Comment avez-vous créé Superino, à mi-chemin entre un hommage aux fumetti et une parodie de super-héros américains, comme son nom l’indique ?
Vous aviez sans doute vu ce numéro spécial du Journal de Spirou (le 4277), au sein duquel Disney aurait humoristiquement racheté Disney. Et bien, la rédaction nous avait demandé de participer et avec Lewis ; nous avions créé un personnage dénommé Mic Mac, un super-héros dans l’esprit de Superino, sauf qu’il ressemblait volontairement à Oswald le lapin chanceux, le premier personnage créé par Disney.
Le confinement est passé par là, lors duquel on a beaucoup joué au poker par visio avec l’éditeur Olivier Jalabert, Lewis et plein d’autres. Plusieurs projets sont nés de ces rencontres, dont cette envie de réaliser un album ensemble, Lewis, Olivier, Brigitte et moi, dans la foulée du Mickey et du Donald déjà publiés précédemment. Bien sûr, on devait sortir de Mic Mac, sorte d’ersatz de Mickey, pour inventer un nouveau personnage et un nouveau graphisme, et c’est ainsi qu’est né Superino !
Et vous avez maintenu ce rendu vintage ?
Oui, j’avais vraiment apprécié notre travail en commun sur Mickey et Donald, et je désirais prolonger cette atmosphère grâce au travail de Brigitte. Et tout cela a engendré l’autre légende de Superino, le héros italien oublié. On a donc brodé toute une fable autour de sa création, ce qui a engendré cette histoire dans l’histoire.
Pour expliquer au lecteur, vous avez poussé la création jusqu’à imaginer une fausse légende autour de l’édition italienne de Superino, comme vous aviez pu le faire avec Mickey et cette idée de récit retrouvé en 2016…
Imaginer cette légende autour de ce héros maudit que l’on aurait retrouvé, nous donne un contexte et un background sur lesquels s’appuyer ; cela justifie l’aspect parodique, vintage et décalé du propos, tout en se maintenant dans un cadre logique. »
Les fausses publicités, le courrier de lecteurs, les couvertures internes,… Le tout devait participer à ce cadre ?
Ce sont surtout des madeleines de Proust à nos yeux. Pour ma part, j’aimais lire le courrier des lecteurs de Strange, et j’ai pris autant de plaisir à réaliser les couvertures qu’à découvrir les fausses pubs maquettées par l’éditeur. Cela rythme aussi le récit.
Le ton est tout de même assez parodique ! Votre héros milliardaire, cache sa double-vie à sa mère en faisant croire qu’il passe sa vie dans les toilettes de son manoir. Il va même jusqu’à s’enregistrer lors des moments fatidiques afin de prendre des notes pour un futur livre...
Parce qu’on se permet avec Superino ce qu’on ne pouvait pas s’autoriser sur les Mickey et Donald. Sur ces derniers, nous connaissions et acceptions les limites convenues avec Disney. Cette fois-ci, l’absence de contrainte nous pousse à aller plus loin, quitte à frôler le borderline, mais on ne dépasse pas la ligne parce que Superino doit rester un livre lisible par tous. Lewis, et c’est tout son art, joue sur la double lecture : les enfants rigoleront des blagues, et les parents y trouveront aussi autre chose. D’une certaine façon, je pense que nous avons réalisé le Mickey ou Donald qu’on aurait pu faire si on s’était complètement lâchés sur ceux-ci. Comme le dit si bien Lewis, on pourrait toujours reprendre des personnages comme Mickey ou Batman qui ne nous appartiennent pas… Ou créer le nôtre ! Et ici, nous avons opté pour la seconde solution.
Vous nous aviez précédemment expliqué les arrangements que vous aviez trouvés avec Disney sur Mickey, vous profitez donc ici d’un complet lâcher-prise.
Bien sûr, une partie du contenu de Superino n’aurait pas été validé par Disney. Et pour ma part, je suis super-content qu’on puisse enfin l’y mettre. C’est l’avantage de créer son propre univers… dans l’esprit des fumetti et des comics.
Pour revenir aux fumetti, un genre que vous affectionnez, quels sont vos auteurs de chevet ?
Je suis moins connaisseur des fumetti de gare, mais je suis vraiment un grand fan de Cavazzano. En dessinant Superino, je me suis d’ailleurs surpris en réouvrant du Cavazzano, même si ce type de dessin est très naturel chez moi. Je regarde comment il compose la vie derrière les personnages pour coller à ce type d’univers. Il reste une référence pour moi, même si je demeure à des années-lumière de son niveau graphique.
Par rapport à vos deux précédentes collaborations du même type, vous avez réduit le format de votre ouvrage. Toujours pour coller aux publications italiennes de l’époque ?
Nous voulions effectivement donner l’impression d’avoir en mains des Fumetti ou des Comics. Et comme nous savions que nous partions pour une grosse pagination (environ 90 pages rien que pour les planches de bande dessinée), la réduction des planches s’est imposée et nous nous sommes rapidement mis d’accord sur ce format en deux strips, ce qui rappelle les anciens Comics.
La référence aux anciennes productions américaines ne se limite pas à ce format ?
Le fait de travailler en demies planches par rapport à un format traditionnel me donne l’impression d’avancer plus vite, et même de dessiner plus vite. Après vingt albums de grand format (excepté À Cœur ouvert) où chaque étape me demandait trois jours, j’arrivais dans ce cas à réaliser deux pages de rough ou d’encrage par jour, ce qui était très satisfaisant.
En même temps, le rythme du récit est aussi plus trépidant.
Le format du récit m’obligeait à être très efficace sur chaque dessin, afin de susciter une compréhension immédiate de l’action de la part du lecteur. Pour le reste, je colle surtout au storyboard de Lewis. Il n’écrit pas de scénario à proprement parler, mais il crobarde directement l’histoire et il s’arrange pour imposer le rythme du récit. Cette pagination est certainement une contrainte plus appuyée pour lui, car cela lui impose de placer un cliffhanger à la fin de chaque page.
La seconde difficulté tient dans l’aspect feuilletonnant du récit, un des points de départ que nous nous étions imposés. Une spécificité qu’il fallait conserver pour la prépublication dans Le Journal de Spirou, ce qui imposait des petits chapitres assez courts, même si chaque page du magazine reprenait quatre planches. Une petite fierté pour ma part, car c’était ma première prépublication dans Spirou !
Votre héros fait référence à Bruce Wayne dans Batman, mais il utilise aussi un vocabulaire assez particulier. Fallait-il le distinguer de la sorte ?
Superino est finalement une parodie de lui-même. Sa relation avec sa mère qui ignore sa double-vie, prend les atours d’un sketch perpétuel. Comme sa manière de s’enregistrer et de trouver des punchlines complètement ridicules ! Cela s’intègre magnifiquement dans le ton du récit.
Avez-vous fini avec Superino ou avez-vous d’autres projets parodiques avec Lewis Trondheim, Brigitte Findakly et Olivier Jalabert ?
Nicolas Keramidas : C’est plutôt une question pour notre éditeur Olivier Jalabert.
Olivier Jalabert : Je ne faisais pas partie de l’équipe des deux premiers opus. Avec Superino, nous voulions réaliser un ouvrage marrant entre copains, un coup de théâtre humoristique, via un projet auquel nous croyons et que nous avons mené avec sincérité. Le canular autour de Superino ne fonctionne qu’une fois, et cela n’a pas beaucoup de sens de le renouveler car nous prendrions les lecteurs pour des imbéciles. Maintenant, si on vend vraiment 500 000 exemplaires, on se reposera certainement la question !
Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.
(par Charles-Louis Detournay)
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Superino - Par Lewis Trondheim, Nicolas Keramidas & Brigitte Findakly - Dupuis
112 pages - Sort ce vendredi 16 septembre
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