Depuis la mort d’André Franquin et le manque d’enthousiasme des lecteurs face aux séries lancées dans les années 90 par Marsu Productions (Chaminou, Croqu’La Vie, Leonid et Spoutnika, Ratapoil, Tatayet, P’tit bout d’chique, etc) , l’éditeur monégasque s’était limité à cultiver le mythe autour des œuvres du talentueux créateur de Gaston Lagaffe en publiant des best-off thématiques, des intégrales luxueuses ou des livres d’études.
Avec l’arrivée récente de Stephan Colman au scénario du Marsupilami, les aventures de ce marsupial ovipare ont rebondi, et retrouvé un nouveau souffle. Formé par Franquin, Batem a apprivoisé graphiquement les personnages depuis bien longtemps.
À l’exception des nouveaux albums de Natacha, toujours réalisés par François Walthéry tous les albums publiés aujourd’hui par l’éditeur monégasque sont en relation avec l’œuvre de Franquin.
Globalement, Marsu Productions a été assez respectueux du travail du Maître de l’école de Marcinelle. L’éditeur a publié ses œuvres anciennes (Les Noëls de Franquin) ou des dessins libres (Un Monstre par semaine, Les Monstres, Les Doodles, Le Bestiaire, Tronches à gogo, etc.).
Les seules critiques qui fusent régulièrement sont relatives au prix de vente onéreux des tirages de luxe noir et blanc, publiés en nombre limité, permettant à un plus grand nombre de découvrir des reproductions -quasi-– grandeur nature des planches de Franquin.
Il faut mentionner aussi les oukases à l’encontre des éditions Dupuis lors de la publication des récentes intégrales des aventures de Spirou et Fantasio par Franquin. Le Marsupilami avait mystérieusement disparu de différents dessins sélectionnés pour les couvertures des ouvrages [1] ou pour des calendriers. On voit ici les limites de l’usage du droit moral par des ayant-droits car il est évident que les dessins de l’auteur n’ont pas été représentés dans leur globalité, tels qu’il les avait conçus. Il y a clairement une atteinte à l’intégrité de l’œuvre. Pourtant Dupuis a dû se plier à ce qui est rien de moins qu’une trahison.
Ces dernières années, le Marsupilami et Gaston Lagaffe ont pris un nouvel essor grâce à leurs adaptations à l’écran, mais aussi grâce aux expositions présentées à Paris, puis à Bruxelles, il y a quelques années déjà. On imaginait bien que tôt ou tard, Jean-François Moyersoen, le patron de Marsu-Productions, redouterait d’arriver au bout de ses "inédits".
En homme d’affaires avisé, n’étant pas attaché comme les ayant-droits d’Hergé à une promesse de l’auteur, il a préféré anticiper ce moment afin d’assurer la pérennité des univers créés par André Franquin en lançant deux spin-off autour de Gaston et du Marsupilami. Les adorateurs du dieu Franquin sont pour le plus souvent interloqués par cette démarche. Les forums sur les sites spécialisés bruissent depuis des semaines.
Pourtant, les deux équipes choisies par Moyersoen sont constituées de cadors et ont pour la plupart travaillé avec Franquin himself ! Autant dire qu’ils connaissent les exigences et les univers du créateur de Gaston Lagaffe et du Marsupilami. Ces auteurs-repreneurs auront la lourde tâche de trouver un juste équilibre entre le respect et la fidélité à l’esprit de Franquin et une mise au goût du jour de ces univers. La tâche n’est pas évidente quand on touche à une œuvre mythique.
Les Marsu Kids, redessinés par Conrad
À la fin du mois d’octobre paraîtra le premier tome des Marsu Kids, dessiné par Didier Conrad et scénarisé par Wilbur, son épouse. Le dessinateur des Innommables a travaillé au milieu des années 1980 avec Franquin autour d’un projet de dessin animé du Marsupilami auquel Will, Wasterlain, Delporte et Yann contribuaient également. Le projet n’a pas abouti.
Mais si l’on en croit les propos de Yann repris dans le livre Yvan Delporte, réacteur en chef de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, Conrad a été chargé de dessiner le Marsu et le restant de la faune pour ce projet. Le jeune dessinateur ne voulait d’ailleurs pas du look trop marqué « année 1960 » du personnage et s’est vu confronté à une « remise au carré » de la part de Delporte et Franquin.
Depuis, Conrad a eu la carrière que l’on sait : dans l’animation aux États-Unis, mais surtout en publiant des albums marquants tels que Les Innommables, Bob Marone, le Piège malais ou plus récemment les séries Tigresse blanche et RAJ.
Gastoon, une gaffe orchestrée par Jean Léturgie, Yann et Simon Léturgie
Franquin avait dessiné un gosse ayant un lien de parenté évident avec Gaston dans une poignée de cases publicitaires mettant en scène le célèbre gaffeur. Il n’en fallait pas plus pour l’éditeur pour reprendre à son compte Gastoon , le neveu de Gaston Lagaffe. Jean-François Moyersoen a confié le soin à Yann et Jean Léturgie d’assurer les scénarios de cette série de gags. Yann ne s’était pas contenté de travailler avec Franquin sur le projet avorté de dessin animé sur le Marsupilami : il avait aussi signé sept albums de ce personnage du vivant même du maître. Les deux hommes se voyaient régulièrement. Yann concède aujourd’hui, avec un brin d’humour, qu’il avait la vessie fragile à l’époque. Dès que le maître lui glissait une anecdote marrante sur son passé, il s’éclipsait dans les toilettes pour la noter dans un calepin. Celles-ci lui serviront très probablement de base pour le biopic qu’il prépare avec Olivier Schwartz pour Dupuis sur le voyage au Mexique de Franquin et de Morris en compagnie de Jijé et de sa famille.
Jean Léturgie, quant à lui, a scénarisé en 1989 plusieurs histoires pour le projet de dessin animé des Tifous avec son complice Xavier Fauche, sous la houlette d’Yvan Delporte et de Franquin. 76 épisodes ont été écrits, mais le projet tourna court (seuls 25 épisodes de 5 minutes furent produits) suite aux problèmes de financement rencontrés par le producteur.
Avec Xavier Fauche notamment, il signé par ailleurs de nombreux albums de Lucky Luke et de Rantanplan pour Morris, cet autre membre éminent de la "Bande des quatre". Autant dire qu’il en connaît un rayon sur la bande dessinée classique et sur l’œuvre de Franquin.
Yann et Jean Léturgie ont même développé ensemble, une spin-off de Lucky Luke, Kid Lucky (2 volumes chez Lucky Comics) et, à l’arrêt de cette dernière, un western s’inspirant légèrement de Lucky Luke, Cotton Kid. Ils ont aussi signé une série d’humour trash mettant en scène deux policiers, Spoon & White, dont le dessinateur n’est autre que le fils du scénariste, Simon Léturgie, qui assurera le dessin de Gastoon.
Dans le dossier de presse accompagnant le lancement de Gastoon, l’éditeur promet qu’il ne s’agit pas d’un petit Gaston ou d’un ersatz de son oncle : « Gastoon est un personnage à part entière qui vit ses propres aventures dans un monde moderne, entouré de sa bande de copains », y lit-on.
N’empêche : les membres de cette bande de copain ressemblent notablement aux personnages de la série-mère. On espère que les auteurs ont eu le talent d’inventer un véritable univers autour de ce Gastoon et ne se sont pas contentés de créer des De Mesmaeker ou des Jules-De-Chez-Smith-En-Face miniatures ce qui, pour le coup, serait un peu réducteur...
Des auteurs de haut niveau se trouvant au crayon et au pinceau de ces personnages empruntés à l’œuvre de Franquin, le bédéphile devra mettre ses préjugés au placard et lire ces albums en oubliant ses souvenirs d’enfance et son affect pour l’œuvre de Franquin. Ces albums font en effet partie des incontournables de la rentrée, qu’on le veuille ou non !
(par Nicolas Anspach)
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Lire aussi : Gastoon, la gaffe ? (Avril 2011).
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En médaillon : © MARSU 2011 - Gastoon, by Léturgie – Yann – Léturgie
[1] Notamment celle de la sixième intégrale
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