Tibet était l’un des plus fidèles auteurs du Lombard. Il a créé Chick Bill en 1952 pour le magazine Tintin. Quel souvenir gardez-vous de lui ? Avez-vous une anecdote à nous raconter à son sujet ?
Je n’ai hélas pas d’anecdote particulière. J’ai rencontré Tibet sur le tard. C’était bien sûr un des piliers du Lombard, mais c’était surtout un homme très agréable. A chaque fois qu’il venait dans nos bureaux, il avait le sourire et un petit mot gentil pour tout le monde. Il discutait aussi bien avec la réceptionniste, qu’avec les assistantes éditoriales, ou François Pernot, le directeur général. Il n’y avait pas de barrière pour lui : Tibet aimait les gens, tout simplement !
Deux albums étaient planifiés, un Chick Bill en janvier et un Ric Hochet en mars …
Ce n’était pas tout ! Nous avions prévu, avec André-Paul Duchâteau et Tibet, d’axer l’année 2010 sur Ric Hochet. En mars, trois albums sortiront : le 77e Ric Hochet, une intégrale de la même série, mais aussi un roman inédit qu’à écrit André-Paul Dûchateau. En fin d’année, Ric Hochet revenait avec le 78e tome et un album un peu spécial concocté par David Vandermeulen(les Enquêtes du Commissaire Crémèr) : Ric Remix ! Il s’agit d’un montage qui avait beaucoup fait rire les auteurs. Et puis, nous avions décidé de publier un ouvrage rassemblant les caricatures faites par Tibet, La Tibetière. On ne changera pas le planning éditorial, sauf malheureusement pour la parution du 78e album de Ric Hochet que Tibet n’avait pas terminé, mais que l’on éditera tel quel.
Nous devions nous réunir avec André-Paul et Tibet pour discuter de l’accompagnement de cette année Ric Hochet et de la forme du livre La Tibetière. Nous devions récolter les souvenirs de Tibet sur les caricatures qu’il a réalisé au fil du temps. Hélas, nous n’en avons pas eu le temps. Mais nous tenons absolument à sortir ce livre.
Le décès de Tibet est une perte immense pour la maison, pour tous les auteurs et le personnel du Lombard. Quand on a appris la nouvelle, c’était comme si le ciel nous tombait sur la tête. Il avait participé à tous les grands événements de ces dernières années : les 60 ans du Lombard, l’inauguration de la restauration de l’enseigne Tintin, etc.
Coyote m’a confié qu’il apportait une dose de rock & roll au Lombard. Mais j’ai l’impression que depuis que vous êtes éditeur, puis directeur éditorial, l’image du Lombard a été dynamitée.
Dynamitée ? Je ne crois pas. L’image du Lombard avait déjà évolué avec Yves Sente. Lorsque je suis arrivé au Lombard, j’ai souhaité que l’on réfléchisse prioritairement aux formats des livres et à leurs maquettes. Chaque livre doit avoir un format adapté, même si nous n’allons pas les multiplier. Tout en n’étant pas dans la même démarche que Futuropolis ou l’Association, il était triste de refuser des superbes projets pour ces raisons. Le premier livre un peu spécial (au point de vue du format et de la maquette) que nous avons sorti était l’intégrale Kinky & Cosy. Nous réfléchissons également beaucoup à la forme des intégrales, comme par exemple celle de Vlad.
Même si le Lombard avait auparavant une collection décalée, « Troisième Degré », vous aviez l’image d’être un éditeur traditionnel. Après Coyote, d’autres auteurs de Fluide Glacial vous ont rejoint : Julien/CDM, Mo/CDM ou Relom.
L’arrêt des collections nous a permis d’ouvrir beaucoup plus le catalogue. Et maintenant, nous pouvons accompagner les livres titre par titre. Yves Sente avait créé certaines collections. A l’époque, c’était un choix judicieux et important. Les lecteurs devaient prendre conscience que le lombard était capable de publier d’excellents thrillers, des one-shots, ou des séries à « l’humour plus adulte ». Le catalogue était structuré, mais aujourd’hui, il nous fallait casser certains morceaux de cette structure pour faire face au marché actuel. Ainsi Troisième Degré et Polyptique ont disparu. Mais Troisième Vague et Signé demeurent. Aujourd’hui, on peut même éditer des œuvres plus graphiques. Nous travaillerons chaque livre, en réfléchissant avec l’auteur, à sa meilleure forme.
Pour moi, c’est cela le véritable esprit du Lombard. Le journal de Tintin a toujours publié des histoires un peu étonnantes, parfois en marge par rapport à l’époque. C’était un hebdomadaire très éclectique : avec de l’humour, de la science-fiction, de l’aventure… Aujourd’hui, nous réalisons le journal Tintin que l’on aimerait lire, sauf qu’il n’y plus de support ! Nous sommes un éditeur généraliste, qui ne veut rien s’interdire.
Vous avez conservé la maquette de Polyptique jusqu’au dernier tome de chacune des histoires…
Cela aurait stupide de changer ! Il faut respecter les lecteurs, et pour eux, c’est important que les albums aient la même maquette. On parle de séries à cycle court, pas de longues séries qui s’étalent sur une voire plusieurs décennies, et dont la maquette souffre généralement du temps qui passe. Nous avons refondu presque tous les titres de la collection Signé. La maquette est différente, et le livre est plus grand. Les chiffres de vente pour certains titres sont extraordinaires par rapport au turnover que l’on avait précédemment. Par exemple, à la Recherche de Peter Pan de Cosey se vendait bon an mal an à 700 exemplaires. Nous avons publié une intégrale, contenant un dossier. On en a vendu 12.000 exemplaires ! Ce nouveau format a permis aux lecteurs d’avoir une autre approche de lecture pour cette histoire magnifique. Nous avons publié des intégrales qui ont très bien marché, comme celles de Michel Vaillant (de Jean Graton) ou de Luc Orient (de Greg & Paape). Les gens redécouvrent une œuvre, car si les chiffres dépassent les 4.000 exemplaires, c’est que l’intégrale atteint d’autres personnes que les plus nostalgiques. Et puis, ces séries existent, il n’y a pas de raison qu’elles meurent en n’étant plus rééditées. C’est notre patrimoine et il se doit d’être maintenu !
Un livre consacré à Nietzche, par Michel Onfray et Maximilien Le Roy ferra plus de 120 pages !
Oui. Nous ne nous interdisons plus d’être limités à un nombre de page. À condition que le contenu du livre le justifie, bien entendu. Publier un livre de cette pagination dont le récit pourrait tenir à 60 planches, cela n’aurait aucun intérêt. Pourquoi un récit comme Nietzche n’aurait-il pas sa place au Lombard ? Nous nous adressons à la fois aux lecteurs de bandes dessinées jeunesses comme à ceux des romans graphiques. Etre éditeur, c’est explorer. D’essayer de voir ce qui pourrait être intéressant pour les lecteurs. Il faut donc se remettre régulièrement en question. Certaines séries se sont arrêtées dernièrement, d’autres vont démarrer. Avec quelques belles arrivées en perspective.
Vous publiez également un nouveau bimensuel, avec actuellement rien que de l’inédit !
Oui. Kramix. Un nom bien belge, puisque nous avons emprunté le nom au cramique : Un pain aux raisins secs et au sucre. Bref, un petit mélange. C’était amusant de partir d’une pâtisserie pour en faire un laboratoire où l’on trouverait différents ingrédients.
Qu’est-ce qui le distinguera du journal précédent, le Strip ?
Kramix est différent du Strip, sans l’être réellement. Nous retrouverons dans les prochains numéros de Kramix des auteurs qui ont été publié dans le Strip : Coyote (sans qui rien n’aurait été possible…), Clarke, Relom, Mo/cdm, Julien /cdm, etc. Le premier numéro a été réalisé uniquement par des femmes. Il y a effectivement de plus en plus d’auteures de bandes dessinées. Personne n’avait jamais demandé à des auteures humoristiques de réaliser l’entièreté d’un journal de bande dessinée ! Nous voulions les mettre en avant.
Nous sommes aussi très attentifs à ce qui se passe sur les blogs. Kramix contient des mélanges qui peuvent paraître bizarres, mais qui finalement ont toujours eu lieu dans les magazines historiques, avec des styles classiques voire parfois résolument modernes et des innovations graphiques. Le mélange est intéressant.
Le format du journal est différent. Le Strip ressemblait à un quotidien, tandis que Kramix ressemble plus à un hebdo…
Le Strip se vendait bien. Mais ses pages étaient immenses. Ce qui était parfois un avantage ou un inconvénient pour la lisibilité. En fait, cela dépendait du graphisme des auteurs. Nous avons donc décidé de changer de format et d’augmenter la pagination pour passer à 52 pages, tout en doublant le prix. Celui-ci est encore raisonnable. Kramix coûte 2 €. Beaucoup d’histoires seront totalement inédites. Des auteurs n’y réaliseront que quelques pages. D’autres seront regroupées dans des albums…
Ce journal n’est-il pas une manière d’approcher de nouveaux auteurs ? Vous n’allez pas faire fortune en publiant ce magazine …
Je ne pense pas, mais on ne sait jamais… (Rires). Le tout est d’arriver à un équilibre financier dans un premier temps pour que le journal perdure. Ce journal est un espace de création pour les jeunes auteurs, comme pour les auteurs confirmés qui aiment aussi voir paraître leurs histoires dans ce format. La publication dans un magazine manque aujourd’hui cruellement à la bande dessinée. C’est dramatique d’avoir perdu presque tous les supports journaux qui publiaient des BD. Cela permettait aux auteurs de tester un style, des personnages, de prendre conscience plus facilement et plus rapidement des améliorations qui devaient être réalisées. Aujourd’hui, on demande aux auteurs d’être professionnels d’entrée de jeu ! La presse permettait aux auteurs encore malhabiles de s’entraîner, de dessiner. Beaucoup d’auteurs qui ont été édités dans la presse ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui s’ils n’avaient pas pu faire leurs premières armes dans Tintin, Spirou ou Pilote.
Kramix a été créé pour faire découvrir des auteurs, dont des inconnus comme par exemple Lucile Gomez qui signe Bretzelle et Baba.
L’un des événements du printemps sera la sortie d’une déviation de la série Alpha…Vous accumulez les spin-off décidément !
Oui et non. Eric Loutte et Herzet reviendront sur la jeunesse d’Alpha et sur sa formation militaire dans Alpha Premières Armes. Il y a plusieurs types de spin-off : , ici la jeunesse d’un personnage, mais cela peut également être une série parallèle, comme IR$ All Watcher qui sera clôturée en sept tomes.
On retrouvera également un personnage de la série Thorgal dans une série parallèle, à savoir Kriss de Valnor. Giulio De Vita et Yves Sente sortiront le premier album de ses aventures à la fin de l’année, en même temps qu’un nouveau Thorgal. Ce projet est né suite à l’envie des auteurs historiques de la série de voir leurs personnages vivre et évoluer parallèlement à la série-mère.
Il y a néanmoins différents projets autour de Thorgal, mettant en valeur différents personnages de la série. Jean Van Hamme vient de nous citer : Louve, Kriss de Valnor, Galathorn et Pied d’Arbre. Van Hamme aimerait également créer un univers pour les plus jeunes : un monde peuplé de nains comme Djhazi, dans lequel Thorgal viendrait faire des incursions…
Je confirme, mais je ne dois plus rien vous dire (Rires). Il y aura également une série parallèle autour de Jolan. Nous réfléchissons actuellement à cela, et il est encore un peu tôt pour vous en parler concrètement, d’autant plus que des auteurs font encore des essais. Il y aura également le projet d’une Encyclopédie des mondes de Thorgal, qui sera écrite par Jean Van Hamme et illustré notamment par Rosinski.
Quels seront les grands événements de l’année 2010 au Lombard ?
Un nouvel album de Bernard Prince signé par Hermann et Yves H. Magnifique ! Puis, La Horde des Vivants, le premier tome d’une nouvelle série intitulée Reconquêtes réalisée par François Miville-Deschênes et Sylvain Runberg. Les planches, en couleurs directes, sont extraordinaires. La collection Signé accueillera aussi d’autres nouveautés : Le Chat qui courait sur les toits (de René Hausman & Michel Rodrigue), Tom et William (de Laurent Lefeuvre), Rue des Chiens Marins (de Michel Constant), 20 ans de Guerre de Benoît Blary et Hervé Loiselet et un album de Fred Salsedo et Olivier Jouvray intitulé « Nous ne serons jamais des héros ».
Jean Dufaux et Yacine Elghorri signeront une nouvelle série intitulée Medina. Ces dernières années, ce dessinateur avait signé quatre albums chez Carabas. Daniel Ceppi publiera une nouvelle aventure de Stéphane Clement, toujours sur fond de conflits géopolitiques.
Et bien entendu, nous continuerons à publier des séries jeunesse, comme par exemple Cédille (de Cantin et Cécile), Le Maître des Ogres (de Rodrigue et Cucca) , les Légendes de Parva Terra (de Arnaiz), Ernest & Rebecca (de Bianco & Dalena), Sybil et la Fée Cartable (de Rodrigue & Dalena), etc…
Nous essayons aussi de ne pas augmenter notre production. Elle avoisine les cent titres par an. Certaines séries disparaissent car elles n’ont pas trouvées leur public, d’autres apparaissent…
Pourquoi vous maintenir à cent titres ?
Par conviction éditoriale ! Il nous serait très difficile de suivre correctement tous les albums au-delà de 100 titres par an ! Nous voulons apporter un véritable suivi, du synopsis à l’impression, du marketing au commercial, en passant par la presse …
Essayer de faire peu, mais bien.
(par Nicolas Anspach)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Photo © Nicolas Anspach
Participez à la discussion