Nous sommes en 1992, les ventes de Superman se traînent en kiosque. Les commerciaux ne savent plus quoi faire pour le sortir de cette situation préoccupante. D’ordinaire, quand un titre ne marche plus, on l’arrête et le héros-titre s’en va rejoindre le cimetière des super-héros dont tout le monde a oublié le nom. Au mieux, ce super-héros devient un personnage secondaire d’une série à succès qui lui sert de purgatoire en attendant qu’un scénariste inspiré ait une idée qui permette de le relancer. Chez DC Comics, on a même créé en 1985 une série d’épisodes, Crisis of Infinite Earth, où des centaines de personnages secondaires restèrent sur le carreau. Un génocide de super-héros, en quelque sorte.
Mais pour un personnage comme Superman à qui DC Comics doit sa fortune, la chose est inenvisageable, d’autant que l’on vient de re-signer avec Hollywood pour de nouveaux films et pour de nouvelles séries télé. Que faire ? Déjà, en 1985, Superman avait fait partie du plan Crisis. L’idée était de reconquérir le public féminin en romançant la relation entre l’Homme d’acier et sa couverture Clark Kent et la pulpeuse Loïs Lane, l’affaire se terminant par un mariage aux effets les plus médiatiques. Les producteurs de la série télé « Loïs & Clark » ayant une idée similaire, se rapprochèrent des scénaristes de la BD pour accorder les sanglots longs de leurs violons. Mais après le départ de John Byrne, le dessinateur responsable de cette renaissance dans le monde de la BD, le soufflé retomba d’autant plus vite que la série télé venait à sa fin. « Plus dure sera la chute ?… »
L’état-major de DC Comics ne pouvait s’accommoder d’un déclin aussi voyant ; il fallait une idée forte pour relancer Superman. Au cours des débats, devant le flux de suggestions plus attendues les unes que les autres, Jerry Ordway lança, sur le ton de la plaisanterie, « Ben, il ne nous reste plus qu’à le tuer, maintenant ». Ne plaisantez jamais devant un financier, il se met aussitôt à calculer les probabilités de succès et les risques d’échec de votre idée. Plaisantez d’autant moins que cette réunion de crise était télévisée et que cette suggestion fut médiatisée au journal de 20 heures. L’éditeur Mike Carlin poussa jusqu’au bout la logique de la mort du super-héros et se demanda ce que deviendrait Métropolis sans lui. Il s’aperçut qu’il tenait là l’idée que tout le monde attendait, d’autant que sa collègue Louise Simonson surenchérit en disant « Mais ouais, et il faut mettre le paquet ! ».
Reste à organiser la mise à mort. Ce sera le 18 novembre 1992, Pour cela, un robot fera l’affaire, car rien de tel qu’une machine pour annihiler le dernier des Kryptoniens. La machine aura une telle puissance de destruction qu’elle sera surnommée Doomsday (« apocalypse » en anglais) et Superman prend la mesure de sa puissance quand elle bat en un tour de main la Justice League of America. Le combat de titans se termine par la mort des deux protagonistes.
Superman se sacrifiant –vraiment- pour l’humanité, comme un simple flic en service commandé, il peut être célébré comme un héros. Son enterrement est un événement international. On lui construit un mausolée. Même Bill & Hillary Clinton sont présents aux obsèques. Leur discours est de circonstance : « La leçon à en tirer, c’est que le plus grand des pouvoirs est notre faculté de nous aider les uns les autres ».
L’affaire ne pouvait évidemment pas s’arrêter là. Comme dans la meilleure tradition christique, le corps du défunt disparaît, ce qui ouvre la voie à quelques faux messies, tandis que le vrai Superman finit par revenir, évidemment.
Tout ce récit qui s’étend sur quelque 800 pages vient d’être intégralement traduit et édité par Panini Comics. Signé Dan Jurgens, Karl Kesel, Jerry Ordway, Louise Simonson, Roger Stern et Gerard Jones au scénario, il est dessiné par Jon Bogdanove, Tom Grummett, Jackson Guice et Dan Jurgens, encré par Brett Breeding, Rick Burchett, Doug Hazlewood, Dennis Janke, Denis Rodier et Romeo Tanghall. Il s’agit là d’un des comic books incontournables des années 1990.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion