Idiss est l’adaptation en bande dessinée de l’évocation par Robert Badinter de sa grand-mère juive émigrée de Bessarabie (actuelle Moldavie) venue en France au début du XXe siècle. Badinter opère, en racontant l’histoire de sa lignée, un travail de mémoire salutaire qui montre comment les enfants d’immigrés pauvres parlant à peine la langue ont pu intégrer la France du capitaine Dreyfus jusqu’à devenir l’une des consciences de la République.
« J’ai écrit ce livre en hommage à ma grand-mère maternelle, Idiss. Il ne prétend être ni une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l’Empire russe venus à Paris avant 1914. Il est simplement le récit d’une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé. Puisse-t-il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d’amour de son petit-fils. » Ce verbatim est caractéristique d’une génération de Juifs dits « israélites » qui avaient vécu en France une véritable intégration dans la République, notamment ceux de la vague d’immigration arrivée en France à la suite des pogroms qui se multiplièrent à partir de 1881 dans l’empire russe perpétrés dans la « Zone de résidence » (ils leur était interdit de pénétrer en Russie), cette bande de terre qui courait de la Mer noire à la Baltique, où l’empire russe « stockait » ses juifs, permettant à ses cosaques de les pogromiser à discrétion.
Le point d’orgue a été les deux vagues de pogroms à Kichinev/Chișinău, les 6 et 7 avril 1903 et le 19 et 20 octobre 1905, la première due à un appel à la haine de la presse antisémite, la seconde de la part du clergé orthodoxe. Ces événements sanglants scandalisèrent l’Europe et poussèrent de nombreux juifs à immigrer vers l’Ouest, notamment vers la France.
Richard Malka et Fred Bernard racontent avec attention et empathie ce périple de petites gens qui rapidement permirent à leurs enfants de faire de brillantes études. Tout l’album a lieu avant la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. C’est pourquoi il y baigne un sentiment de quiétude, une douceur de vivre dont Robert Badinter se souvient avec une tranquille nostalgie.
Le dessin de Fred Bernard a un caractère enfantin -proche de celui d’Irena de J.D. Morvan, S. Tréfouël et D. Evrard, un trait qui fonctionne à merveille pour illustrer cette évocation lumineuse. On regrette cependant -mais on comprend bien pourquoi- que la VF ne transpose pas entièrement le yiddish, la langue originale que pratiquaient ces immigrés, dialecte germanique nourri des langues parlées de la diaspora (langues romanes, slave, hébreu et araméen) devenue au XIXe siècle une langue internationale, mais qui sombra corps et bien avec la Shoah pour laisser la place à l’hébreu modernisé d’Israël. Un bel album, cependant, qui évoque avec une infinie affection des figures issues d’un monde disparu.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par François RISSEL)
(par Cédric Munsch)
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Idiss – Par Richard Malka et Fred Bernard, d’après le récit de Robert Badinter – Rue de Sèvres.
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