À Reims, ville des sacres, les créatrices de la pop culture ont été consacrées, recevant l’onction de la reconnaissance populaire. Trois journées durant, le Pop Women Festival a accueilli un public séduit par une programmation éclectique et de qualité. À l’honneur ? La création et créativité féminines. Pour ceux qui en doutaient encore, et pour les festivals qui peinent à lui donner une place, le Pop Women Festival a brandi haut et fort le flambeau d’un "féminisme culturel". C’est-à-dire revendiquer une égalité dans la manière de traiter les œuvres culturelles, et ce quels que soient le média, les sélections de prix (voir la récente polémique autour du premier prix Gotlib) ou les lieux d’intellectualisation des créations. En d’autres termes, combattre l’invisibilisation culturelle dont sont historiquement victimes les femmes.
Un festival des croisements, des dialogues et des consciences
Pour les festivaliers, les possibilités étaient nombreuses : rencontres croisées, performances, expositions, projections, ateliers, séances de dédicaces ou tables rondes. Si le Cellier, un lieu aux abords de la mairie de Reims, était l’espace central du festival, la dispersion des activités en divers endroits était une excellente initiative. Au Manège, en ce charmant lieu circulaire, la chorégraphe et danseuse Wen Hui menait un spectacle où la réflexion opère un va-et-vient entre le féminisme chinois des années 1930 et celui d’aujourd’hui. Pour l’humoriste, actrice et chroniqueuse radio, Nora Hamzawi, ce fut l’occasion d’y présenter un nouveau spectacle. A la médiathèque Jean Falala, dont les baies vitrées donnent à voir toute la splendeur de la Cathédrale Notre-Dame de Reims, des expositions comme "Les héroïnes de jeu vidéo ont du caractère" attendaient les festivaliers. Quant à la Maison Commune du Chemin Vert, exposition ("Self Fiction") et projection-table ronde ("Les ravages du revenge porn") donnaient à réfléchir à chacun et chacune.
La bande dessinée à l’honneur : de Liv Strömquist à Blanche Sabbah
Quoi de plus populaire comme art - exceptés le cinéma et la musique - si ce n’est la bande dessinée ? La longue liste d’autrices invitées pour l’occasion témoigne du dynamisme incontestable du 9e art au féminin, tant pour nous narrer une fiction que pour nous décrire le monde. Le premier jour, l’ouverture du festival se fit autour d’une table ronde pour discuter de Gisèle Halimi. Une actualité renforcée par la sortie de Une farouche liberté - Gisèle Halimi, la cause des femmes chez Steinkis, en octobre dernier. A suivi la projection d’une interview de l’autrice états-uniennes Alison Bechdel (Fun Home, Le Secret de la force surhumaine...) par l’autrice française Pénélope Bagieu (Culottées, Cadavre exquis, Sacrées sorcières, Les Strates...).
Pour le festival, deux expositions étaient consacrées à des autrices de bande dessinée : "Mythes et meufs", tiré du travail de l’autrice Blanche Sabbah, et "Pucelle : dessiner pour révéler" de Florence Dupré la Tour. Une très belle mise en scène a accompagné les originaux exposés de la seconde : un trait manifestement influencé par le dessin de presse, vif et enlevé, un usage des couleurs que Riad Sattouf ne renierait pas, et une expressivité cartoonesque. Un plaisir sensoriel pour chaque festivalier.
Ces deux autrices, Blanche Sabbah et Florence Dupré la Tour, se sont par ailleurs affrontées dans une très réjouissante performance, une Battle BD. On y donne un mot ou une situation - le public a participé, et les autrices doivent alors dessiner, en un peu plus d’une minute, le dessin que la thématique leur inspire. Un affrontement qui fut placé sous le signe des thématiques féministes et déconstructivistes. La session fut animée par une jeune femme particulièrement énergique et drôle, Maïa Girard-Csillag.
Faire dialoguer la bande dessinée avec d’autres disciplines
Parmi d’autres rencontres croisées et tables rondes d’une excellente qualité, dont "Représentations des personnages non-blancs dans la pop culture" animé par l’autrice et journaliste Jennifer Padjemi, il était possible d’écouter et débattre avec l’autrice Catel. L’autrice est célèbre pour ses romans illustrés Le Monde de Lucrèce, avec Anne Goscinny à l’écriture, ou les biographies dessinées, avec José-Louis Bocquet au scénario, comme Kiki de Montparnasse, Joséphine Baker ou Alice Guy. À ses côtés, pour échanger sur l’invisibilisation des femmes dans les récits historiques, l’écrivaine, journaliste et essayiste, Titiou Lecoq. Son dernier ouvrage, intitulé Les Grandes Oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, est vivement recommandé par la grande historienne Michelle Perrot.
De la même manière, Florence Dupré la Tour, autrice de Pucelle, a échangé lors d’une rencontre croisée avec Chloé Thibaud, journaliste, sur le questionnement suivant : "Comment s’affranchir des stéréotypes liés à la sexualité à l’adolescence ?".
À noter la présence de d’autres autrices et auteurs de bande dessinée comme Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain (Les contraceptés), Aurélia Aurita (Fraise et chocolat, Comme un chef...), Nine Antico (Le goût du paradis, Coney Island Baby, Girls Don’t Cry...), ainsi que l’illustrateur Thibault Milet ou l’illustratrice Tiffany Cooper (Les contes de notre enfance...).
Et en 2024 ?...
L’annonce a d’ores et déjà été faite de la venue de Catel. Elle présentera alors ce qui sera son nouvel album, cosigné par José-Louis Bocquet, consacrée à une grande femme océanographe, Anita Conti.
Prenez note pour l’année prochaine : 7 au 9 mars 2024. Incontestablement, le Pop Women Festival est un festival de qualité dont nous suivrons, avec beaucoup d’intérêt, le développement à venir. Bravo à sa fondatrice, Céline Bagot, et aux bénévoles !
(par Romain GARNIER)
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