Né à Nieuwpoort, sur la côte belge, en 1956, Kamagurka (de son vrai nom Luc Charles Zeebroek) a étudié aux Beaux-Arts de Gand sans chercher à en obtenir le diplôme. C’est là qu’il rencontre l’autre grande figure de sa génération, Herr Seele, avec qui il mènera une carrière commune dans la publication à succès de la série Cow Boy Henk dont il assure le scénario et Herr Seele le dessin.
Les deux comparses ont le regard tourné vers l’Amérique et la France. L’Amérique de Robert Crumb, la grande figure de l’Underground US, d’Art Spiegelman et de Françoise Mouly, les expérimentateurs de la revue Raw ; la France de Roland Topor, de Wolinski, d’Hara Kiri et de Charlie Hebdo. Il est encore adolescent lorsque, lors d’un voyage scolaire à Paris, Kamagurka débarque dans les locaux de Charlie Hebdo, où Gébé le reçoit avec affection. En retour, il importe en Flandre le graphisme jeté et l’humour foutraque de ses modèles.
Le duo Kamagurka/Herr Seele fonctionne de façon intermittente, un peu comme celui de Mondriaan et Van Doesburg, les deux grandes figures indissociables du groupe pictural De Stijl, dans une émulation constante. Kamagurka, ludion médiatique, belle gueule incarnant la jeunesse de son époque, se caractérise par des intuitions fulgurantes nichant son trait d’humour dans la plus subtile et la plus absurde des abstractions, tandis que Herr Seele, avec ses airs de vieux dandy lunaire, apporte quelque chose de plus référentiel, de plus maîtrisé, une démarche cérébrale en vérité, qui s’inscrit dans une tradition qui en appelle aux Primitifs flamands. Nous reviendrons bientôt sur la deuxième figure de ce duo qui a également une grosse actualité en France cette année.
Pas aussi con qu’il en a l’air
À partir de 1975, Kamagurka publie ses premiers cartoons dans l’hebdomadaire de télévision flamand Humo, dirigé par Guy Mortier et édité à l’époque par la branche flamande des éditions Dupuis. Il y publie aussi ses premières BD en association avec Herr Seele, notamment Cow Boy Henk à partir de 1981.
Son impertinence fait mouche. Il devient immédiatement célèbre. Il faut dire qu’il fait une campagne de publicité pour son journal montrant un personnage portant un parapluie dont il ne reste que les baleines et dont le slogan est : "Humo, le journal qui n’est pas aussi con qu’il en a l’air." Les lecteurs choqués écrivent chaque semaine des lettres indignées dénonçant la vulgarité de son dessin et de ses propos.
Dans la foulée, il est publié dans une multitude de journaux étrangers, notamment en Hollande (NRC Handelsblad, Playboy, Esquire), en France (Charlie Hebdo, Hara Kiri), en Angleterre (Squibb, The Spectator, Deadpan), en Allemagne (Titanic, Süddeutsche Zeitung, Zitty, Eulenspiegel ), en Autriche (Die Presse), aux États-Unis (The New Yorker, National Lampoon, RAW).
L’un de ses titres de gloire est d’avoir assuré pendant plusieurs jours dans le quotidien flamand Het Laatste Nieuws, le service après-vente de la série Bob & Bobette de Willy Vandersteen publiée dans le quotidien (conservateur, catholique) De Standaard. Le lendemain de la publication de la populaire et cultissime BD de Vandersteen, Kamagurka en racontait le contenu dans son propre quotidien, faisant ses commentaires, parfois désobligeants, sur la série. Vandersteen le premier s’amusa de ce match humoristique entre les deux quotidiens les plus célèbres de Flandre.
Il cultive son humour avec le sens de l’observation d’un entomologiste. S’inspirant des "Sommeils forcés" de René Crevel, il se décida de produire des gags pendant plusieurs jours sans se nourrir pour voir si son humour était différent lorsqu’il avait l’estomac plein. Dans le même ordre d’esprit, il peut vous expliquer qu’à son sens, le Christ est végétarien puisque son sang est du vin, produit de la vigne et son corps du pain.
Homme de spectacle
Le duo hors normes des créateurs de Cow-boy Henk est bientôt repéré par la télévision et la radio, où nos compères produisent des sketches qui ont marqué leur génération, comme les Nuls de Canal + ou Philippe Geluck ont pu le faire chez nous. Ces performances font aussi l’objet de spectacles ébouriffants qui remportent le plus grand succès, notamment la création d’un groupe, Vlaamse Primitieven, qui enchaîne les hits provocateurs, notamment à l’encontre du roi des Belges.
Kamagurka continue sa carrière d’homme de spectacle (il joue et chante sur scène presque tous les jours), d’homme de radio et de télévision, notamment sur Studio Brussel avec les programmes Studio Kafka et Kamagurkistan.
Dans la foulée, ses albums, qu’il soit seul ou travaille en commun avec Herr Seele, font des tirages consistants. C’est une des raisons pour lesquelles nous connaissions peu leur travail en France : ils n’avaient pas vraiment un besoin impérieux d’être publiés chez nous.
Ces dernières années, il a donné une impulsion décisive à sa carrière de peintre où, à l’instar de son complice Herr Seele, il multiplie les happenings et produit une peinture parodique déconstruisant les vieilles lunes de l’histoire de l’art.
Deux ouvrages publiés en France
Son actualité française s’enrichit de deux titres : Bert et Bobbie (Cahiers Dessinés) et L’Angoisse de la page blanche (Wombat).
Le premier met en scène un personnage récurrent chez Kamagurka : Bert Vanderslagmulders et son chien Bobbie. Scènes de la vie quotidienne où l’auteur arpège les situations absurdes, interpellant une actualité intemporelle.
Le second se concentre sur la création elle-même, l’auteur confronté à la nécessité, comme disait Malraux, "d’arracher aux nébuleuses le chant des constellations."
Tous deux sont très représentatifs de l’humour de cet auteur et méritent leur place dans votre bibliothèque.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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