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Bande dessinée, mode d’emploi

Par Patrice Gentilhomme le 20 février 2008                      Lien  
Malgré son titre qui semble parodier Georges Perec, le nouveau livre de Thierry Groensteen ne propose pas d'apprendre à réaliser de la BD mais plutôt d’apprendre à…en lire ! Une manière habile d’avancer dans la découverte d’un objet pas encore si bien connu que ça.

L’auteur, ancien directeur du Musée national de la bande dessinée d’Angoulême de 1993 à 2001 n’est pas un inconnu pour qui s’intéresse aux problématiques d’analyse de la Bande dessinée. Ancien rédacteur en chef des Cahiers de la Bande Dessinée, il a déjà commis plusieurs ouvrages sur le neuvième art et ses acteurs. Loin des analyses exigeantes dont l’abord reste parfois difficile et l’accès souvent assez confidentiel, l’auteur a choisi cette fois de faire preuve de pédagogie à travers un ouvrage ambitieux à la lecture facile et agréable.

Si le titre pourrait laisser croire à une méthode du type « la BD en dix leçons ! » , il n’en est heureusement rien. Groensteen s’intéresse à la lisibilité des cases et décortique au fil de 220 pages tout un répertoire de compétences et de savoir en jeu lors du parcours d’une planche. À ce propos, un détail illustre parfaitement la démarche de cet auteur. Parmi la cinquantaine d’illustrations en couleurs qui illustre l’ouvrage, il a délibérément choisi de présenter des planches plutôt que distribuer çà et là quelques vignettes par souci d’esthétisme ou pour simplement aérer son propos, comme on le trouve souvent dans ce type d’essai. Ce choix (dont l’auteur s’explique en début de livre) illustre (sans jeu de mot) son intention de parler de BD, avec précision, parti-pris et exactitude et rigueur. Parle-t-on de cinéma en ne dévoilant qu’une partie de l’écran, ou d’un morceau de l’affiche ? La planche, unité de base du récit de bande dessinée se trouve justifiée, valorisée dans son propos et dans la mise en page de son livre. Texte et images se répondent avec justesse et pertinence, c’est bien le moins qu’on puisse attendre d’un ouvrage sur le sujet.

Afin de rallier à son propos enseignants, médiateurs du livre ou simples curieux, Thierry Groensteen articule son discours autour de questions peu abordées quand on parle BD, surtout face au grand public. Peut-on définir le genre ? Qu’est-ce qui fait une bonne bande dessinée ? Une image de BD doit-elle être belle ? Y a-t-il un langage des couleurs ? Existe-t-il un humour typiquement BD ? Le lecteur peut-il s’émouvoir de la sensualité du trait ?, etc. Autant de questions regroupées autour de thématiques plus larges (lecture, art séquentiel, registres, plaisir…) qui structurent un propos parfois démonstratif mais toujours convaincu, logique et dont l’intelligence rend bien service à un médium pas toujours si bien servi.

Accompagnée d’une anthologie visuelle de qualité par le simple choix des planches retenues, cet ouvrage sérieux et accessible devrait devenir assez vite un classique de référence.

(par Patrice Gentilhomme)

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La Bande Dessinée mode d’emploi par Thierry Groensteen- éditions les Impressions Nouvelles

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9 Messages :
  • Bande dessinée, mode d’emploi
    20 février 2008 10:48, par L’oracle de Delphes

    Ouvrage très intéressant.
    Néanmoins, il faudrait toujours rappeler que Groensteen, si excellent soit-il, a une vision légèrement passéiste de la bande dessinée. Certains auteurs échappent complétement aux "grilles" d’analyse, et ce sont peut être les plus intéressants (comme souvent ceux qui sont hors cadres).
    La bande dessinée n’est pas une technique. C’est peut être plus un "feeling". Un livre comme celui-ci (il y en a d’autres, comme celui de Peeters) me fait penser à un livre qui essayerait de trouver les codes du Jazz. Le principe, c’est qu’il n’y en a pas. Mais, il est vrai que les principaux auteurs de l’Association nous répètent depuis quinze ans qu’ils connaissent les codes du Jazz.
    En fait, c’est anecdotique, et ça finit par faire plus de bien à Groensteen (ou celui qui écrit son livre) qu’à la bande dessinée, la vraie, qui, elle, n’en a rien à cirer et continue de se métamorphoser sans cesse, et sans en référer aux "institutionnels".

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    • Répondu par Pierre le 20 février 2008 à  13:40 :

      Ben dis donc, l’Oracle, t’es fielleux, mais tu ne dis pas que des bêtises !

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      • Répondu par Poisson Radieux le 20 février 2008 à  15:33 :

        Beaucoup de bêtise(s) au contraire, ou plutôt de parti-pris. Ca commence pourtant bien, et puis le propos de notre oracle delphique part un peu en vrille (sans doute sous l’effet des fumées hallucinogènes).

        - Tout à fait d’accord qu’il n’y a pas "un" ensemble de codes pour la bande dessinée, pas plus qu’il n’y en aurait pour la littérature. Il y a pourtant bien depuis longtemps des ouvrages de critique littéraire qui tentent, et ce genre-là n’a plus rien à prouver, d’analyser certains rouages de l’écriture littéraire : pourquoi n’y en aurait-il pas pour la bande dessinée ?
        - J’apprécie beaucoup le travail d’éditeur de l’Association, mais je ne vois pas de qui vous voulez parler dans votre avant-dernière phrase. Leur catalogue est diversifié, souvent très expérimental, et s’il laisse entrevoir quelque chose d’une vision de l’Ârt de la Bande Dessinée, c’est plutôt une profonde incertitude (recherche, élaboration inquiète) qu’un dogmatisme à tout crin. Je suppose que vous faites allusion aux remarques et sorties de JC Menu (qui me font beaucoup rire, mais c’est sur un autre plan). C’est ce qu’on appelle confondre le breuvage et l’étiquette, ou la couverture et le livre. Les prises de position à l’emporte-pièce sont parfois nécessaires pour affirmer une différence.

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        • Répondu par L’oracle de Delphes le 20 février 2008 à  17:03 :

          Les prises de position à l’emporte-pièce sont parfois nécessaires pour affirmer une différence.

          Quand on est furieusement adolescent, oui.

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    • Répondu par Démosthène le 20 février 2008 à  15:30 :

      Entièrement d’accord avec l’Oracle de Delphes. Mise à part le fait que Groensteen fait de l’humour avec son titre (j’espère, sinon on se croirait face à un Sartre qui veut "expliquer l’Etranger de Camus"), ça fait maintenant quelques années qu’on essaie de se battre contre la vision et l’analyse sémio-structuraliste de la BD pour essayer de la comprendre dans son ensemble et non pas en tant que collection de "codes". Groensteen dit un tas de choses intéressantes comme dans Système de la Bande Dessinée, mais qui ne constituent jamais qu’une base de compréhension. J’ai quand même une certaine tendresse pour Groensteen parce qu’il est le seul à avoir parlé de BD sérieusement et de manière claire mais je ne le considère pas comme un auteur à la pensée actuelle en ce qui concerne la théorie de la BD.

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    • Répondu par Gill le 20 février 2008 à  15:43 :

      Dans le jazz, il y a des standards. Dans la BD, il y a des constantes. Les auditeurs/lecteurs en ont besoin pour pouvoir "entrer" dans la nouvelle oeuvre et découvrir ensuite toutes les extensions à ces standards qui font l’originalité et la spécificité de la chose.

      On peut effectivement "comprendre" une bande dessinée en s’appuyant sur son instinct et sur sa culture, mais on peut aussi aller au-delà en "pratiquant" soi-même cet Art (ou en s’informant sur certaines de ses techniques, et c’est là tout l’intérêt de l’ouvrage de Groensteen) pour en décupler son plaisir.

      Un musicien aguerri ne va pas seulement apprécier la composition musicale et son rythme, mais aussi sa construction, sa structure, son interprétation...

      Pour la BD, il en est de même : lorsqu’on connaît les difficultés de mise-en-page, de mise-en-scène, d’ellipses, de rythmes, etc... on découvre un deuxième effet "Kiss Cool" auquel n’a pas accès le simple lecteur.

      Je ne comprends donc pas ce raisonnement qui consiste à dénigrer un essayiste sous le prétexte qu’il serait trop vieux, trop dépassé. D’autant que les techniques de base de la BD qu’il cherche à vulgariser datent de bien longtemps, ne changent globalement pas vraiment... et permettent au profane de justement mieux comprendre et apprécier toutes ces évolutions qui font la beauté de la Bande Dessinée moderne.

      ...ou alors ne parlons plus des éléments qui sont en constante évolution sous le prétexte que nous serions déjà dépassés !

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      • Répondu par Thierry Groensteen le 20 février 2008 à  18:11 :

        Pour une fois, je vais répondre à un lecteur qui me met en cause.
        Mon contradicteur ne cite curieusement aucun des auteurs qui auraient dû, selon lui, figurer dans le livre. Et naturellement les absents sont innombrables, autant parmi les "classiques" ou grands anciens que parmi les "avant-gardes". Mais parmi mes exemples figurent tout de même David B, Blain, Blutch, Boilet, Campbell, Dominique Goblet, Guibert, Pierre La Police, McKean, Kiriko Nananan, Sfar, Trondheim et Chris Ware, pour ne citer que ceux-là, qui n’incarnent pas, à mon sens, une conception si "passéiste" qu’on voudrait le faire croire…

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        • Répondu par L’Oracle de Delphes le 21 février 2008 à  12:06 :

          Mais parmi mes exemples figurent tout de même David B, Blain, Blutch, Boilet, Campbell, Dominique Goblet, Guibert, Pierre La Police, McKean, Kiriko Nananan, Sfar, Trondheim et Chris Ware, pour ne citer que ceux-là, qui n’incarnent pas, à mon sens, une conception si "passéiste" qu’on voudrait le faire croire…

          Cher Monsieur Groensteen,
          Ce qui est passéiste, c’est votre méthode d’analyse. Après, vous pouvez toujours prendre des exemples récents pour appuyer vos thèses (je note quand même qu’il s’agit toujours de la même clique + Boilet le copain de Peeters, votre éditeur). Mais des auteurs plus anciens sont beaucoup plus "modernes" puisqu’il n’y a pas de progrès dans l’art et que "l’avant-garde" est politique et pas "artistique". Un intellectuel comme vous sait très bien qu’il s’agit d’une arnaque. Le concept d’"avant-garde" est un outil politique pour prendre le pouvoir... Si vous y croyez naïvement, convenez alors qu’Herriman est encore aujourd’hui beaucoup plus avant-gardiste que l’ensemble de l’Association ne l’a jamais été.
          On nous rabâche ad nauseam les thèses que vous défendez depuis tant d’années. Il est assez dommage que votre immense culture, votre finesse d’écriture, votre indépendance d’esprit vous fasse produire encore un essai qui va dans le même sens que tous les essais déjà précédemment publiés sur la bande dessinée.
          Il serait bon de changer votre axe de réflexion et de proposer une alternative à la pensée unique de l’analyse de la bande dessinée. Peut être en s’interdisant de décortiquer les prétendus mécanismes d’horlogerie cachés derrière la planche. On parle des "mécanismes d’horlogerie" pour surestimer l’importance de certains auteurs, qui ne sont pas meilleurs que d’autres, mais doivent avoir un complexe d’infériorité (je vous laisse deviner lequel). A ce sujet, je trouve tout à fait dommage que vous preniez comme exemple Christian Hincker dit Blutch, parce qu’il est très doué, et n’a donc pas besoin d’être expliqué.
          Très Cordialement,
          Votre dévoué Oracle de Delphes.

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    • Répondu par Toche le 6 août 2008 à  21:23 :

      Certains auteurs échappent complétement aux "grilles" d’analyse, et ce sont peut être les plus intéressants (comme souvent ceux qui sont hors cadres).

      Des exemples ?

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