C’est en mars 1954 que paraît dans le journal de Spirou la première aventure de Jerry Spring. Dès les premières pages, Jijé étonne par l’humanisme et la noblesse qu’il apporte à son cow-boy. Alors qu’un indien, « Une Seule Flèche » a tué son père, Jerry Spring le livre aux autorités plutôt que de faire justice lui-même. Pas étonnant que l’auteur de Buddy Longway – dont les intégrales sortent pour le moment aux éditions du Lombard – se réfère à son travail.
Jerry Spring, ce western réaliste, a été probablement influencé par le voyage d’Annie et Joseph Gillain aux Etats-Unis et au Mexique entre août 1948 jusqu’en juillet 1950 [1], notamment pour la compostion de certains paysages.
Dupuis éditera à partir du mois d’août prochain les aventures de Jerry Spring et de son complice mexicain Pancho en intégrale noir et blanc. Le même éditeur publiera en octobre prochain un nouveau (et ultime) volume de l’intégrale Tout Jijé, qui sera consacré aux années 1942 à 1945. Il reprendre des aventures de Spirou et Fantasio, réalisé par Jijé, mais aussi la biographie de Christophe Colomb.
Une double occasion de découvrir le travail de ce chef de file de la BD belge, qui a influencé et formé Franquin, Will, Morris, Giraud et bien d’autres dessinateurs, dont Derib ! Mais laissons lui la parole [2]…
Que représentait Joseph Gillain, alias Jijé, pour vous ?
Beaucoup de choses ! Je me souviens qu’à cinq ou six ans, j’ai vu ma première page de Golden Creek. Je revois encore la scène où Pancho est près d’un feu. Tout s’est déclenché à ce moment-là. Depuis lors, je n’arrête pas de regarder le travail de Jijé. Les quatre éditions noires et blanches en grand format de Jerry Spring sont en permanence sur ma table de nuit. J’ai la chance de pouvoir regarder régulièrement des originaux que Joseph a eu la gentillesse de m’offrir. André (Franquin) et Joseph font partie des auteurs fondamentaux de la bande dessinée. J’ai eu la chance de les rencontrer, et de devenir leur ami. Joseph venait souvent en Suisse. Il dormait à la maison. Et moi, quand j’allais à Bruxelles, je m’arrêtais toujours chez lui. Il a même été question, à une époque, que l’on reprenne Jerry Spring ensemble. Jijé est quelqu’un de très important pour moi. Il m’a apporté beaucoup, tant au niveau personnel que professionnel. C’est pour cette raison que je suis venu de Suisse pour voir l’exposition de ses peintures à la Maison de la BD et rencontrer ses enfants. Je voulais leur témoigner de ce que Joseph m’a apporté au niveau graphique, mais aussi quant à sa générosité. C’est très touchant de voir que François Deneyer, le patron de la Maison de la BD, a réuni plus de 70 membres de la famille Gillain. Joseph doit se marrer là-haut !
Il était extrêmement disponible et généreux pour les jeunes auteurs. Il était parfois très dur avec eux. En sortant de chez lui, les jeunes dessinateurs, se demandaient souvent s’ils étaient capables de dessiner.
Christian Rossi me disait qu’il pouvait se montrer très dur, et la minute d’après prendre la posture du bon père rassurant.
C’était un homme spontané, qui disait ce qu’il pensait. Il a apporté énormément de chose à la bande dessinée que j’appelle belgo-française ! Jijé est le père de la BD réaliste. Si Joseph n’avait pas existé, Jean Giraud, Hermann, Blanc-Dumont, Bernard Cosey et moi-même nous ne serions pas là…
Rossi me disait également que Jijé avait une morale du dessin.
Oui. Il y a dans son trait une sensualité positive et spontanée qui donne une force à son dessin. Et puis, on sent aussi un profond respect pour l’Homme dans son travail. C’est grâce à lui, et à son personnage de « Une seule flèche », un jeune apache que l’on voit dans Golden Creek, que j’ai eu envie de faire des histoires mettant en scène des indiens. Quand on a huit ou neuf ans, et que l’on voit le respect de Jerry Spring pour « Une-seule-flèche », cela marque pour la vie !
Que pensez-vous de la peinture de Joseph Gillain ?
Mon père, François de Ribaupierre, était peintre. Ils se sont rencontrés. Papa n’était pas touché par la bande dessinée, mais il a reconnu des qualités dans les peintures de Joseph. Mon père était beaucoup plus réaliste dans son travail que Jijé. Il y a une dynamique dans les tableaux de Jijé que mon père n’avait pas. Ce dernier avait une approche plus stricte et réelle.
Tout ce qui émane graphiquement de Joseph me touche. Il y a une envie, une force, chez Jijé de faire du bien aux gens à travers ses bandes dessinées, ses sculptures ou ses tableaux [3]. Jijé était un artiste généreux, ce qui est assez rare aujourd’hui.
Avez-vous une anecdote à nous raconter à son sujet ?
Ma première rencontre avec Jijé. Je le connaissais à travers ses dessins depuis mon enfance, mais je ne l’avais jusqu’alors jamais rencontré. J’étais invité à une pendaison de crémaillère chez Charles Jadoul. Ce dernier a été rédacteur chez Spirou et a été mon scénariste pour Arnaud de Casteloup. Je savais qu’il avait invité de nombreux dessinateurs. Lorsqu’il m’a ouvert la porte, je lui ai directement demandé si Jijé avait été invité. Il me répond qu’il est à l’étage. En montant les escaliers, j’entends de la musique. Je découvre Joseph, seul dans une pièce, en train de danser sur les airs émis par un tourne-disque. Il m’a regardé et m’a demandé : « Est-ce que vous dansez ? » (Rires). J’ai dansé avec lui, comme on danse avec les loups (Rires).
Il est malheureusement peu connu du grand public…
Cela m’énerve énormément. Je parle de Joseph aussi souvent que je peux pour cette raison. En France, c’est terrible : personne ne le connaît. En Belgique, il a une plus grande notoriété. Mais malheureusement bien loin de la reconnaissance qu’il devrait avoir.
Un dernier souvenir ?
Il date de la fin des années ’70. Lorsqu’ils arrivaient au Festival de la BD d’Angoulême, les auteurs recevaient une bouteille de cognac dès leur descente du train. On a assisté Joseph, Bernard Cosey et moi-même a une petite cérémonie. Joseph me fait remarquer que l’orateur parlait depuis une dizaine de minute en tenant une bouteille de cognac comme si c’était un micro. En fait, Joseph avait subtilisé le micro, qu’il avait mis dans sa poche, et passé sa bouteille de cognac (Rires).
(par Nicolas Anspach)
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Jijé, sur ActuaBD, c’est aussi :
« 30 ans après sa disparition, les peintures de Jijé sont exposées à Bruxelles » (Juin 2010)
« L’atelier de Franquin, Jijé, Morris & Will » (Juin 2010)
Claude Derib, sur ActuaBD, c’est aussi :
Des textes d’actualité :
« Yakari mis à l’honneur par Bruxelles » (Septembre 2009)
« Derib, la dernière voix des Indiens » (Septembre 1998)
Des interviews :
« J’ai besoin de raconter de belles histoires qui aient une force humaine et l’animal y joue un rôle important » (Mai 2006).
« Le dessin animé Yakari reflète l’esprit de la BD » (Avec Job, février 2006)
« Avec Job, nous sommes très attentifs à rester fidèles à Yakari » (Interview filmée, disponible chez notre pertenaire France télévision).
Des chroniques d’albums :
Buddy Longway T17, T18, T19 T20
Yakari T30, T33
Pythagore & Cie - L’intégrale
Lien vers le site officiel de Derib
L’exposition « Joseph Gillain – Peintures et sculptures » est visible jusqu’au 17 octobre 2010.
à la Maison de la Bande Dessinée. Quelques planches de Jijé sont également exposées.
La Maison de la BD
Boulevard de l’Impératrice, 1
1000 Bruxelles
Tel : 02/502.94.68
info@jije.org
www.jije.org
Commander le T1 de l’intégrale Jerry Sping (à paraître en août 2010) chez Amazon ou à la FNAC
Commander le T2 de l’intégrale Jerry Sping (à paraître en octobre 2010) chez Amazon ou à la FNAC
Commander l’intégrale Tout Jijé 1942 à 1945 (à paraître en octobre 2010) chez Amazon ou à la FNAC
Photo : (c) Nicolas Anspach
[1] accompagné en partie par André Franquin et Morris
[2] Cette interview est illustrée par des planches et dessins issus de Jerry Spring, ainsi qu’une peinture de Jijé. Afin de mieux (re)découvrir son œuvre.
[3] Ndlr : A l’occasion de l’exposition « Joseph Gillain, Peintures et Sculptures », la Maison de la Bande Dessinée met en vente un ouvrage inédit sur cet aspect méconnu de la carrière de Jijé.
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