enchères Heritage Auctions pour la modique somme de 2,4 millions de dollars. Ce qui en fait l’un des dessins originaux liés à la BD les plus chers de toute l’Histoire.
On remarque, parenthèse, que Hergé se trouve en deuxième position derrière l’indétrônable Frank Frazetta.
Sur ce dessin de couverture, Miller a dessiné Batman en ombre chinoise pour plus d’impact, alors que Lynn Varley a ajouté sa mise en couleur, contrairement aux habitudes de l’époque, directement sur le dessin original.
Ici à l’aérographe, technique alors en vogue, méthode apprise par Varley sur les conseils d’Olivia De Berardinis, artiste spécialiste ès pin-ups pour le magazine Playboy.
Amour de l’art entre autres choses, cette affaire, globalement : avec une vente de la couverture de Batman : The Dark Knight Returns, organisée par un collectionneur privé qui l’avait achetée à Lynn Varley, propriétaire légitime et légale de l’œuvre, après son divorce, animé, avec Miller.
Oui mais !
Parce que oui, mais voilà. Si dans la vie l’amour compte, dans les séparations, on compte encore plus, vraiment plus. c’est la vie. Où l’on apprend que Frank Miller et Lynn Varley, c’est piquant, étaient dûment propriétaires dans l’appartement commun, nid de leur amour passionné, mais passé, d’un petit blockhaus personnel pour mettre à l’abri des malfaisants leurs œuvres originales.
Tous les dessins de Miller, répertoriés, y étaient soigneusement stockés.
Séparation, donc ? Lorsqu’ils ont convenu de répartir et diviser au plus juste, des œuvres d’une grande valeur artistique et commerciale, avec un amour de l’art toujours intact, lui, qui grandissait presque aussi vite qu’une soudaine méfiance toute réciproque : les circonstances ont fait que, désormais, les représentants légaux de Miller et de Varley avaient les clés de cette caverne aux trésors, rêve éveillé pour tous les fans et les collectionneurs.
De fait, l’une ou l’autre des parties pouvait inspecter les œuvres d’art à tout moment, mais devait être accompagnée de l’autre ou de son représentant.
Divorce
Donc on divorce, avec séparation de biens et un accord est passé.
Cependant, sûrement nostalgie des amours passés, du cœur, de l’art ou qui sait des dollars : Lynn Varley n’a pas pu s’empêcher de garder quelques croquis de l’ex-élu de son cœur, sans en toucher mot au concerné. La timidité et la passion vous font faire de ces choses, vraiment...
Des dessins préparatoires qui, comme Miller ignorait cet "emprunt", ne faisaient pas parti de l’accord passé ensuite...
Des dessins, toujours et encore à forte valeur marchande plus encore que nostalgique, soudain proposés, quelques temps après, sous la table par un marchand spécialisé, à l’initiative de Lynn Varley. .
L’apprenant par la bande, le sang de Miller ne fait qu’un tour. De là, rancunier comme pas deux et bondissant de joie comme on le devine, il porte plainte contre Varley. Qui ne conteste pas, d’ailleurs, qu’elle a bien pris ces dessins sans en informer Miller, tout en claironnant convaincue de son bon droit que, légitimement, comme le dessinateur ignorait les faits, ces croquis ne font absolument pas partie de l’accord précédent, dont acte...
Toujours est-il que, au delà des méandres et manoeuvres peu glorieuses du marché de l’art et de quelques sbires : cette couverture de Miller pour Batman : The Dark Knight Returns appartenait légalement à Lynn Varley, qui pouvait ainsi la vendre à un collectionneur. Celui qui dernièrement tout aussi légalement, l’a proposé aux enchères.
Les pratiques un peu inconséquentes de Varley et celles de son assermenté vendeur, pour peu glorieuses qu’elles soient, jettent une ombre peu flatteuse sur les usages de certains vendeurs et collectionneurs. Amour de l’art et des dollars n’ont jamais rien eu d’incompatible, on le sait.
Espoir.
Mais haut les coeurs, restons optimiste, tout va bien pour Frank Miller qui en octobre dernier a testé sa cote auprès des collectionneurs en proposant une œuvre NFT, qui s’est vendue 840 986 dollars (et 16 cents), ainsi qu’une sculpture en cristal 3D de Marv, l’un des personnages de Sin City. Une oeuvre NFT à voir ici.
Miller qui, depuis, a aussi fondé sa propre maison d’édition, Frank Miller Presents, avec Dan DiDio, co-éditeur de DC Comics de 2010 à 2020 et Silenn Thomas, directeur général de Frank Miller Ink, la société qui gère le travail de l’auteur.
Structure dont le dessinateur au chapeau sera le président et rédacteur en chef pour superviser des projets créés par des auteurs établis ou en devenir, qui tournent créativement autour de l’esprit de ses œuvres : "Investir dans les auteurs et dans l’avenir de la bande dessinée a toujours été l’une de mes passions les plus sincères et une aspiration artistique", a déclaré Miller, "Dan, Silenn et moi n’aurions pas pu être plus fiers de cela en lançant Frank Miller Presents, qui sera un vivier de conteurs et de nouvelles créations. Le but de cette maison d’édition est de cultiver une compagnie de dessinateurs et de scénaristes pour diriger, collaborer, les faire avancer comme faire avancer aussi cette forme d’art elle-même."
L’objectif premier de FMP est de sortir ses premiers comics d’ici la fin de l’année, BD qui seront distribuées simultanément en version papier et au format numérique.
Haut les coeurs !, disions-nous : dans un monde désintéressé, sans troll mais pas sans humour, avec Frank Miller comme professeur de narration BD, qui dit mieux ?, tous les espoirs sont permis. Quand l’amour de la création, au dessus de toutes autres considérations, reste intact.
(par Pascal AGGABI)
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