Voici en effet les chiffres d’un tableau comparatif des chiffres d’affaires des grands éditeurs mondiaux du secteur, en millions d’euros :
JAPON
1. Kodansha (Zipang, Vagabond…) 1.482 millions
2. Shogakukan (Doraemon, Ranma 1/2…) 1.385 millions
3. Shueisha (Dragon Ball Z,…) 1.227 millions
ETATS-UNIS
1. Marvel (X-Men, Spider-Man,…) 62 millions
2. DC Comics (Batman, Superman,…) 50 millions
EUROPE FRANCOPHONE
1. Dupuis (Spirou, Cédric,…) 72 millions
2. Dargaud (Blake & Mortimer, XIII…) 54 millions
3. Glénat (Titeuf, Joe Bar Team…) 48.5 millions
4. Casterman (Tintin, Le Chat…) 24 millions
5. Soleil (Lanfeust, Trolls…) 12.5 millions
6. Delcourt (Donjon, Navis…) 8.8 millions
Res ipsa loquitur (la chose parle d’elle-même) dirait Jules César qui, pour le coup, ravalerait son veni, vidi, vici : la plupart des opérateurs japonais pèsent plus de 100 fois plus lourd que le moindre éditeur franco-belge.
Le monde envahi par les mangas
Jusqu’à présent, nous pouvions nous isoler dans notre tour d’ivoire, considérer que notre modèle économique était le meilleur du monde, le plus intelligent et le plus beau. La brusque avancée des mangas en 2003 donne une impression, selon certains observateurs, de bonne santé du secteur.
Elle ne doit pas cacher la réalité de cette évolution : c’est pour les mangas, et eux-seuls, que 2003 est « l’année de la consécration ». Les mangas ont fait progresser le marché de la BD de 10% cette année contre 3% au profit de la BD franco-belge.
L’un cumulé à l’autre permet à la BD d’afficher des airs de triomphe. Il est probable que ni les éditeurs, ni les libraires, ni même les lecteurs ne seront affectés par cette évolution.
Mais si nous parlons de création franco-belge, nous nous trouvons bien à un tournant. Pas mal, pour un genre que nos livres d’histoire de la BD (les "Que Sais-je ?" et autres "Clés pour la BD") ignoraient complètement il y a de cela 25 ans !
Une tendance européenne
Il faut porter au crédit de l’Italie d’avoir introduit le genre en Europe. Il a été puissamment soutenu par l’arrivée des dessins animés, un secteur où nos éditeurs avaient jusque là très peu investi. Le relais a ensuite été pris par les jeux vidéo.
Aujourd’hui, les éditeurs européens, comme américains, ont compris la leçon : les projets de films tirés de BD ont dépassé la centaine et les jeux vidéo se multiplient, améliorant au passage leur qualité. Mais on vient de loin !
Trop tard ? C’est possible. Dans L’Année de la BD (à paraître en janvier 2004), Andreas C. Knigge, ancien directeur éditorial de Carlsen Verlag, raconte comment les mangas ont en quelque sorte chassé la BD franco-belge d’Allemagne :
« La situation de la BD franco-belge est devenue bien triste ici. C’est le règne du tout-manga. Même le nouvel album de Bilal a été annoncé par Ehapa « pour un public d’amateurs », c’est-à-dire un public de collectionneurs avec un tirage de seulement 5000 exemplaires. Tous les classiques (Buck Danny, Bernard Prince, etc) sont maintenant publiés par des petites société unipersonnelles et s’ils atteignent des ventes de 4000 exemplaires, ils peuvent sabler le champagne, si du moins il y a assez de bénéfice pour s’en payer une bouteille ! Certes « Gaston », « Tintin » et « Spirou » tiennent encore la rampe, mais « Blueberry » est pour ainsi dire mort, « Lucky Luke » en sursis. « Titeuf » n’a pas pris ici et seule une poignée de personnages, dont « XIII », « Blake et Mortimer » et « Valérian », implantés depuis de longues années donnent encore satisfaction à leurs éditeurs ».
La raison de cette désaffection ? « Leur public a vieilli. Seul « Astérix » a gardé une large audience : 2 millions d’exemplaires de tirage pour son dernier album . L’album franco-belge est mort pour laisser la place aux mangas lesquels se vendent entre 15000 et 150000 exemplaires, alors que le nouveau Tardi publié chez Edition Moderne à Zurich ne peut espérer trouver plus de 1500 acheteurs. »
La tendance est identique dans plusieurs autres grands pays européens comme l’Italie, l’Espagne ou la Scandinavie. Seule la Hollande résiste encore.
Cette situation doit nous donner à réfléchir si l’on veut que nos créateurs retrouvent durablement leur place dans le concert mondial.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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