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Joann Sfar répond à Maître Christophe Bigot

7 juin 2007 4 Commentaires
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Dans notre chronique des carnets de Joann Sfar à propos du procès de Charlie Hebdo, Greffier (Editions Delcourt) nous avions souligné la formule maladroite que Joann Sfar adressait à Me Christophe Bigot, l’avocat de la Mosquée de Paris : « l’avocat des cons ». Maître Bigot a voulu réagir de son côté et a posté un message sur notre forum, dont nous avons fait état.
Joann Sfar nous a adressé ce matin un mail dans lequel il nous demande de publier sa réponse à Maître Bigot.

Il écrit : « Si mes écrits vous ont blessé ou ont peiné vos proches, je le regrette sincèrement et vous prie de me pardonner. Il est certain que j’aurais formulé les choses de façon différente si mon carnet avait été dessiné à froid. » Mais il ne lâche pas l’affaire pour autant et revient sur la défense de Maîtres Szpiner et Bigot : « les armes que vous avez utilisées pour défendre les plaignants me semblent nauséabondes » dit-il, en détaillant les arguments de la défense qui lui avaient semblés « inexcusables ».


LA RÉPONSE DE JOANN SFAR À Me CHRISTOPHE BIGOT

Cher Maître Bigot,

Je regrette que vous ayez choisi de n’extraire de la page que vous citez qu’un passage tronqué. J’ai bien écrit « j’aurais pas été fier si mon papa avait plaidé cette affaire », mais immédiatement après et dans la même page j’ajoute « Ça n’est pas bien ce que je viens d’écrire. Chaque cause mérite son avocat et c’est la noblesse de ce métier que de mettre son talent et son éloquence au service de son client ». J’ai pu me désoler publiquement et à de nombreuses reprises que le tribunal ait jugé recevable la plainte des associations musulmanes contre Charlie Hebdo, car pour moi, il n’y avait pas matière à procès. Je me suis plaint des juges mais pas des avocats. Jamais je n’ai regretté que les parties civiles aient été défendues.

En revanche, les armes que vous avez utilisées pour défendre les plaignants me semblent nauséabondes. Maître Szpiner et vous même n’avez pas hésité, et à de multiples reprises, à faire le parallèle entre Charlie Hebdo et les caricatures antijuives des journaux hitlériens. Vous n’avez pas hésité à faire le parallèle entre Charlie Hebdo et les dessins négationnistes diffusés en Iran l’an dernier. Manifestement, pour vous, considérer que les intégristes sont des cons et appeler au meurtre de toute une communauté, c’est la même chose. Pour moi non.
Autant on peut pardonner ce genre d’errements aux défenseurs de la Ligue Islamique Mondiale ou de l’UOIF qui étaient manifestement peu au fait de l’éthique des Lumières, autant venant de vous c’est selon moi inexcusable.

Lorsque l’avocat de la Ligue islamique Mondiale explique avec des trémolos dans la voix qu’il est inadmissible que Charlie Hebdo caricature le président de la République Française, on voit bien qu’il vient du monde de Ben Ali et qu’en Tunisie on n’autorise pas de telles choses. Donc je le ridiculise gentiment, car l’apparition de cet avocat d’un autre monde dans un prétoire parisien relève pour moi de la cocasserie pure.

Pour vous, c’est différent. Vous, vous savez ce que vous faites et vous savez pertinemment sur quels leviers vous appuyez. Beaucoup des horreurs qu’ont proférées les avocats de la Ligue Islamique ou de l’UOIF auraient du vous faire quitter votre banc. Non, je n’aurais pas été fier de voir mon père assis sur ce banc-là.

Lorsque vous n’hésitez pas à aller expliquer le primat du droit européen sur le droit français pour tenter de nous habituer à prendre en considération un délit de blasphème qui n’ose pas dire son nom, la cause que vous défendez dépasse celle du procès en cours, et c’est à toute la société française telle que j’ai appris à l’aimer que vous souhaitez imprimer un virage dangereux.

Je ne m’en prends pas à la fonction d’avocat, ni même à votre choix de prêter votre talent à une cause selon moi indéfendable. Je vous reproche votre ligne de défense et vos choix d’arguments. Je les trouve réducteurs, démagogiques et dangereux, car au-delà de l’affaire qui nous occupe ils ouvrent la porte à de profonds changements de l’espace public tel que nous le connaissons.

Je suis désolé de l’écrire à nouveau, maître, mais si j’avais entendu mon père avoir recours aux arguments que vous avez proférés, je ne serais pas fier.

Vous avez passé les deux jours d’audience à faire croire qu’il n’y avait pas de différence entre l’incitation à la violence raciale et l’anticléricalisme. Pour moi, c’est une façon de banaliser le racisme. Vous avez passé deux jours, maître Szpiner et vous-même, à sous entendre que les caricaturistes étaient responsables de la mauvaise réputation de l’Islam, les caricaturistes et jamais Ben Laden ! Que de maux imputables aux dessinateurs !

Je crois que notre cher pays n’a pas besoin qu’on mélange tout comme vous avez cru bon de le faire. Je vois dans la manière dont on compare tout à l’hitlérisme une façon d’oublier la shoah et de banaliser l’Histoire. On peut pardonner à un enfant de tout mélanger, pas à une grande personne. Je crois que vous êtes assez talentueux pour savoir pertinemment avec quoi vous jouez.

Je ne regrette pas que vous ayez défendu ces associations, je regrette la méthode.

Quand mon cher père défendait des voleurs, des assassins ou des grands criminels, je lui demandais « qu’est ce que tu as dit pour les défendre ? ». Même enfant, je savais qu’il ne fallait pas lui reprocher de les défendre, mais je voulais savoir quels mots il avait trouvés. Quand j’avais le sentiment que mon papa ne mentait pas, mais qu’il essayait d’expliquer, quand je ressentais son intervention comme une façon d’éclairer les ténèbres, j’étais fier de dire «  mon papa est avocat ».

Je maintiens que selon moi les arguments auxquels vous avez eu recours ne sont pas à votre honneur et ne grandissent pas la robe d’avocat. Oui, si vous étiez mon père, je vous en aurais voulu, et je ne sais pas si nous nous parlerions encore. Parce que j’aurais eu honte qu’un homme portant mon nom partage la cause de gens qui feignent de confondre Charlie Hebdo et Ahmadinejad ou Hitler. Mais le monde est bien fait puisque mon père ne confond pas tout et que je ne suis pas votre fils.

Pour ma part, j’ai regretté « j’aurais pas été fier si mon papa avait plaidé cette affaire » à l’instant où je l’ai écrit et dans la même page je notais immédiatement « ça n’est pas bien ce que je viens d’écrire, chaque cause mérite son avocat ». Ce carnet a été écrit sur place et pendant le temps de l’audience. Ce sont les réactions viscérales d’un fils d’avocat qu’on peut y lire. Avec ce mouvement de la pensée dialectique qui avance en se contredisant. Tous les lecteurs qui ont parcouru honnêtement ce passage ont compris ce que je voulais dire. En choisissant de ne produire que le début de cette page dans un forum public, vous tronquez délibérément le sens de mon propos. Dans un prétoire, c’est une technique courante, par écrit, ça se voit un peu plus.

Si mes écrits vous ont blessé ou ont peiné vos proches, je le regrette sincèrement et vous prie de me pardonner. Il est certain que j’aurais formulé les choses de façon différente si mon carnet avait été dessiné à froid. Dès les premières pages de cet ouvrage, j’explique ma méthode de travail, qui exclut tout repentir. Le lecteur a donc sous les yeux mes réactions immédiates et subjectives, en temps réel. Il comprend évidemment que ça n’est pas à vous que je m’en prends mais au rôle que vous jouez dans cette singulière dramaturgie. Ca n’est pas à monsieur Bigot que je m’attaque, mais au Maître Bigot de ce procès précis, qui endosse sa robe pour un théâtre de deux jours, dans lequel, selon moi, il joue le mauvais rôle. Pas parce qu’il est dans le camp des « méchants », mais parce qu’il a un fer à cheval caché dans son gant et que sa façon de boxer ne me semble pas fair-play. Rassurez-vous, personne ne me considère comme un témoin objectif de ce drame. Je crois aussi que le lecteur fait très bien la différence entre ce que disent les protagonistes et mes commentaires. Quand je vous fais parler, je reprends à la virgule près vos phrases. Quand je commente, on est libre de me suivre ou pas. Je crois n’avoir jamais versé dans l’invective ni dans l’insulte. Même « avocat des cons » ne me semble pas bien méchant, et n’a de sens que par rapport au dessin de Cabu : puisque Cabu dit «  c’est dur d’être aimé par des cons » et que vos clients se sentent visés, j’ai conclu assez logiquement qu’ils relevaient de ce petit vocable. J’ai dessiné ce que j’ai vu, j’ai raconté ce que je pensais. Je ne suis pas juriste, mon témoignage et mes colères n’engagent que moi. Si j’avais dû écrire à froid un récit de ce procès, j’aurais sans doute formulé les choses de façon moins viscérale. Cependant, le fond de ma pensée reste le même. Je crois que si j’avais entendu mon papa dire les choses que maître Szpiner et vous avez dites lors de l’audience, j’aurais été rassuré s’il était venu me voir deux mois plus tard en m’avouant «  tu sais, j’ai dit pas mal de conneries pendant ce procès ».
Didier Pasamonik me dit que vous êtes un avocat formidable, Richard Malka pense de vous le plus grand bien, pardon d’avoir été, pour une fois, d’un autre avis que le leur.

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.


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