Les éditions du Lombard fêtent leur 70e anniversaire. Quels objectifs avez-vous placés derrière cette célébration ?
70 ans d’existence, c’est une étape importante et symbolique, mais au-delà de cela, il faut aussi que cela soit une année charnière. Notre patrimoine exceptionnel est une richesse, mais le danger est d’apparaître justement comme une vieille maison qui n’a plus de défi de relever. « Comment rester sexy à 70 ans ?! » était la question que je me posais il y a deux-trois ans. Ce qui a mis en évidence plusieurs réponses : la première était une publication éditoriale hors norme, et il fallait que cette mise en avant concerne le Journal Tintin, un rêve que je caresse depuis dix ans.
Trouviez-vous que le public tend à oublier ce qu’a représenté le Journal Tintin ?
Pour ma part, j’ai été un lecteur presque fanatique du Journal Tintin. De mes six ans jusqu’à la fin de la publication en 1988, je le lisais chaque semaine, et j’allais rechercher les anciens recueils pour profiter des années 1960 et 1970. En tant qu’éditeur, rendre cet hommage était autant un plaisir qu’une évidence. Puis, ce fil rouge permet de rappeler l’histoire des éditions du Lombard, parfois encore ignorée. Avec cet arrangement historique entre Raymond Leblanc et Georges Dargaud, car, rappelons-le, les albums du Lombard sont parus pendant un temps sous le label Dargaud en France. Je voulais donc combler ce déficit de notoriété en rappelant qu’un des plus grands magazines que la bande dessinée a connu a été publié au Lombard, et que nos héros y étaient à l’avant-plan. Sans oublier Tintin qui a été la locomotive de cette incroyable aventure.
Les dernières années du Journal Tintin proposait une majorité de BD plutôt ado-adultes. Est-ce que le jeune lecteur que vous étiez se retrouvait dans cet axe éditorial ?
En même temps que le Journal Tintin, j’étais aussi un lecteur du Journal de Spirou ! Mes parents m’avaient proposé de faire l’essai d’un mois avec les deux magazines avant de choisir celui qui me convenait le mieux. Mais je n’ai pas pu sacrifier l’un pour l’autre, et après d’âpres discussions, j’ai réussi à m’abonner aux deux ! En effet, l’esprit « tout public » de Spirou me plaisait, mais j’étais plus porté sur les aventures et les héros au sein du Journal Tintin : l’aventure plus que l’humour, voilà ce qui me faisait personnellement rêver.
Est-ce que ces préférences ressortent encore actuellement au sein de votre ligne éditoriale ?
Sans doute, mais avant tout, j’aime donner des thématiques aux années, ce qui structure autant l’équipe que la communication, le marketing, etc. L’année 2015 était celle des grands come-backs. À mes yeux, et dans la lignée de ce que je viens d’expliquer, je trouvais important de mettre notre patrimoine à l’avant-plan. Et comme il y a une tradition des reprises en bande dessinée, il m’a semblé important de valoriser nos grands héros.
En caricaturant, on pouvait croire que vous faisiez du neuf avec du vieux : surfer sur un public conquis en relookant leurs héros. Cet opportunisme n’était-il pas trop facile ?
Non, je n’ai pas agi par facilité ou opportunisme. À mes yeux, chaque relance demande une réflexion propre à son héros et à son histoire. Il faut bannir tout automatisme pour prendre le temps de réaliser les bons choix. Bien entendu, reprendre un héros connu comprend parfois un certain confort commercial : en relançant Ric Hochet qui avait auparavant vingt mille lecteurs, on s’imagine au moins en retrouver la moitié. Le premier tome s’est d’ailleurs vendu à plus de vingt mille exemplaires, le pari était donc réussi.
Bob Morane représentait un plus gros challenge, car nous avions arrêté la série pour cause de lourdes méventes (1500 exemplaires pour les derniers titres). Or, il s’agit d’un personnage historique du Lombard, doté d’une énorme notoriété ! Nous devions donc penser ce pari de la modernisation car il était impossible de ressortir des aventures qui n’intéressent plus les lecteurs. Après soixante années de nouveautés sans interruption (autant en romans qu’en bande dessinée), un phénomène d’usure se ressentait. On voit par exemple que Batman se renouvelle naturellement presque tous les vingt ans, entre autres avec Dark Night, il devait en être de même avec Bob Morane. Ce reboot devait donc être audacieux : il fallait prendre des risques. Voilà le maître-mot de ces reprises : renouveler et surprendre sans trahir.
Quant à Corentin, on se rapproche plus de la Madeleine de Proust, comme pour Blake & Mortimer. La série s’était interrompue pendant quarante ans, il ne fallait donc pas être sauvage et décalé, mais bien proposer aux lecteurs ce qu’ils avaient apprécié à l’époque. Et c’était justement la volonté de Christophe Simon ! La nouvelle de Jean Van Hamme s’est imposée dans l’esprit de cette continuité, car c’était le dernier scénariste de Cuvelier.
Je pensais que vous alliez aborder Chlorophylle en tant que troisième reprise de 2015. Je sais que les ventes n’étaient pas à la hauteur de vos espérances…
Je mets de côté Chlorophylle, mais il s’agit plus de projets d’auteurs que d’éditeurs, tels que Ric Hochet et Bob Morane. Les fans que sont Godi & Zidrou ont pourtant été accusés de vouloir surfer financièrement sur un héros réputé, ce qui est totalement absurde car Chlorophylle n’a jamais été une licence à succès, au contraire de L’Élève Ducobu. Lorsque des auteurs si talentueux expriment ce désir, vous ne pouvez que les entendre.
Et il en était de même avec Jean-Luc Cornette et René Hausman avec qui nous voulions continuer à travailler. René désirait rendre hommage à un de ses maîtres, tout simplement. Vous évoquez les chiffres de vente : nous savions que Chlorophylle n’avait jamais été une série commercialement forte. Bien entendu, on espère toujours, mais nous voulions surtout relayer ces envies et cette sincérité des auteurs, tout en mettant en avant le patrimoine du Lombard.
Votre thématique de 2015 se centrait donc sur ces reprises. Et 2016 ?
2016 est l’année de ce 70e anniversaire. Mais je voulais éviter que l’image du Lombard se cristallise uniquement sur la reprise de séries patrimoniales, en occultant notre évolution. Il fallait bien entendu revendiquer notre passé glorieux, pour renforcer notre image. Mais en parallèle du patrimoine, il était tout aussi important d’adresser un message de modernité, d’une vision d’avenir. D’où l’esprit de cette charnière que j’évoquais.
Et qu’est-ce qui représente alors le message d’avenir du Lombard : Angry Birds !?!
Merci pour ce pied-de-nez ! Autant nous n’avions pas réussi à expliquer notre point-de-vue aux ayant-droits pour les premières aventures d’Angry Birds, autant le graphisme du film nous a permis d’humaniser le physique et les préoccupations des personnages, et nous sommes assez satisfaits de ces nouvelles aventures.
Mais non, Angry Birds ne représente pas la vision d’avenir que j’évoquais, je voulais essentiellement parler de la Petite Bédéthèque des Savoirs. Cette toute nouvelle approche en bande dessinée est une prise de risque ambitieuse : une trentaine de volumes au minimum, avec pour chacun une soixantaine de pages en couleurs. Cela nous permettait également de nous ouvrir à des auteurs avec lesquels nous n’avions pas toujours l’habitude de travailler.
Mais à force de vouloir faire évoluer l’image du Lombard, est-ce que vous ne vous éloignez pas trop de l’esprit de la maison ?
Non, pas du tout. La bande dessinée pédagogique était dans l’ADN du Journal Tintin dès sa création, par la vision de Raymond Leblanc. Aux personnes qui nous reprochent d’apporter des auteurs improbables pour des récits aux antipodes du Lombard, je réponds qu’apprendre de nouvelles choses par le biais de la BD fait également partie de notre histoire.
La pluralité de ton au sein de la collection peut pourtant chambouler le lecteur. Parfois on prend le lecteur par la main pour lui expliquer une thématique, parfois on l’ignore ; certains albums comprennent un vrai fil narratif, tandis que d’autres se feuillettent au gré des envies, etc. Est-ce suffisamment structurant ?
L’ambition de la Petite Bédéthèque des Savoirs est double : les livres doivent être aboutis, scientifiquement et pédagogiquement parlant, tout en restant de la bande dessinée ! Les responsables de collection, que sont David Vandermeulen et Nathalie Van Campenhout ont donc recherché à chaque fois l’auteur qui serait le plus inspiré par le sujet, afin d’y apporter le maximum de créativité, de part artistique, bref de supplément d’âme au livre. Sinon, nous aurions choisi des sujets plus attendus, avec une approche plus formatée. N’oublions d’ailleurs pas que le carcan existe : dans le format, la pagination et l’association obligatoire avec un expert de renom. Nous voulons rester une maison d’édition d’auteurs, avec une vraie part artistique. Le résultat est donc plus risqué, moins calibré : à mes yeux, cette diversité est valorisante.
Si cette collection s’inscrit dans un vrai mouvement (La Revue Dessinée, XXI, Sociorama), je reste étonné du soin de la maquette, des couleurs, du choix des auteurs souvent confirmés, etc. Est-ce que ces petits livres vendus à moins de dix euros sont rentables ?
Il est encore un peu tôt pour le dire. Pour l’instant, nous profitons d’un vrai succès commercial parmi les quatre premiers titres que nous avons proposés en février dernier : L’Univers d’Hubert Reeves & Daniel Casanave. Et nous pourrons prochainement savoir ce qu’il en retourne des quatre suivants. Quoiqu’il en soit, le travail avec les deux responsables éditoriaux apporte beaucoup de richesse car cette collaboration est bâtie sur la complémentarité.
La question de la rentabilité se double de celle d’une stratégie que nous bâtissons depuis cinq ans : dans ce climat de surproduction, nous préférons publier moins d’albums, et que ceux-ci soient le plus aboutis possible sans se limiter à un calcul financier précoce. Si on doit réfléchir à supprimer les couleurs d’un album, pourtant imaginé avec celles-ci, afin d’assurer une rentabilité, alors je préfère ne pas réaliser l’album, tout simplement. Il faut donc que l’on soigne le mieux possible ces albums de la Petite Bédéthèque des Savoirs, afin qu’il ait le maximum de chances de trouver leur succès. Et c’est pour cela que nous avons limité volontairement les barrières d’accès aux lecteurs, en les réalisant en couleurs et en les proposant à moins de dix euros. Bien entendu, tout cela rend le pari plus risqué, mais il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions.
À l’occasion de cet anniversaire, quel message voudriez-vous adresser au lecteur ? Faire moins d’albums pour assurer la qualité, que cela soit sur le terrain du patrimoine ou du renouveau ?
Oui, certainement dans cette direction-là. Mais si je ne voulais faire qu’une promesse aux lecteurs, c’est de m’engager à ne jamais interrompre une série avant de lui donner une véritable conclusion. Il ne s’agit pas de traîner tous les partenaires dans un profond insuccès pendant dix tomes, mais en cas de récit qui n’aurait pas trouvé tous les lecteurs escomptés après un ou deux tomes, nous nous assurons de pouvoir terminer dignement avec le tome 3. Je m’engage car je veux casser la méfiance que certains lecteurs ressentent encore au cours d’un lancement.
Vous avez appliqué une variante de cette stratégie en lançant des triptyques, avec les deux premiers tomes parus en moins de en six mois, histoire de vérifier si on pouvait dépasser le stade du premier cycle…
Selon moi, on peut réaliser un récit digne de ce nom en trois tomes. Et, en cas de succès, prolonger l’univers ainsi créé si les auteurs le désirent. Mais on peut également plus facilement s’arrêter au terme du premier cycle et débuter une autre série avec les mêmes auteurs. On peut déjà revenir vers les auteurs au moment de la publication du deuxième tome, de manière à les laisser placer des pistes ouvertes dans le troisième opus, ou au contraire les refermer. Nous avons procédé ainsi avec Klaw et Isabellae qui ont connu ou vont connaître deux cycles de trois tomes. Hell School s’est terminé sur le premier cycle de trois tomes, et nous avons repris avec les mêmes auteurs pour lancer ensuite Les Enfants de la Résistance, une série qui fonctionne très bien !
La stratégie paraît idyllique, mais ce n’est pas si simple pour les auteurs de réaliser deux tomes, de tenir compte du retour pour clôturer (ou non) le troisième tome avec plus ou moins de pages, tout en travaillant déjà sur les planches d’un autre projet à vous soumettre. Car si le couperet tombe, il faut déjà se remettre en selle alors que les premières planches du tome 3 ne sont pas encore réalisées...
C’est pour cela que nous n’adoptons pas systématiquement cette façon de procéder. Un bon tome 1 devrait se suffire à lui-même, sans recourir nécessairement à un tome 2 dans la foulée, pour peu que les albums soient bien accompagnés à leur sortie.
Les auteurs désirent que l’on soutienne leurs livres. On les entend souvent regretter le manque de réactivité des éditeurs, ou de n’obtenir des commentaires qu’en cours de réalisation. Des indications qui auraient été mieux appréciées à la planche 12 qu’à la planche 40 !
Je ne suis certainement pas le plus disponible des éditeurs, mais je suis heureux de pouvoir compter sur des assistantes éditoriales très compétentes et sur une équipe d’éditeurs, Nathalie Van Campenhout, Clémentine de Lannoy, et Antoine Maurel, pour assurer ces contacts réguliers avec les auteurs. Et il s’agit justement d’une des raisons qui nous ont motivés à diminuer drastiquement le nombre de nos parutions annuelles.
Faire baisser le nombre de titres pour mieux accompagner les auteurs et leurs livres : est-ce une ambition utopique ou finalement réalisable ?
C’était un vrai défi, une direction dans laquelle nous nous sommes engagés lorsque j’ai pris ce poste de directeur éditorial, et finalement, nous y parvenons depuis trois ans. À mon arrivée, le Lombard publiait 136 nouveautés par an, et nous en publierons 90 cette année. Nous visons une baisse de 25 %, nous serons donc finalement au-delà de 30%. Cela nous permet de regagner de l’attention du marketing, des commerciaux, des libraires, de la presse et on l’espère, des lecteurs. Avec la même équipe éditoriale, nous avons donc l’opportunité de consacrer plus de temps et de moyens à chaque livre.
Est-ce que ce pari répond aux exigences d’une bonne gestion, car vous avez tout de même des objectifs de vente et de marge à tenir ? Cette stratégie s’avère-t-elle payante ?
Bien entendu, cette baisse du nombre de titres parus entraîne invariablement une baisse du chiffre d’affaires. Il y a donc une grosse pression sur la pertinence des titres édités pour conserver la marge bénéficiaire. Seconde conséquence très importante : l’impact humain. Certains auteurs ont collaboré pendant des années avec le Lombard, en réalisant toujours un très bon travail, mais fatalement, il faut parfois refuser un de leurs projets. Opposer un refus à ces auteurs qui n’ont jamais démérité n’est jamais simple. Ma vision du marché impose des choix qu’il faut assumer à 100%. Dans cette optique de réduction de la voilure, la plus grande prise de risque actuelle n’est pas tant d’accepter un projet, mais de le refuser si l’on n’est pas entièrement convaincu, même si le succès pourrait arriver chez un autre éditeur. Je ne veux pas multiplier les lignes et les laisser voguer dans l’océan des parutions en espérant qu’avec un peu de chance, les retombées suivront peut-être. Je préfère choisir nos combats, et les mener pleinement. En plaçant la relation avec l’auteur au centre de nos préoccupations, et en usant de diplomatie.
En parlant ainsi de diplomatie, vous prenez le risque de l’insincérité...
Se focaliser sur la relation avec l’auteur, c’est être présent et discuter. La discussion la plus cruciale a bien entendu lieu avant la signature du contrat lorsqu’on définit le projet. Dès que le contrat est signé, il faut maintenir ce climat de confiance. Choisir un auteur avec son projet signifie que Le Lombard croit à leur valeur commune. Donc, par la suite, quels que soient les sujets artistiques évoqués (scénario, dessin, couleurs, couverture, etc.), l’auteur aura toujours le dernier mot. La discussion se construit sur cet engagement de base.
Parce que ce pouvoir donné à l’auteur facilite la discussion, il est parfois plus à l’écoute de vos arguments s’il sait qu’il a le droit de ne pas en tenir compte. Perdre volontairement ce pouvoir de décision est le minimum de marque de confiance à donner à un artiste avec lequel nous nous engageons. C’est par la suite que la diplomatie entre en jeu, car il faut fournir des arguments lorsqu’on évoque un scénario, un dessin ou une couverture, afin de continuer à faire progresser le projet. Nous ne sommes plus dans un rapport d’autorité, mais de conviction. Du côté de l’auteur, cet aspect de la création artistique touche au viscéral. De notre côté, nous essayons de développer une vision la plus neutre possible, en apportant du recul sur le travail d’un artiste, tout en comprenant la sensibilité que cela peut dégager auprès de lui.
L’auteur cherche parfois à être un peu déstabilisé afin que le projet sorte grandi. Vous dosez donc votre apport ?
Nous le dosons en fonction du projet, de l’étape atteinte, et surtout en fonction de l’auteur. Mais pour que le message de fond passe, la relation de confiance avec l’auteur est primordiale, tout autant que la façon de s’exprimer, avec respect.
Vous évoquez ce respect des auteurs, des humains qui sont derrière les personnages de papier. Comment avez-vous par exemple géré les changements des scénaristes sur certaines de vos séries-phares, comme Yakari ?
Effectivement, la question de la reprise de série comme Bob Morane ou Ric Hochet n’est pas toujours simple à aborder avec les auteurs et les ayants droits. Mais la vision des auteurs de séries actuelles peut aussi diverger avec le temps. À mes yeux, il est impossible qu’un auteur puisse se renouveler indéfiniment tout en restant dans le même carcan, surtout après 35 ou 45 tomes. On peut rester brillant en s’ouvrant à d’autres domaines, mais dans un exercice imposé, nous avons tous nos limites. Que cela soit sur Léonard ou Yakari, nous avons eu à faire aux mêmes constats au même moment. La question du renouvellement s’est posée avec les dessinateurs, et par la suite, nous avons donc dû discuter avec les scénaristes pour évoquer les pistes de nouvelles ouvertures, obtenir un regard différent.
Comment se sont déroulées vos discussions avec Bob de Groot et André Jobin dit Job, les scénaristes respectifs de Léonard et Yakari ?
Globalement, assez bien. Nous n’étions effectivement pas dans le constat d’un échec, d’un album dont le niveau était un peu moins bon que les précédents. La discussion était donc ouverte sur l’intérêt d’un regard extérieur lorsqu’on a trop fait le tour d’un même sujet. Bien entendu, tout se ne règle pas en un coup de fil de cinq minutes, nous avons fait pas mal de réunions de travail pour s’ouvrir à une vision différente, évoquer les différentes pistes de travail, et poser un choix pour un collaborateur ou un repreneur qui soit entièrement validé par le créateur originel, afin de maintenir l’esprit de la série. Nous voulions à tout prix éviter cette rupture, tant pour la série elle-même que pour ses créateurs, c’est une question de respect des auteurs ! Nous sommes tous dans le même bateau, et nous devons donc prendre nos décisions tous ensemble. Cela a d’ailleurs donné lieu à de réelles rencontres, comme celle de Job avec Joris Chamblain. Job a immédiatement compris que Joris aimait vraiment le personnage de Yakari, ce qu’il était et représentait. Partager la vision de la série a facilité les échanges, surtout lorsque le respect des fondamentaux est maintenu.
La couverture de ce prochain Yakari est pourtant bien plus sombre. Et cet éclair entre Yakari et Petit Tonnerre semble indiquer qu’il y a de l’orage dans l’air ? La série évolue donc ?
Il y a un petit tournant, mais qui demeure dans la philosophie générale du personnage. Le ton de Joris est bien entendu un peu plus contemporain, mais il ne s’agit pas d’une révolution, au mieux juste d’une modernisation. Notamment sur l’idée de départ du récit : Yakari s’est trop reposé sur son don de communiquer avec les animaux, Grand Aigle va donc le priver de ce pouvoir pour mieux lui permettre de le reconquérir, grâce à ses autres capacités, de cœur et d’esprit. Comme dans Ric Hochet, le héros est bousculé, pour mieux revenir aux fondamentaux qui le caractérisent.
Concernant la reprise de Léonard, on retrouve le polyvalent Zidrou, qui non content de multiplier les scénarios plus adultes et réalistes, s’attaque donc à une autre icône de la bande dessinée, après Chlorophylle, Clifton et Ric Hochet ! Est-il encore canalisable ?
Zidrou n’a jamais été canalisable ! Et ne le sera sans doute jamais ! (Rires) Ce qui ne l’empêche pas de détenir les deux qualités les plus importantes d’un très bon repreneur selon moi : un immense talent de scénariste, avec un panel de ton et de récits très large ; ainsi qu’une connaissance et un amour infini des personnages. Jamais de cynisme ou de calcul chez Zidrou ! Je suis venu le trouver et il a accepté par passion des personnages de Léonard et pour le plaisir de travailler avec Turk.
Au sein des surprises de ce programme de rentrée, nous sommes étonnés de voir la nouvelle publication de Comanche en albums alors qu’ils sont disponibles en intégrale depuis dix ans. Est-ce une façon d’appuyer le Grand Prix d’Hermann à Angoulême ?
Cette reconnaissance s’est surtout avérée un bon prétexte pour se faire un plaisir d’éditeur. Nous avons réalisé ces intégrales de Comanche à mon arrivée au Lombard, il y a une douzaine d’années, mais avec le temps, j’en suis venu à regretter de les avoir éditées. Car Comanche est une série intemporelle qui devrait rester accessible au plus grand nombre, et nous avions pris l’option du luxe avec des intégrales en grand format assez coûteuses. Le Grand Prix m’a donc permis de rapprocher cette série du public, avec une publication en albums séparés, chacun pour moins de dix euros et avec de nouvelles couvertures pour les trois premiers tomes, issues du Journal Tintin. J’ai tenu à ne pas agrandir le format et maintenir les dos blancs, afin de respecter les collectionneurs à qui il manque l’un ou l’autre tome.
C’est bien entendu une prise de risque financière, comme Dupuis est en train de le faire pour Théodore Poussin, mais cela semble un gros investissement éditorial si vous comptez ces dix tomes dans le total de vos 90 sorties annuelles ?
J’avoue avoir sorti les Comanche de mes totaux de publications. Mais même avec les trois Comanche de cette année, et les sept de l’année prochaine, nous restons en-dessous de cent albums par an.
Si Comanche fait partie du patrimoine du Lombard, il est plus étonnant de vous voir éditer l’intégrale des Suites Vénitiennes parues chez Casterman. Un choix porté par votre relation avec Warnaut & Raives dont vous venez de publier le second tome des Jours Heureux ?
Même si elle n’était pas publiée initialement au Lombard, Suites Vénitiennes reste une superbe série dont il était très compliqué de dénicher les différents tomes. Mus par notre excellente relation avec les deux auteurs, il nous a paru évident de la publier.
En conclusion, mis à part Les Trois Fantômes de Tesla, vous avez lancé peu de nouvelles séries en 2016, pour vous focaliser sur vos séries-phares, de Yakari en passant par Thorgal, et votre anniversaire ?
Je le répète, il faut choisir ses combats. Nos enjeux de cette année étaient le lancement de La Petite Bédéthèque des Savoirs, les 70 ans et La Grande Aventure du Journal Tintin, ainsi que le travail réalisé sur quelques-unes de nos séries telles que Yakari, Léonard et Thorgal. Tout cela est basé sur notre patrimoine, cela fait sens. Nous avons publié quelques one-shots qui nous tenaient à cœur, dont Salto et Perceval, mais effectivement, très peu de nouvelles séries.
Je me félicite tout de même des précédentes séries que nous avions lancées, dont Hedge Fund, mais aussi de la place qu’a repris la collection Signé, un label aux signatures de renom, forte de grand spectacle et de thématiques populaires, et qui me tient très à cœur. Changement de cap l’année prochaine : 2017 sera consacré aux nouveaux héros du Lombard, que nous défendrons avec force tout en maintenant notre nombre total de parutions à l’année. Nous vous en reparlerons, comptez sur nous !
Propos recueillis par Charles-Louis Detournay
(par Charles-Louis Detournay)
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Photo en médaillon : Renaud Joubert.
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