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Comès : « L’évolution d’un auteur ne peut que s’accompagner d’un doute grandissant »

Par Erik Kempinaire le 17 octobre 2006                      Lien  
Comès effectue avec {Dix de der} son grand {come back} après six ans d'absence. Le retour d'un auteur exigeant, angoissé, n'hésitant pas à se remettre en question et à creuser le sillon de ses obsessions.

Vous n’avez rien publié depuis six ans, pourquoi cette longue absence ?

J’ai été gravement malade. Sitôt cette épreuve traversée, je me suis remis au travail et, voilà deux ans, j’ai commencé la réalisation de cette histoire.

Cet album se déroule pendant la Bataille des Ardennes, mais s’agit-il d’un récit sur la guerre ?

Non, certainement pas. J’avais ce projet depuis longtemps étant né en 1942, dans les Cantons de l’Est, la partie germanophone de la Belgique. Durant toute mon enfance je n’ai entendu parler que de la Bataille des Ardennes : la région ayant eu beaucoup à en souffrir. On a tendance à réduire l’offensive des Ardennes à Bastogne mais la région située entre Saint Vith et Elsenborn n’a pas été épargnée. En allant jouer dans les bois je rencontrais nombre de vestiges de cette époque dramatique. Je n’avais pas envie de faire un récit conventionnel sur la guerre, étant viscéralement antimilitariste. J’avais envie de trouver un ton tout à fait décalé ce qui m’a pris pas mal de temps. Pour arriver à cette dérision, à cette sorte d’humour noir...

Cet album est certainement le plus drôle que vous ayez réalisé...

Le but est donc atteint, arriver à un décalage comme, par exemple, pouvait le faire Michel de Ghelderode dans ses récits. Mais c’est arrivé peu à peu. Au départ, je voulais surtout faire intervenir le côté fantastique en utilisant notamment les fantômes qui jouent aux cartes. Rien que cette idée est assez décalée ! Ensuite les corbeaux sont apparus et, comme dans Shakespeare ou dans les tragédies grecques, ont fait office de choeur qui donne son avis, un avis cynique !

Ces deux corbeaux sont l’illustration de votre rejet de la religion

En effet, je suis agnostique, bien qu’élevé dans la religion chrétienne. Dans l’album, tout le monde en prend pour son grade, ainsi le personnage qui prend la place du Christ est un laïc peu reluisant. L’armée n’est guère plus épargnée !

Pourquoi ne pas nommer votre personnage central, on le connaît seulement sous le surnom de "bleu" ?

C’était chose fréquente pendant ce conflit, tout comme d’ailleurs lors de la Guerre du Viet Nam. Lorsque des jeunes recrues étaient incorporées dans une compagnie de vétérans, ces derniers sachant le funeste destin des jeunes recrues ne voulaient pas connaître les patronymes de leurs compagnons d’arme afin de ne pas s’y attacher.

Comès : « L'évolution d'un auteur ne peut que s'accompagner d'un doute grandissant »

Comme dans vos albums précédents vous n’hésitez pas à mettre en scène un important bestiaire, notamment un beau chat tigré

Ce chat est le mien, il s’appelle Arsouille et je prends plaisir à mettre mes chats dans mes livres. Déjà dans Iris, je dessinais un magnifique tigré, décédé depuis. Les corbeaux, quant à eux, sont une caricature des curés de mon enfance que l’on voyait déambuler affublés de leur longue robe noire.

Ne revient-on pas aux thématiques d’un de vos premiers albums : L’ombre du corbeau qui mêlait aussi fantastique et guerre, dans ce cas là la Première Guerre Mondiale ?

Comme j’ai déjà pu le mentionner, j’ai toujours été marqué par la guerre. Lors de la Guerre 14-18, j’ai perdu des oncles dans la marine impériale allemande. Toute la région dont je suis originaire a été prussienne après la défaite de Napoléon, puis belge après la défaite allemande de 1918. En 40-45, les Allemands ont annexé la région et réquisitionné les hommes, dont mon père, pour aller combattre sur le front de l’Est. Ce passé est assez lourd et toujours difficile et délicat à traiter 60 ans après ! Ce que je regrette le plus, c’est le manque d’intérêt affiché par le reste du monde politique pour cette partie de la Belgique qui, malgré ses déboires durant les conflits est toujours été loyale aux idéaux nationaux belges.

Vous maîtrisez à merveille le noir et blanc, reniant des tics de mise en scène qui parasitaient vos derniers albums

Je comprends ce que vous voulez dire. L’auteur lui-même est parfois insatisfait du résultat obtenu. Le but de tout créateur est d’évoluer et on ne peut s’empêcher de chercher à se perfectionner et à se dépasser. Ce récit se prêtait bien au noir et blanc puisque se passant dans la neige en grande partie. Pour cette histoire, je me suis senti beaucoup plus à l’aise, il y a forcément évolution automatique tant dans la recherche graphique que narrative. Pour que fonctionne le côté fantastique de son déroulement, il fallait présenter le réel avec force. Il fallait rendre perceptible la peur qui saisissait les protagonistes de cette histoire, j’ai donc fait un travail particulier sur le graphisme pour faire ressentir les émotions. Vous pouvez aussi remarquer que je n’utilise pas d’onomatopée pour évoquer le bruit pourtant assourdissant des combats. J’ai préféré jouer le jeu de l’imaginaire du lecteur en l’invitant à se faire leur propre bande son. Lecteur qui est aussi sollicité pour remplir le blanc entre les cases afin de créer sa propre vision du récit. La grosse difficulté en ce qui me concerne, et je pense pour la majorité de mes confrères, est de se rendre compte que la bande dessinée est une forme de langage pas toujours facile à comprendre par tous. La lisibilité est pour moi primordiale ! Sur le plan graphique, en amenant la neige, j’ai voulu que le blanc devienne une couleur . De là mon refus de l’identifier par des petits ronds comme j’avais pu le faire dans Silence ou L’arbre-coeur.

L’as de pique figurant sur le casque du bleu renvoie-t-il à un personnage animé par Hugo Pratt ?

Non, vraiment, cela n’a rien à voir. Les unités parachutistes qui participèrent à l’offensive des Ardennes utilisèrent les couleurs des cartes pour se différencier. J’ai choisi le pique uniquement pour son côté graphique.

Quels sont vos projets ?

J’ai terminé cet album en juillet dernier et, depuis, je n’ai pas encore eu réellement le temps de choisir mon prochain projet. Pour l’instant, mon envie est de proposer un récit plus serein, mais tant de choses restent à dire que je ne sais vraiment pas encore vers quelle histoire mon imagination me portera !

(par Erik Kempinaire)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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La photo et l’illustration sont (c) Comès et Casterman

 
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