Vivre dans la rue et dormir sous les ponts n’est déjà pas une sinécure. Mais se réveiller avec un étron énorme et fumant sur le crâne, c’est trop ! Le personnage inventé par Oh Yeong Jin subit pourtant cet ultime affront, au début de cet ouvrage édité par Flblb - et non encore paru en Corée du Sud, pays d’origine du dessinateur.
Dans Qui m’a fait caca sur la tête ?, référence ouverte au livre de Werner Holzwarth et Wolf Erlbruch, De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête (1989), le dessinateur met en scène un sans domicile fixe, laissé-pour-compte de la prospérité coréenne, décidé à découvrir comment et pourquoi cette chose malodorante lui a atterri sur le chef. Il ne s’agit pas de se venger. Il veut simplement comprendre pourquoi lui, déjà mis au ban de la société, a dû en sus accueillir cet outrage.
Le personnage créé par Oh Yeong Jin est d’une ténacité hors du commun. En dépit des coups, des obstacles, des rebuffades et des humiliations, il s’échine à remonter la "chaîne des responsabilités". Il y a bien un coupable, mais ce sont les responsables qu’il parvient à dénicher, leur mettant le nez dans leur propre malpropreté. À savoir : leur lâcheté, leur bassesse, leur hargne et leur suffisance.
Partant du balayeur à peine mieux loti que lui, il se hisse à force de volonté jusqu’aux plus hautes instances de l’État sud-coréen, à la veille d’un sommet de l’Apec abrité - fictivement - par Séoul en 2013. À travers la capitale coréenne à peine ébauchée, il ose s’adresser aux puissants et ne cède jamais face à leur arrogance. Il faut dire qu’il a une arme qui en ferait pâlir plus d’un : il a en effet décidé de conserver sur le crâne son auguste sentinelle, quitte à faire défaillir ses interlocuteurs.
Ce parcours du combattant réserve bien des surprises. Émaillé de situations burlesques voire grotesques, il n’en a pas moins une dimension politique. C’est toute l’échelle sociale et du pouvoir qu’Oh Yeong Jin nous fait remonter. De l’adjoint au maire d’arrondissement à la présidence de la République, toutes les figures passent à la moulinette de l’encrotté de la tête. Et c’est peu dire qu’elles n’en sortent pas grandies.
À lire Oh Yeong Jin, chaque Coréen ayant une once de pouvoir se croit investi d’une supériorité indéniable, ce qui ne l’empêche pas d’être veule et rampant dès que l’occasion se présente. Chacun, finalement, a sa part de responsabilité dans ce qui arrive à ce malheureux.
Le dessinateur dépeint une société qui s’affirme démocratique, mais où l’idée de hiérarchie demeure dominante. Chaque petit chef reste soumis à son supérieur, qu’il craint et déteste, mais ne respecte pas. Quant au capitalisme libéral qui a permis le décollage économique de la Corée du Sud il y a plus de trente ans maintenant, il se traduit essentiellement par le laisser-faire et une idéologie individualiste culpabilisante. Ainsi le sans domicile fixe s’entend-il dire qu’il n’a que ce qu’il mérite, n’ayant pas eu le courage de se tirer d’affaire.
Oh Yeong Jin, qui avait reçu en 2008 le Prix ACBD Asie pour le tome 1 du Visiteur du Sud (dont les deux volumes sont réédités en intégrale cette année par Flblb), livre un ouvrage - le cinquième publié en France - assez court mais percutant. Son style simple et dynamique, rappelant un peu, par moments, Reiser, convient parfaitement à son propos. Satire politico-sociale et comédie sombre, son ouvrage fournit une image bien peu reluisante de la Corée du Sud contemporaine. Une image qui n’a cependant pas été démentie par les scandales politiques et économiques qui ont secoué le pays ces derniers mois...
(par Frédéric HOJLO)
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17,5 x 25 cm - 88 pages en noir & blanc - couverture souple avec rabats - traduit du coréen par Sarah Waligorski & Song Yoo Joo (titre original : Who just pooped on my Head ?) - parution le 18 mai 2017 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.
A lire également sur ActuaBD : Le Coréen Oh Yeong Jin (« Le visiteur du Sud », éditions FLBLB) Prix de la critique Asie 2008 à Japan Expo.