Dans les papiers des bookmakers, Daniel Clowes avait toutes les chances de remporter le Grand Prix avant que Posy Simmonds ne le coiffe au poteau. Pour quelle raison ? Son passage de Cornélius à Delcourt lui aurait coûté la défection du suffrage des auteurs alternatifs. Le jury désirait-il tout de même corriger cet accroc du destin ? Quoiqu’il en soit l’auteur de David Boring, d’Eightball et du récent Monica a reçu les faveurs du jury, en lui décernant le Fauve d’or de cette 51e édition du FIBD d’Angoulême.
Moto Hagio récompensée !
En début de cérémonie, la mangaka Moto Hagio reçoit un fauve d’honneur. Le FIBD lui avait organisé une magnifique rétrospective, ainsi que nous vous l’avions décrite dans nos différents articles. Cette autrice charnière dans l’histoire de la bande dessinée japonaise, avec ses collègues de la génération dite du « Groupe de l’An 24 », est réputée pour avoir bousculé le shōjo traditionnel en lui permettant de rayonner au-delà de son lectorat-cible habituel, composé de jeunes filles.
Prix René Goscinny
Deux prix ont été décernés, tous deux pour des albums paru chez Dargaud. Tout d’abord pour la meilleure scénariste récompensant Julie Birmant pour le premier tome de Dali avec Clément Oubrerie au dessin (Dargaud). Ensuite le prix du jeune scénariste attribué à Simon Boileau pour La Ride, dessiné par Florent Pierre.
Fauve polar SNCF voyageurs
L’album Contrition réalisé par Keko & Carlos Portela (traduction d’Alexandra Carrasco chez Denoël Graphic remporte le fauve polar SNCF. En théologie, la contrition est un regret, un chagrin profond d’avoir commis un acte impie avec la promesse de ne plus jamais l’accomplir. L’album de Keko (dessins) et Carlos Portella (scénario) campe son intrigue dans le quartier de Contrition dans le comté de Palm Beach en Floride où se regroupent des ex-condamnés pour des crimes sexuels afin de les éloigner de leurs victimes.
Fauve bande dessinée alternative
Le fanzine néerlandais Aline a été récompensé pour ses publications que l’on peut retrouver sur son site internet : ikbenaline (disponible uniquement en néerlandais). Il compte six numéros à ce jour, le dernier ayant sa couverture dessinée par Hélène Lespagnard.
Éco-fauve Raja
Frontier est un feu d’artifice graphique dans lequel Guillaume Singelin s’amuse, fidèle à lui même, à mixer les genres et les influences pour explorer de nombreux éléments : explorer une nouvelle humanité, condamnée par l’industrie à vivre loin de son berceau originel ; une humanité qui s’est adaptée à une vie confinée, à une vie de labeur où le libre-arbitre et la fraternité ne sont plus les principaux horizons.
Fauve Patrimoine
« À quand l’édition française ? » Voilà la question que posait Anton Guzman dans son article de 2005 (oui, vous avez bien lu, « 2005 » !). Eh bien, la voilà enfin parue chez Onapratut / Le Portillon, et d’emblée récompensée comme il se doit.
Cet album est non seulement un témoignage d’une valeur incontestable sur un aspect de l’histoire japonaise plutôt méconnu, mais c’est aussi un manga en avance sur son temps.
Quatre Japonais à San Francisco (1904-1924) parle de conditions sociales, de racisme, de politique, de parcours de vies, le tout étroitement inséré dans une réalité historique tantôt toile de fond, tantôt substance narrative. La guerre russo-japonaise, le grand tremblement de terre de San Francisco, la Première Guerre mondiale, la crise économique, les différences de régimes (démocratie et empire), les vagues d’immigration, la prohibition, les lois anti-immigrés, les grandes expositions, etc. Autant d’éléments, en plus du suivi des parcours de personnages sur une période donnée, qui confèrent à l’œuvre de Henry Yoshitaka Kiyama une modernité évidente. Au-delà du style visuel, les histoires de Kiyama dégagent ainsi une forte impression de lucidité et de véracité, sans tomber dans le misérabilisme ou l’apitoiement.
Fauve - Prix du public France télévisions
Notre collaborateur Philippe Lebas l’avait désigné comme favori de notre rédaction : Des Maux à dire nous plonge aussi dans une Espagne encore très marquée par le franquisme, le patriarcat et le catholicisme. À elle seule, cette histoire aurait suffi à nous toucher, d’autant que l’on sent combien l’autrice Bea Lema s’y est impliquée. Mais c’est grâce au mélange des techniques graphiques particulièrement novateur, que Bea Lema nous transporte pleinement. Elle alterne des dessins simples et faussement naïfs, au stylo ou au feutre, en noir et blanc ou en couleur, qui permettent de voir les choses à la manière d’un enfant et de les tenir un peu à distance. Les mises en page sont elles aussi extrêmement variées, allant de la pleine page au gaufrier (rarement), en passant par des agencements très inventifs, avant de nous faire tomber brutalement sur des rapports médicaux et des ordonnances bien réelles !
Fauve des lycéens
La figure de proue du catalogue de rentrée des éditions 2024 est justement récompensée par le Fauve des Lycéens. Le Visage de Pavil, par Jérémy Perrodeau est un album dépaysant à la finition soignée, où l’auteur explore l’origine des croyances et leur place dans la société. Il invoque la dichotomie entre science et mythologie et sous-tend sa narration de questionnements sur le traitement de l’étranger et sur la tolérance. Le tout avec un trait qui est maintenant caractéristique de l’auteur, relevant autant de la Ligne claire que du design.
Fauve révélation
Matthieu Chiara est récompensé pour L’homme gêné paru aux Éditions de L’Agrume, où il met en scène un homme timide et renfermé (au propre comme au figuré), qui doit se reprendre en main pour charmer la voisine venue frapper à sa porte et le sortir involontairement de sa solitude.
Fauve de la série
À nouveau un favori de notre rédaction est récompensé ! Ainsi que l’exprimait Aurélien Pigeat concernant The Nice House on the Lake par James Tynion IV et Alvaro Martinez Bueno (Urban Comic) : « La dimension "policière" du récit tient en haleine le lecteur jusqu’au bout de manière habile et convaincante. Dans le même temps, le fil de science-fiction s’étoffe et offre des perspectives alléchantes, de quoi faire de The Nice House on the Lake l’un des très bons comics de ce début d’année. »
Fauve spécial du jury
Après avoir reçu le prix « Révélation » de l’ADAGP au festival de Saint-Malo, la quête identitaire de Sophie Darcq est à nouveau récompensée à Angoulême qu’elle connaît bien, car elle est diplômée de l’EESI et réside à la Maison des Auteurs. Adoptée à la naissance, Sophie Darcq a décidé de partir en Corée sur les traces de sa famille, accompagnée de l’une de ses quatre sœurs, ce qu’elle raconte dans ce premier tome d’Hanbok (Ed. L’Apocalypse), ce besoin de savoir qui elle était, de connaître à tout prix d’où elle venait...
Fauve d’or : Prix du meilleur album
C’est presque sans surprise (mais avec beaucoup de satisfaction !) que nous apprenons le Fauve d’or remis à Daniel Clowes pour Monica. Son dessin minutieux et le choix de ses couleurs apportent une lisibilité parfaite qui contraste volontairement avec un propos plus énigmatique dont la compréhension nécessite l’implication du lecteur. Chaque case profite d’une grande force, et certaines sont de petits bijoux de composition, tant dans l’intention narrative que dans le graphisme. L’auteur emprunte d’ailleurs à différents styles dans chaque histoire, passant de la romance au récit de guerre, voire à l’horreur des histoires de Lovecraft. Il compose ainsi une mosaïque dont les différents regards se croisent et se renvoient, jusqu’à une vertigineuse introspection. À bien des égards, Monica s’impose donc comme un livre majeur qui nous hypnotise, nous remplit et nous questionne bien après sa lecture. Comme toutes les créations qui comptent !
De la même façon que les catalogues mainstream sont régulièrement absents de la sélection ces dernières années, on remarquera, qu’en dépit du fait que ce soit un auteur américain qui soit primé, la sélection et les Prix ne comprennent qu’assez peu de comics récompensés, donnant l’impression que la BD américaine est largement ignorée. Le directeur éditorial d’Urban Comics partage ce constat et suggère qu’un poste de directeur artistique dédié à la BD américaine devrait-être créé sur le festival, comme c’est le cas pour le manga. Le festival doit évoluer.
(par Charles-Louis Detournay)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par Kelian NGUYEN)
(par Romain GARNIER)
(par Hippolyte ARZILLIER)
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Photo-reportage : Kelian Nguyen.
Propos recueillis par Romain Garnier.
Réseaux sociaux : Hippolyte Arzillier.
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