Warner Home Video vient de sortir l’intégrale des dessins animés de Tex Avery (du moins, ceux qu’il a produits chez Warner Bros). Louable intention, si le studio n’avait omis de signaler aux acheteurs que deux épisodes ont été volontairement "oubliés" et d’autres électroniquement caviardisés par des coupes pas très heureuses et des floutages douteux. Deux chefs-d’œuvre sont ainsi passés à la trappe : Uncle’s Tom Cabana ("La Cabane de l’Oncle Tom", 1947) et Half Pint Pigmy ("Le Pygmée demi-portion", 1948).
La raison ? Un humour un poil raciste qui faisait beaucoup rire à l’époque mais qui a plutôt tendance à crisper les zygomatiques de nos jours. Les Noirs sont ainsi représentés en gentils nigers bien naïfs (grosses lèvres, tresses, os dans le nez...) et, effet de la Deuxième Guerre Mondiale, les Nips et les Fritz sous la forme d’affreux monstres sanguinaires et débiles.
Depuis, il y a eu la fin de la guerre et celle de la ségrégation aux États-Unis dans les années 60. Et surtout le début du règne des avocats, dignes descendants du loup aux dents longues. La moindre plaisanterie raciste pouvant mener à un fort coûteux procès, Time-Warner a préférer retirer les épisodes litigieux, supprimant certaines scènes dans les autres. Définitivement, puisque même les chaînes de télévision ont été averties de ne plus jamais diffuser les épisodes originaux.
Le mouvement est plus qu’inquiétant car il touche l’ensemble des catalogues filmiques des studios hollywoodiens et, par ricochet depuis un an, les versions européennes. Les DVD étant, pour des raisons de qualité, produits à partir des masters conservés en Californie, ils sont donc "contaminés" par ces coupes dignes de McCarthy.
Que les juristes américains soient frappés d’un brusque puritanisme, soit. Mais l’Europe doit-elle être punie pour autant ? Ne serait-ce pas aussi nier les erreurs du passé et s’enfoncer dans une fort béate amnésie ? Imaginez Gaston Lagaffe bêlant au lieu de torturer le pauvre agent Longtarin, Calvin ne tournant plus en bourrique sa mère, Buck Danny ou Blake et Mortimer expurgés de ses "Jaunes" ou Tintin et les Picaros définitivement retiré de la vente, parce que coupable de montrer l’Amérique du Sud comme un continent non démocratique !
On peut comprendre le souci d’éviter de froisser des minorités qui ont souffert, mais de là à procéder à une telle édulcoration de l’oeuvre, autant ne rien publier du tout. Qui sont ces éditeurs qui préfèrent infantiliser le public plutôt que de saisir une bonne occasion pour l’éclairer sur le contexte de la création d’une oeuvre, à l’aide d’un bon dossier pédagogique ? On se le demande.
Source : Le Monde
(par Xavier Mouton-Dubosc)
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