Vente publique à Drouot en février dernier. L’expert Roland Buret propose à la vente des bandes dessinées. Des vieux albums, mais aussi des dessins originaux devenus très à la mode dans la décoration des appartements modernes. Le marteau du commissaire-priseur tombe sur un dessin signé Reiser, le célèbre dessinateur de Pilote et de Hara Kiri. La salle se tourne vers l’acquéreur : il s’agit de Josiane Balasko accompagnée ce jour-là de Fabrice Lucchini. L’héroïne des Bronzés n’est pas la seule à aimer la BD. Avant elle, Dick Rivers est allé jusqu’en Belgique compléter à prix d’or sa collection de Chick Bill, Pierre Arditi sa collection de Tintin… D’autres célébrités comme les entrepreneurs Michel-Edouard Leclerc, Vincent Bolloré ou la chanteuse Brigitte Fontaine, venue chanter au dernier Festival d’Angoulême, ne font pas mystère de leur goût pour le neuvième art. Même le primat des Gaules, Monseigneur Philippe Barberin avait déclaré dans Gala : « J’ai appris la vie dans Tintin ! ».
De la musique à la télé
Le pionnier de cette mouvance est sans doute le chanteur Renaud dont l’intérêt pour la BD suscita la publication chez Delcourt d’un album tiré de ses chansons : La Bande à Renaud. Ce fut le premier best-seller de ce petit éditeur qui en a vendu plus de trois-cent mille exemplaires. Depuis, on ne compte plus les BD tirées de chansons : Eddy Mitchell, Gainsbourg, Patrick Bruel, Bernard Lavilliers, Pascal Obispo (chez Soleil), Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman (chez Delcourt) ont tous vus leurs textes traduits en dessins. « Chacun des dessinateurs qui ont travaillé sur mes textes, témoigne Hubert Félix Thiéfaine, qui vient de publier son album aux éditions Soleil, a apporté une touche de poésie bien à lui. »
La télé n’est pas en reste. De plus en plus, les grands succès de la télévision se retrouvent sur le papier. En pionnier, Bruno Solo a répondu favorablement à la demande de Moïse Kissous, le patron des éditions Jungle qui publie avec succès les albums de Caméra Café. Mais il ne peut physiquement réaliser lui-même les scénarios car, au moment où il lance ses BD, il doit assurer la réalisation de la série télé : 700 sketches au total, vingt par semaine, qu’il faut écrire et puis jouer !Mais ce fan de BD ne lâche pas l’affaire : « Tous les scénarios, je les revoyais. Dans ce contexte, c’était un véritable luxe, mais j’ai grandi avec les comics américains de Marvel, la BD belge de Hergé et de Franquin. Mon maître absolu, c’est Jacobs, l’auteur de Blake & Mortimer. » En connaisseur, il explique ce qui différencie l’humour de la BD de celui du théâtre : « Sur les planches, quand une réplique est moins bien sentie, vous pouvez la faire passer avec l’énergie du mouvement et la dynamique du jeu. En BD, ce n’est pas possible. En revanche, vous pouvez passer en une case de la planète mars à la jungle équatoriale et ça, c’est formidable ! » Cet investissement est payant : en deux ans et demi et cinq albums, plus de 600.000 exemplaires vendus.
Tous en BD !
Devant ce succès, toutes les stars de la télé se voient potentiellement adaptables en bande dessinée : Joséphine Ange Gardien, les aventures de Bigard, de Pierre Palmade, de Chevallier et Laspalès, d’Elie Semoun, de Desproges, du patineur Philippe Candeloro (tous aux éditions Jungle), ou encore, récemment Kaamelott d’Alexandre Astier (Casterman) qui réalise un score de 190.000 exemplaires vendus dès la parution du premier tome ! En janvier dernier, la série Samantha Oups sortait chez Carabas au grand étonnement de Doudi et Pépess, les deux copines venues signer leurs albums au festival d’Angoulême sur le stand de Carabas : « C’était fou ! Il y avait des dessinateurs connus à côté de nous. Nous, on avait la file et eux ne signaient rien. C’était un peu les boules… ». Au point de porter ombrage aux vrais créateurs ? « N’exagérons rien, nous dit Doudi, nous ne sommes qu’un élément de plus dans le monde de la BD. Nous n’allons pas les remplacer ! »
C’est aussi l’avis de Patrick Gaumer, historien et l’auteur du Larousse de la BD : « Symbole de la contre-culture jusqu’aux années 80, la bande dessinée est devenue, aujourd’hui, un élément important de l’industrie du divertissement. Tant que la bande dessinée se portera bien, on verra sans doute ces « pipoles » apporter leur caution au genre. En cas de crise du secteur, le soufflé pourrait très vite retomber. La bande dessinée devrait y survivre, s’orienter vers d’autres directions dans les prochaines années. »
Jackpot
Pour certains éditeurs, le « joker » qui consiste à marier un dessinateur de BD avec un « pipole » constitue un jackpot. Un jour, Laurent Gerra eut l’idée d’utiliser le personnage de Lucky Luke pour son spectacle. Comme il en parle au journaliste du Figaro Jacques Pessis, éditeur chez Dargaud, celui-ci lui propose carrément d’en reprendre le scénario à la suite de Morris, décédé quelques temps plus tôt. Gerra hésite. Ce grand connaisseur de BD a un peu le trac de succéder à Morris et surtout à Goscinny, l’homme qui porta le succès de cette série au zénith. Ayant finalement décidé de se jeter à l’eau, il décroche le jackpot : 1,2 millions d’exemplaires vendus en deux tomes !
Cette intrusion des célébrités dans la BD n’est pas forcément bien ressentie par les puristes. Jean-Jacques Beineix en sait quelque chose, lui dont les albums ont été traînés dans la boue dans certains forums alors même qu’ils n’étaient pas encore en librairie : « J’ai le sentiment qu’il y a une partie des fans, très petite mais très dynamique, qui est extrêmement sectaire, raconte le réalisateur de 37°2 le matin et de Diva. Laurent Gerra, Frédéric Beigbeder, même Georges Lautner, en ont pris plein la tronche ! » Mais il ne se décourage pas pour autant, car la BD lui a rendu d’immenses services : « Elle m’a apporté un supplément de compréhension du cinéma lui-même. Je me posais souvent la question face à une image ou une scène : Où est sa force ? La bande dessinée propose un dessin qui est juste et qui résume l’action ou la signification d’une séquence. Ca m’a permis d’aller à l’essentiel, de faire passer de façon simple des choses complexes avec une infinité de nuances. La BD m’a ouvert de nouvelles perspectives ! »
Il arrive que célébrité rime avec qualité
On le voit avec cet exemple, la motivation des « stars » vis-à-vis de la BD n’est pas seulement pécuniaire. Elle traduit un enthousiasme face à une culture générationnelle. Ainsi, dans Joséphine, Ange gardien, Mimie Mathy qui s’adresse volontairement aux enfants dans des aventures qui lui font faire le tour du monde ne cache pas combien les BD l’avaient fait rêver. Nicolas Cage, quant à lui, ne se contente pas d’enfourcher sa cylindrée pour rouler à tombeau ouvert dans les aventures de Ghost Rider, le film (très moyen) de Mark Steven Johnson tiré d’un comic-book de la Marvel : il a donné au fils qu’il a conçu avec son épouse Alice Kim le doux prénom de… Kal-El, le nom que porte Superman sur la planète Krypton !
Cette passion d’une génération d’acteurs pour le 9ème art ne produit pas seulement de simples dérivés de leur « marque ». Ainsi, récemment, nous soulignions à quel point Vincent Pérès avait réussi, en tandem avec Tiburce Oger, une création originale en signant La Forêt (Éditions Casterman) : « Pérez y révèle un indéniable talent d’écriture où y a de la verve, de la fantaisie, de l’invention et finalement bien du talent dans cette fable qui revisite certains aspects inédits de la généalogie de Merlin », écrivions-nous alors.
Vingt ans après le premier album de Renaud chez Delcourt, la tendance ne faiblit pas. Prochainement, c’est l’animateur de télé Cauet qui devrait décliner ses talents de vendeur de hamburger aux éditions Jungle ou encore le chanteur Henri Dès qui fêtera ses trente ans de chanson chez Delcourt. Qui pourrait s’en plaindre ? Après tout, comme le reste, cette activité nourrit la filière industrielle du livre – de l’imprimeur, des auteurs au libraire.
Le Top 10 des meilleures ventes pipoles
(Exemplaires vendus en cumul)
1. Laurent Gerra (Lucky Luke - Dargaud) : Plus de 1.200.000 ex
2. Bruno Solo – Yvan Le Bolloc’h (Camera Café -Jungle) :Plus de 600.000 ex
3. Renaud (La Bande à Renaud – Delcourt) : Plus de 320.000 ex
4. Alexandre Astier (Kaamelott – Casterman) : Plus de 190.000 ex
5. Bigard (Les aventures – Jungle) : Plus de 190.000 ex
6. Coluche (Soleil) : Plus de 80.000 ex
7. Luc Besson (Arthur – Soleil) : Plus de 80.000 ex
8. Gainsbourg (Chansons – Soleil) : Plus de 70.000 ex
9. Mimie Mathy (Joséphine Ange Gardien –Jungle) : Plus de 58.000 ex
10. Doudi et Pépess (Samantha Oups – Carabas) : Plus de 50.000 ex
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Laurent Gerra, le people le mieux vendu dans le milieu de la bande dessinée. Photo : D. Pasamonik.
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