Henri Filippini fait partie, avec Claude Moliterni ou Maurice Horn, du tout premier cercle des passionnés de bande dessinée formant des clubs dans les années 1960. Il est très tôt collaborateur de la revue Phénix et anime un certain temps le fanzine Alfred. Il participe aux premières encyclopédies sur la bande dessinée et figure parmi les premiers historiens de ce médium. Après avoir dirigé Pieds Nickelés Magazine, il rejoint le groupe Hachette comme éditeur dans les années 1970, tout en chroniquant la BD dans France-Soir.
Enfin, en 1969, il rencontre le jeune Jacques Glénat-Guttin dont il deviendra le principal collaborateur à partir de 1974, animant les revues Les cahiers de la bande dessinée, Circus, Gomme et Vécu, apportant au catalogue de la maison grenobloise des auteurs comme Cothias, Bourgeon, Juillard, Dermaut, Yslaire, Vicomte, Adamov, Kraehn, Makyo et bien d’autres...
À quoi ressemble Jacques Glénat le premier jour que vous le rencontrez ?
C’est très simple, je faisais un fanzine qui s’appelait Alfred, du nom du pingouin d’Alain Saint-Ogan dans Zig & Puce. J’habitais Paris à l’époque, dans un appartement assez vaste, et je refaisais le monde avec quelques auteurs. Il y avait Luguy, encore en costume de marin car il faisait son service militaire, il y avait Cothias, Jacques Lelièvre… C’est un dimanche après-midi et on frappe à la porte. J’ouvre et je me trouve face à un petit môme qui me dit : « Je suis Jacques Glénat-Guttin. Je suis de Grenoble. Je suis abonné à Alfred et mon père médecin a un congrès à Paris. J’en profite pour venir vous voir et vous apporter le premier numéro des Cahiers de la bande dessinée qui vient de sortir ». Il a passé le reste de la journée avec nous, il a même partagé notre cassoulet en boîte. Et il est reparti le soir. Voilà comment s’est passée notre première rencontre. Il avait 17 ans. Depuis, on a toujours communiqué, on ne s’est jamais perdu de vue, ce qui fait que le jour où il a ouvert son antenne à Paris, il m’a demandé si je voulais être son œil parisien car il voulait rester à Grenoble.
Un œil peut-être, jamais un bras droit ?
Non, c’est un bien grand mot. J’ai toujours voulu me limiter au métier d’éditeur, m’occuper des auteurs. Je ne le regrette pas, car il m’ont bien rendu, ces auteurs.
C’est un parcours d’alpiniste. Il y a eu des chutes… Comment peut-on caractériser ces 40 ans de carrière ?
Il a fait beaucoup pour faire avancer la bande dessinée. Il a apporté la bande dessinée historique pour adultes. C’est Glénat qui a amené le manga. C’est Glénat qui a introduit des collections de qualité avec Caractères, qui a révolutionné la BD pour ados avec Titeuf, qui a amené la BD de concept avec plusieurs auteurs grâce au Triangle secret et au Décalogue qui a mis cette pratique à la mode, etc. C’est une maison qui a beaucoup innové.
Le fait qu’elle soit située à Grenoble a joué ?
Oui, car je crois que Jacques, en bon provincial, n’a jamais été dupe. Il n’a pas joué sur le parisanisme comme ont pu le faire, par exemple, les Humanoïdes Associés. Il était à l’abri de ces dérives coûteuses et suicidaires. Je crois que c’est important.
C’est un patron comment ?
Je dirais que c’est un homme de passions. Il a toujours travaillé pour ses passions : la bande dessinée, la montagne, la gastronomie. Quand on voit son catalogue, on en est convaincu. Il les a assouvies en en faisant son métier.
Et puis le voilà qui entre au couvent… Pour l’éditeur de Marie-Gabrielle de Saint-Eutrope [1], il y a comme un contraste.
Un clin d’œil aussi, peut-être. Il a voulu rénover ce cloître qui était à l’abandon qui a été tour à tour dépôt militaire, cinéma, théâtre,… Il fallait voir, c’était une ruine.
Glénat est un grand éditeur de bande dessinée ?
Il est un des rares avec Soleil et Delcourt à être un éditeur encore indépendant. Le nom du patron est celui qui est marqué sur la couverture, comme Dupuis, comme Dargaud ou Casterman avant qu’ils ne soient rachetés par des grands groupes. Quand, en ce qui me concerne, j’ai envisagé la retraite, il m’a dit : « Moi, je finirai sans doute dans mon fauteuil d’éditeur, jusqu’au bout. »
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Un livre érotique de Georges Pichard que Glénat a édité dans les années 1980, et qui devrait être réédité en novembre prochain.
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