Les habitués de la Japan Expo l’ont appris à leurs dépens, la quantité de goodies proposés sur les stands de la Japan Expo est souvent inversement proportionnelle à leur qualité. Même sur les stands en apparence les plus riches (en termes d’offre), l’œil non aguerri peut se sentir attiré par ici une figurine, là une pièce de cosplay, vendus souvent à des prix un peu ou carrément cher.
Mais une rapide recherche sur Internet nous permet de trouver le même produit sur des sites comme Aliexpress ou Wish à des prix défiants toute concurrence : on appelle ça le dropshipping, le fait d’acheter sur des sites (souvent chinois) des produits à très bas prix et souvent de mauvaise facture, pour les revendre bien plus cher dans un cadre plus soigné (comme un stand dans une convention réputée) pour faire croire à un produit de meilleure qualité.
Il ne faut pas généraliser, la grande majorité des vendeurs à la Japan sont honnêtes, mais les arnaques sont monnaie courante et les festivaliers trop peu prévenus : redoublez donc de vigilance et n’hésitez pas à prendre le temps de vérifier rapidement sur Internet avant d’acheter un produit, vous éviterez ainsi de vous faire berner.
Ce fléau s’est particulièrement abattu sur le marché des figurines de collections, qui font rêver petits et grands collectionneurs, et sont vendus à des prix élevés pour garantir une prétendue qualité. Parfois sur des gros stands de certaines conventions, ces figurines s’avèrent finalement être des contrefaçons de plus ou moins bonne facture, proposées très au dessus du prix normal. Dans l’effervescence du festival, avec la foule qui se presse autour des vitrines et l’excitation de l’achat, on peut rapidement prendre la décision de s’offrir un souvenir qui rend bien dans la vitrine, payer une coquette somme pour l’acquérir, et découvrir une fois posé chez soi que le produit acheté est loin de valoir son prix.
Un conseil tout simple : prenez en photo la figurine dans sa vitrine, et regardez là en zoomant sur votre téléphone. Cherchez les strabismes, les détails de peinture les plus minutieux... Sur des figurines pouvant parfois coûter plusieurs dizaines d’euros, et monter jusqu’à la centaine, on a souvent du mal à constater la qualité réelle sur le stand, et les vendeurs misent sur l’effet "waouh" d’une figurine mal éclairée, belle de loin mais loin d’être belle, cachée dans un amas de ses pairs qui, pris un par un, ne valent pas leur prix.
Les véritables amateurs de ces produits se gardent bien d’acheter leurs précieux jouets auprès de revendeurs non officiels. Mais une bonne partie du public n’est soit pas au courant, soit pas assez regardante, ce qui permet à ces vendeurs de revenir tous les ans avec toujours plus de produits nazes. Vigilance donc !
À cette arnaque s’ajoute désormais un nouveau danger : l’IA. Le développement des intelligences artificielles génératives dans le milieu de l’art a fait exploser les "créateurs" et ""artistes"" (guillemets volontaires) qui se reposent à différents niveaux sur les modèles d’IA comme Midjourney pour produire des illustrations vendues ensuite à prix fort à des clients pas toujours en mesure de déceler la provenance artificielle de leur achat.
À date, la propriété intellectuelle de l’IA est toujours une zone grisâtre et pas vraiment balisée dans laquelle tous les comportement, y compris les plus prédateurs, sont légion. Et la Japan Expo n’y fait pas exception, on identifie depuis quelques années des stands qui proposent des produits dans lesquels l’IA a joué un rôle plus ou moins grand, et de manière plus ou moins assumée. Et si certains n’ont rien contre l’idée de payer (parfois cher) pour une création d’IA, il convient que les vendeurs soient honnêtes sur la provenance de ce qu’ils vendent et ne dissimulent pas l’intervention de l’IA, qu’elle soit centrale ou anecdotique.
Enfin, cette question de l’IA se cumule à celle des droits d’auteurs et des licences, vaste sujet au sein de la pop-culture. La pratique du "fanart", dessin non officiel d’une licence réputée, est un des ciments de la culture populaire et notamment japonaise : les doujin, ou mangas amateurs dérivés de séries cultes, sont une pratique admise dans le paysage nippon qui a d’ailleurs permis de révéler bon nombre d’artistes aujourd’hui cultes.
Très concrètement, cette question se manifeste à la Japan Expo par l’offre pléthorique de dessins, illustrations, affiches, marques pages, tatouages, stickers créés par des artistes amateurs, semi-pro et professionnels, qui mettent en scène des personnages sous licence dont ils n’ont quasiment jamais acquis les droits. Ce marché parallèle coexiste depuis toujours au sein de toutes les conventions (on relève chaque année l’ironie de voir Nintendo, très à cheval sur sa propriété intellectuelle, dresser son stand à quelques mètres des peluches contrefaites et des fanarts Hentai d’Aquali), mais il fait cette année débat.
À la barre de la contestation, on trouve une poignée d’énervés, bien décidés à protéger les ayants droits et à dénoncer tout usage jugé abusif d’une licence. Cette attitude a vu naître sur Twitter une liste informelle et exhaustive de stands "à éviter" lors du festival. Un google doc recensant tous les intervenants du festival, et leur associant une couleur : vert pour "OK", rouge pour "à éviter". Même si elle est fondée sur de bonnes intentions, la pratique est répréhensible.
Les critères d’exclusion sont vaguement voire pas définis, et traduisent une intransigeance assez peu à propos en mettant au même niveau les stands de boutiques pro qui vendent 60€ des merdouilles achetées sur des sites chinois, et des jeunes artistes amateurs qui vendent des fanarts de Kakashi. Si les deux questions peuvent, à raison, susciter le débat (et tous les arguments, dans les deux camps, ne sont pas à jeter), il ne fait aucun qu’ils ne font pas le même tort aux usagers.
La liste, vue plus d’une centaine de milliers de fois en quelques heures, est très décriée. Nous ne vous la partagerons pas ici car nous estimons qu’elle fait plus de mal que de bien, notamment pour les artistes catégorisés "à éviter" en raison de leur pratique du fanart, qui ont en réalité besoin de l’attractivité que représentent ces licences cultes pour attirer des curieux dans leur univers. Pour beaucoup d’entres eux, financer un projet 100% original est très compliqué, et passe inévitablement par la vente de produits liés à des licences plus connues.
En étudiant le détail des stands jugés "à éviter", on identifie plusieurs noms dont les pratiques sont effectivement contestables (usage abusif de l’IA par exemple), mais l’essentiel des cas bannis par le créateur le sont au motif du "squat de licence", autrement dit la mise en vente de produits rattachés à une propriété intellectuelle. À titre d’exemple ci-contre, la boutique Amay Sancha, "condamnée" pour une affiche de Pocahontas qui viole une propriété intellectuelle de Disney. Les exemples analogues pullulent dans la liste.
La pratique du fanart est inhérente à toutes les conventions, Japan inclus, et a toujours été tolérée en partie car ces artistes contribuent à l’établissement desdites licences dans le paysage pop-culturel commun. D’aucuns considèreraient presque qu’il s’agit là d’une forme de publicité gratuite pour eux, qui voient leurs licences fleurir sur tous les stands amateurs sans avoir à payer un centime. Mais aujourd’hui, à une époque où tout fait débat y compris le plus consensuel, certains trouvent à y redire et prennent vaillamment la défense des pauvres ayants droits floués par ces quelques dissidents.
Et alors que l’idée de dénoncer les pratiques problématiques comme l’usage de l’IA ou le dropshipping pouvait être saluée, on se retrouve avec un fichier de dénonciation sans demi-mesure et réellement dommageable pour nombre d’artistes cités.
Bien sûr, l’affaire (si tant est qu’il s’agisse d’une affaire) est à relativiser et ne sortira sans doute jamais de sa bulle numérique, sans impact retentissant sur les chiffres de la Japan. Certains artistes ont néanmoins réagi de manière épidermique à la chose, pour défendre leur chapelle ou par solidarité envers des collègues injustement cités, arguant que la venue à un tel festival est un pari risqué pour nombre d’entre eux qui cherchent à vivre de leur art, alors qu’en face les grosses licences engrangent des profits gigantesques.
Du côté de la Japan, le sujet n’en est pas un : tant que les intervenants restent dans le cadre légal, aussi mal défini soit-il, l’organisation n’a aucune possibilté d’intervenir. Mais la pression populaire peut être bien plus réactive, cela s’est déjà vu dans certaines conventions. En toutes circonstances, il est préférable de tempérer ses échanges, autour de ce sujet, comme de tout autre. Comme d’habitude sur Internet, les insultes fusent et ne servent à rien tandis que l’ombre du harcèlement de masse plane : il faut savoir raison garder et ordinateur fermer. Gageons que l’histoire sera vite oubliée, rendez-vous demain à la Japan pour le constater.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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Crédits photos : © Didier Pasamonik & Kelian Nguyen, pour ActuaBD.
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