La couverture nous offre une excellente synthèse de cette nouvelle série. Dans un premier coup d’oeil, ce qui frappe, c’est une configuration classique du ménage à trois où il y a toujours une personne de trop. Vicky et Jenny occupent le centre de l’éclairage, elles sont les seules sous le feu de la rampe ; elles se « prennent » pour les vedettes. Elle poussent Karine dans l’ombre, en se disant : « Pour qui elle se prend, cette fille pas comme nous autres ».
L’excellent accueil de la série s’explique par une conception de personnages auxquels on s’identifie et avec qui on partage les péripéties quotidiennes et contemporaines. On nous plonge dans un monde où l’on privilégie l’enveloppe artificielle, le nombrilisme du bien paraître.
Vicky est l’adolescente la plus superficielle et la plus sournoise. Il y a un côté direct et irresponsable de garçon dans son comportement de planificatrice de mauvais coups. Sa complice, Jenny, est celle qui se laisse influencer sans réfléchir. Ces deux complices ont en commun une grande gueule, des dents fendues jusqu’aux oreilles, des vêtements sexy, des maquillages provocateurs et surtout un nombril décoré, une par un bijou et l’autre par un piercing. Leur piège à mecs se résume en trois directives : serrer les fesses, rentrer le ventre et sortir les seins.
Karine, un personnage qui semble secondaire, voir même tertiaire, est la vraie vedette de la série. Le manque de confiance de Karine la rattache à la majorité des filles de son âge. Son nombril, à peine visible, est très discret. Elle porte un long pantalon bouffant qui cache presque entièrement ses souliers plats. Une mode vestimentaire dépassée, propre aux années 1970. Karine ne joue pas un simple rôle destiné à assurer le bon fonctionnement des gags. Elle possède ses zones d’ombres, de tendresse, de doute et des capacités d’étonnement, de souffrance, d’humiliation et d’indignation. Derrière ses vêtements d’une autre époque et dans son corps tubulaire, on sent un coeur battre.
Il y a dans le dessin de Marc Delafontaine, alias Delaf, une sorte d’instinct stylistique, une passion décisive pour l’économie des lignes souples et fluides. Les bras élastiques et spaghetti de Karine deviennent vite une signature graphique. Son dessin, établi dans un trait sûr et souple, cerne à merveille l’expression psychologique des visages et, dans des abréviations graphiques calculées, il renforce le mouvement dynamique des corps et des objets. En étroite collaboration avec sa scénariste, il intègre les couleurs en les contrôlant dans des effets psychologiques, symboliques et narratifs. Maryse Dubuc a conçu des personnages non traditionnels et originaux, vivants et hors des formules stéréotypées des BD courantes. La mécanique du gag est un art fragile et difficile, et il est facile de tomber dans le piège des formules répétitives.
En tandem bien équilibré, Delaf et Dubuc ont bien ciblé le lectorat des jeunes, autant les filles que les garçons. Le milieu et le temps privilégiés, ceux des études, favorisent les situations cocasses et inattendues. Les deux auteurs pétrissent textes et dessins dans la même pâte pour modeler leurs personnages touchants et captivants. Ils ne racontent pas seulement un épisode de vie, ils explorent l’état d’esprit qui caractérise toute une jeune génération remplie de bonne volonté, d’imagination débordante, d’émotions souvent confuses et d’un goût certain pour toute forme d’aventures... dérangeantes. Vous découvrirez une série qui nuit gravement à la morosité quotidienne et qui s’attaque à toute forme d’ennui. Une lecture qui procure des bouffées de rajeunissement, si nécessaires dans notre monde adulte troublé et troublant.
(par Richard Langlois)
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