C’est confirmé aujourd’hui par un communiqué de Charlie Hebdo et par son site Internet. Le co-fondateur, avec Cabu, de la nouvelle formule de Charlie Hebdo créée en 1992 sur les mânes de la première version du journal (1969-1981, « la vraie » disent les détracteurs de Philippe Val) quitte le magazine satirique pour rejoindre France Inter.
Sous la houlette de Philippe Val, la feuille satirique du mercredi qui réunissait les anciennes plumes de l’hebdomadaire créé par Choron et Cavanna : Cabu, Gébé, Wolinski, Willem, Siné et Cavanna lui-même, s’était adjoint des nouveaux talents issus de La Grosse Bertha : Charb, Luz, Riss,… et quelques nouvelles signatures qui ont rejoint l’équipe au bout de quelques années comme Catherine, Jul ou Riad Sattouf.
Un Charlie très différent de l’original
Autoritaire sinon dogmatique, Philippe Val impulsa une ligne très différente du Charlie Hebdo des origines. Citant des penseurs comme Spinoza avec une complaisance parfois affectée, ses éditos se voulaient d’une certaine tenue intellectuelle, soucieux de peser dans le débat politique, alors que le « Charlie Hebdo Canal Historique » se déterminait par son discours a-militant, anti-politique, voire libertaire.
Ce positionnement façonna l’image du journal et, en même temps, suscita des évictions fracassantes dont la plus spectaculaire a été celle de Siné en 2008 (voir notre dossier), le dessinateur, anti-capitaliste et anti-sioniste proclamé, se trouvant en opposition frontale contre les positions de son patron dont la ligne politique prenait, avec les années, une tournure sociale-démocrate pro-atlantiste de plus en plus affichée.
Le différend entre les deux hommes devint le symbole du combat « à mort » entre deux gauches, l’une sociale-démocrate prête à jouer le jeu du pouvoir (d’où les accusations de « sarkozysme » à l’endroit de Val), l’autre, « révolutionnaire » dont le spectre allait de l’anarchisme le plus débridé à l’anti-parlementarisme le plus radical. Un clivage pas vraiment nouveau puisqu’il opposait déjà, avant 1914, Jean Jaurès à Jules Guesde et à Rosa Luxembourg.
L’Affaire des caricatures danoises
Le moment de gloire de Philippe Val fut sa position au moment de l’Affaire des caricatures de Mahomet en 2006 (voir notre dossier) où il entraîna son journal dans un procès à grand spectacle qui avait le mérite d’offrir une pédagogie sur la liberté d’expression et de critique de la religion dans le contexte de la laïcité républicaine.
Le paradoxe, c’est que ce rappel aux valeurs républicaines apporta au magazine satirique, à cause de la violence de la réaction cléricale (musulmane, mais pas seulement), une image de commandeur en contradiction avec sa vocation ludique d’origine. Willem ou Siné, mais aussi d’autres collaborateurs, tentèrent plus d’une fois d’en éprouver les limites, au grand dam du directeur de publication partagé entre la nécessité morale d’une cohérence dans sa critique de la religion et/ou sa ligne atlantiste, et sa volonté de laisser toutes les sensibilités de la gauche s’exprimer dans son journal. L’éviction de Siné lui colla définitivement l’image, synthétisée par Plantu dans L’Express, d’un Gauleiter de la morale (à qui Plantu prêta de façon assez scélérate les attributs d’un nazi) virant à coup de pompe un Siné buveur, fumeur et jouisseur, devenu Saint-Patron de la croisade contre le « politiquement correct. »
Un succès durable
Si les positions de Philippe Val furent critiquables et parfois maladroites (son discours sur l’Internet est en particulier singulièrement réac), force est de constater que la deuxième naissance de Charlie Hebdo est un succès et qu’elle n’est pas achevée au bout de 17 ans.
Il laisse une équipe de qualité et une activité aujourd’hui diversifiée. En dépit de l’apparition d’un nouveau concurrent : Siné Hebdo, la maison s’est dotée d’un label d’édition, Les Échappés, dirigée par Riss. De nombreux ouvrages ont été publiés en partenariat avec Glénat, 12bis et Hoëbeke, dont le best-seller La Face kärchée de Sarkozy.
Philippe Val reste (pour combien de temps ?) l’un des principaux actionnaires de la boîte, qui sera menée semble-t-il par le trio Gérard Biard, Charb et Sylvie Coma.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Philippe Val par Cabu (C) Charlie Hebdo.
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