Votre père vous a-t-il appris à dessiner ?
Un peu ! En fait, il voulait m’envoyer aux Beaux-Arts. Je n’y suis allé qu’une quinzaine de jours. Je suis revenu de là en inventant différentes excuses pour ne pas y retourner. Je me souviens encore du moment où je lui ai dit que l’on m’avait volé mon dossier d’inscription ! Il m’a alors demandé de dessiner d’après un plâtre. Je devais réaliser une représentation parfaite. J’ai travaillé sur le dessin préparatoire pendant quelques jours. Il venait voir de temps en temps l’avancement de mon travail. Je lui ai finalement donné mon dessin et il m’a regardé dans les yeux et m’a dit : « OK, tu ne vas pas aux Beaux-arts ». J’ai croyais naïvement sur le moment que j’étais doué pour le dessin. Après ce test, il hésita pendant plus de six mois encore à m’envoyer aux Beaux-Arts.
Il est vrai que je me passionnais aussi pour d’autres choses. J’avais arrêté l’école en quatrième, avant le brevet, donc. Cela ne lui a pas posé de problème. J’ai fait du lettrage et des couleurs pour lui. Puis j’ai bossé pour la publicité. J’ai monté une agence et cela a été mon tour de le faire travailler.
Vous avez vécu une vie de bohême auprès de vos parents, Joseph & Annie Gillain.
C’était fantastique ! On voyageait beaucoup. Nous ne vivions pratiquement jamais plus de deux ans dans le même pays, dans la même école ou dans le même environnement. Nous avons dû apprendre l’espagnol au Mexique pendant deux mois. Et l’anglais, aux États-Unis dans un laps de temps aussi court. Nous vivions toujours dans des maisons assez grandes que l’on louait. La dernière était située au Cap d’Antibes. Nous avons toujours été des « étrangers » quelque part. Mais mon père avait confiance en la capacité d’adaptation de ses enfants.
Avez-vous des souvenirs du voyage aux États-Unis avec Franquin et Morris… [1]
Bien sûr. On a traversé les USA en ligne droite, en un mois environ, dans une Hudson. Mon père avait acheté une grosse tente de l’armée anglaise et des lits de camps qui n’ont jamais servi. On dormait dans les motels. C’était hallucinant pour nous, enfants, de découvrir les montagnes et le désert.
On lui prête "une morale du dessin"…
Une morale, tout court. Il était dur. Je me souviens que, dès l’instant où un dessin était vulgaire, il envoyait les gens balader.
Les connaisseurs reconnaissent le travail et l’influence prépondérante de Jijé. Pourtant on sent qu’il est un peu oublié aujourd’hui…
Cela m’énerve qu’il ait été oublié par la jeune génération des auteurs et par le grand public. Il ne le mérite pas. Il a toujours été très généreux avec les jeunes auteurs. Mon père n’a pas fait carrière avec un personnage, à la manière de Morris ou d’Hergé. Il a cédé ses personnages à des auteurs qui avaient envie de travailler avec lui [2]. Et puis, il a beaucoup papillonné. Il a mal géré sa carrière à cause de cela. Heureusement qu’il a influencé beaucoup d’auteurs…
Aurait-il aimé vivre de sa peinture et de sa sculpture ?
C’est difficile à dire. C’était quelque chose qui le passionnait, mais il aimait mettre une certaine discrétion à cet aspect de son travail. Quand il peignait, cela sentait une odeur particulière dans la maison. Mes frères, mes sœurs et ma mère, nous savions alors que nous ne devions surtout pas le déranger. Il était alors totalement dans son travail. Pourtant, lorsqu’il travaillait sur une planche de bande dessinée, j’avais l’habitude d’être accroché à sa barbe et le regarder dessiner. Cela ne lui posait pas le moindre problème.
Quel souvenir avez-vous de "La Bande à 4" de Waterloo ?
Le jour où Maurice De Bevere (Morris, l’auteur de Lucky Luke) est venu pour la première fois à Waterloo, avenue Bellevue, il a vu quelqu’un, de dos, qui travaillait dans une odorante fosse à purin. Morris était, comme à son habitude tiré à quatre épingles, avec son nœud papillon. Il demanda à l’ouvrier s’il savait où trouver Monsieur Gillain. Il lui répondit : "C’est moi !" ! Il l’avait évidement monté exprès cette scène pour le faire mousser [3]. Cela nous a bien fait rire !
(par Nicolas Anspach)
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Jijé, sur ActuaBD, c’est aussi :
Derib (Auteur de Yakari, Buddy Longway) : « Jijé était un artiste généreux » (Juin 2010)
« 30 ans après sa disparition, les peintures de Jijé sont exposées à Bruxelles » (Juin 2010)
« L’atelier de Franquin, Jijé, Morris & Will » (Juin 2010)
L’exposition « Joseph Gillain – Peintures et sculptures » est visible jusqu’au 17 octobre 2010.
à la Maison de la Bande Dessinée. Quelques planches de Jijé sont également exposées.
La Maison de la BD
Boulevard de l’Impératrice, 1
1000 Bruxelles
Tel : 02/502.94.68
info@jije.org
www.jije.org
Les éditions Dupuis éditent de nouvelles intégrales de l’oeuvre de Jijé : Les Jerry Spring en noir et blanc, et l’ultime volume de Tout Jijé.
Commander le T1 de l’intégrale Jerry Sping (à paraître en août 2010) chez Amazon ou à la FNAC
Commander le T2 de l’intégrale Jerry Sping (à paraître en octobre 2010) chez Amazon ou à la FNAC
Commander l’intégrale Tout Jijé 1942 à 1945 (à paraître en octobre 2010) chez Amazon ou à la FNAC
Photo : (c) Nicolas Anspach
[1] Joseph et Annie Gillain et leurs enfants partirent d’Août 1948 à Juillet 1950 aux USA. Il traversèrent les USA, de New-York à Los Angeles en compagnie de Franquin et Morris, avant de rejoindre le Mexique. Franquin rentrera en Juillet 1949. Tandis que Morris accompagnera les Gillain dans le Connecticut. [[On peut cliquer ici, pour plus de détails sur ce périple.
[2] Jijé à confié Spirou et Fantasio en 1946 à Franquin. Il était le créateur du personnage de Fantasio. Peu de temps après, il cède un temps Jean Valhardi à Eddy Paape, et Blondin et Cirage à Victor Hubinon.
[3] Ces événements se déroulent en 1946 ou au début de l’année 1947. Morris connaissait déjà Jijé à cette époque. En 1945, ils partageaient un atelier avec Franquin dans le centre de Bruxelles. Charles Dupuis avait loué un studio à cet effet.
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