La genèse de l’album se pose en quelques pages : les enfants de l’artiste jouent dans son atelier. Leur présence l’empêche de travailler mais, en même temps, voyant une page pleine de taches, ils se mettent à les interpréter et se racontent des histoires. Une fois virés les mômes, l’artiste se dit que ce n’est pas une si mauvaise idée, cette histoire de taches, et le voici qu’il réalise un album entier avec des déjections jetées au hasard et interprétées sur le clavier au gré des angoisses et des fantasmes de l’auteur : la maladie, la mort, les problèmes de couple, les catastrophes environnementales, le racisme, la critique de bande dessinée... Autant de sujets centraux et angoissants qui permettent à l’auteur de se mettre à la tâche (haha).
On imagine que l’album est vite fait à ce rythme : il faut juste une idée par page autour d’un soigneux maculage interprété ensuite sur une palette de couleurs informatiques. Le dialogue fait mouche à chaque fois, certes, mais si tous les bouquins étaient faits comme cela, Gilles Ratier aurait le double de références à compter pour son rapport annuel et le libraire d’Animal Lecteur (de Libon & Salma, chez Dupuis, on le rappelle), devrait doubler sa surface commerciale, sans pour autant avoir plus d’acheteurs en face.
C’est le problème que posent les auteurs de cette génération qui, comme Trondheim et son dessin foutraque, multiplient les albums, et ne parlons pas de ce Bastien Vivès qui duplique les cases identiques sur Photoshop et qui en fait carrément plusieurs bouquins (publiés par Trondheim, tiens tiens...), le gougnafier !
Certes, ce n’est pas nouveau me direz-vous : Wolinski, Bretécher et Reiser déjà se foutaient de la gueule des amateurs de travail bien fait, de la glorieuse production de ces ébénistes du style qui polissaient amoureusement leur ligne claire pour en rendre la quintessence tous les deux à cinq ans. Des gâcheurs de métier qui en plus avaient l’impression d’en avoir un puisqu’ils étaient payés pour cela et qu’ils se retrouvaient honorés à Angoulême, la Mecque intégriste du 9e Art !
Le souci est arrivé quand on s’est mis à payer au même prix ces sociaux-traîtres qui ridiculisent les travailleurs sans se préoccuper aucunement des trente-cinq heures qu’ils passent sur chaque planche. Car l’album, lui, il est vendu au même prix et sans tomber dans la vulgarité mercantile, on peut se demander s’ils devraient être payés le même taux de droits d’auteur que les autres. Madame Filippetti devrait se pencher sur la question de la rémunération des minimalistes dans le domaine des arts...Dans le temps, quand les bandes dessinées étaient constituées d’un gaufrier de 9 à 12 cases, au moins les éditeurs pouvaient compter le nombre de dessins et vérifier s’ils en avaient pour leur argent. De temps en temps, on laissait passer une pleine page, mais il ne fallait pas que cela deviennent un procédé... Mais maintenant, tout fout le camp...
Alors, vous qui êtes venu sur ActuaBD pour voir comment ce site abhorré par Larcenet (pour une sombre histoire de critique qui ne lui a pas plu) allait "se le faire", vous allez être déçu : nous, on l’a bien aimé, ce livre, très bien édité par Les Rêveurs (ah, on nous dit que la boîte appartient en partie à Larcenet lui-même, cela ne nous étonne pas : ça lui évite un éditeur qui compte les cases et permet d’éviter la loi Filippetti qui se profile, on suppose).
Alors pourquoi ce titre à la limite de l’insulte ? Souvenez-vous de l’anecdote racontée par Hitchcock : À la sortie de son film Les Oiseaux, la critique l’avait descendu simplement parce qu’il existe en anglais une expression, "It’s for the birds" ("c’est juste bon pour les oiseaux", une expression idiomatique qui signifie : "c’est de la merde") et que les critiques pouvaient pas s’empêcher de l’utiliser pour parler du dernier film du maître du suspense. Cela n’a pas empêché Les Oiseaux d’être une des productions les plus rentables de l’histoire du cinéma...
Eh oui, ils sont comme cela les critiques, primaires, ils cèdent volontiers à la facilité et la méchanceté ordinaire. On se demande d’ailleurs pourquoi vous êtes encore là à les lire, à la fin de cet article. Parce qu’ActuaBD est un site gratuit, tout comme ses arguments critiques ? C’est cela, oui...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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