« Vivès réussit à donner à son dessin des variations d’une rare finesse en fonction des moments : autour du bassin, sous l’eau, en pleine nage, en observation.... Ces moments muets ne se laissent jamais dominer par l’ennui. Au bout du récit, le lecteur s’aperçoit que la fragilité et le non-dit touchent autant le jeune homme que sa muse aquatique. En donnant à ces personnages une bien belle ambiguité. Plongée recommandée, avec ou sans lunettes. » écrivait David Taugis dans nos pages. Rencontre avec le jeune auteur du « Goût du Chlore ».
« Le goût du chlore » sent le vécu, si je puis dire. Vous avez eu vraiment une scoliose qui vous a obligé de faire des longueurs de piscine ?
J’ai eu ma petite scoliose comme tout le monde, même si je devrais aller à la piscine plus souvent pour bien faire. Mais c’est bien mon kiné dans l’album. Pour le coup, j’ai vraiment raconté cette histoire avec des éléments qui me sont arrivés, des univers dans lesquels j’étais. J’ai romancé tout ça pour faire ce bouquin-là.
On vous reconnaît bien pourtant, comme on reconnaît la piscine Pontoise dans le 5ème arrondissement de Paris.
C’est vrai qu’elle est bien cette piscine et que j’ai tout de suite eu l’envie de l’utiliser. J’ai eu l’idée de cet album suite à une relation qui m’est vraiment arrivée. Je voulais raconter le sentiment que j’avais éprouvé quand j’étais avec cette fille. C’est vraiment un livre sur la séduction. Ma relation ne s’est pas passée seulement dans cette seule piscine, mais il s’avère que j’y suis allé avec elle et qu’elle nage effectivement très bien. Ca m’a porté pour écrire cette histoire. En fait, j’ai sacralisé certains moments de notre relation, je les ai vraiment magnifiés. Ce qui m’a intéressé, c’était de m’expliquer comment on tombe amoureux. L’univers de la piscine, ça m’a tout de suite parlé. C’est un univers chaud, où on est à l’aise, où il y a de l’eau. C’est un endroit fermé où on pouvait faire naître des choses presque scientifiquement parlant.
Ce que vous me décrivez là, c’est le ventre maternel.
C’est exactement cela.
Le graphisme, contrairement aux précédents albums [1] , va vers le dépouillement et la simplicité.
Oui, je voulais décrire l’attente. D’un point de vue graphique, cela n’avait pas d’importance que les images aient une valeur illustrative. Il fallait juste que l’album se lise à un certain rythme, que l’on s’imprègne du récit, que tout soit très clair. Je voulais que l’univers coloré reste le même, qu’il y ait un effet de huis clos, juste des taches dans l’eau.
Vous avez fait des photos ?
Non, j’y suis allé deux fois pour faire du repérage, c’est tout. Une fois avec cette fille-là, une autre fois avec des amis. J’ai fait tout l’album au souvenir. C’est ma méthode de travail. Je regarde tout et j’enregistre. Mon cerveau n’est obsédé que par une seule chose. Quand j’ai rencontré cette fille-là, j’ai enregistré tout ce qui s’est passé pendant tout le temps où je l’ai connue. Je pourrais ressortir toutes les discussions qu’on a eues. Par contre, l’année qui s’est passée avant, je n’en ai aucun souvenir.
L’amour vous rend plus conscient.
Peut-être. Je sais en tout cas qu’à ce moment-là, mon cerveau n’est obsédé que par une seule chose.
Dans l’album, à la fin, le garçon dont on ignore le nom, ne la revoit plus.
Oui, cela n’a pas été comme cela dans la réalité. Je voulais simplement être attentif aux moments où elle était là. Quand j’étais avec elle, je me disais : « Ne réfléchis pas, profite ! ». J’ai un peu fait cet album dans cet esprit-là.
Contrairement à vos autres albums, celui-ci est cartonné.
Oui, j’étais en Italie quand je l’ai reçu. J’étais super content. La maquette est très belle. C’est un bel objet, assez lourd, qui va bien avec l’histoire. Comme j’étais loin et que personne ne lisait le français autour de moi, j’ai été voir sur des forums de BD pour voir comment il était accueilli. Je m’étais fait défoncer par les trois petits critiqueurs habituels. Et puis, j’ai eu une critique sur France Info, sur ActuaBD, les gens ont commencé à m’envoyer des mails de félicitation, d’autres éditeurs que Casterman ont commencé à m’appeler… Les gens semblent avoir apprécié le bouquin.
Il y a un « phénomène Vivès », je crois. Tout le monde parle de ce livre. le buzz est énorme.
Ah, bon ? C’est bien.
Quels sont vos projets ?
Là, dans l’immédiat, je vais publier La boucherie. C’est un livre que j’avais d’abord mis sur un blog. Ensuite, j’ai rencontré Warum et il m’ont proposé de faire le bouquin ensemble. Je l’ai dessiné après Le goût du chlore. C’est un livre que j’ai fait en essayant de réagir à une phrase que j’avais dans la tête : « Pour ces moments que l’on pense uniques et qui, j’espère, le sont ». Ce livre a été construit sur deux discours, l’un plus « réfléchi » et l’autre plus « émotionnel », et j’utilise ces deux discours pour parler de la relation amoureuse.
L’album suivant, tout aux crayons de couleurs, s’intitulera « Dans mes yeux ». On est dans les yeux d un homme qui rencontre une femme et on ne peux entendre que les paroles de cette femme : elle parle directement au lecteur... Je voulais mettre l’accent sur ses mots, qu’on puisse faire attention à chaque phrase qu’elle dit. Cela devrait sortir pour le début de l’année 2009 chez Casterman.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lire la chronique du Goût du chlore par David Taugis
Lire la chronique de La Boucherie par Didier Pasamonik
Acheter Le Goût du chlore sur internet
Acheter La boucherie sur internet
Voir aussi l’interview vidéo de B. Vivès sur le site BD de France Télévisions
Lire aussi : « Bastien Vivès : Itinéraire d’un enfant doué » sur Mundo-BD.fr
[1] Bastien Vivès a publié Elle[s] et Hollywood Jan (avec Michel Santaville) chez Kstr/Catsreman.
Participez à la discussion