« Imaginée en 1999 par Kiyoshi Kusumi, rédacteur-en-chef du mensuel d’art Bijutsu Techô, raconte Frédéric Boilet dans son Manifeste de la nouvelle Manga [1], l’appellation "Manga Nouvelle Vague" - rapidement raccourcie en "Nouvelle Manga" - a désigné un temps mes propres bandes dessinées, perçues graphiquement comme proches de la BD, mais se lisant comme une manga, et rappelant, aux yeux des Japonais, le ton du cinéma français. » [2]
Dans un deuxième temps, Boilet s’est saisi de ce label pour fédérer une série de créations qui lui semblaient cohérentes au-delà des frontières et des normes éditoriales. Dans un nouveau Manifeste conçu en août 2006, puis retouché et complété en août 2007, où ses idées se trouvaient mieux organisées, il institue une base de réflexion tangible pour une conception de la bande dessinée mondiale davantage centrée sur la création et sur les créateurs.
Car entre-temps, en réalisant en 2006 le projet « Japon » (Casterman) qui avait pris une jolie proportion en se trouvant traduit en 10 langues, Boilet a soudain pris conscience qu’une nouvelle carte des tendances mondiales de la bande dessinée était en train de se dessiner sous nos yeux et qu’il lui fallait pousser son avantage, selon un schéma qu’il avait très bien décrit dans une interview qu’il nous avait accordée en octobre 2005 .
Constatant en effet une segmentation des marchés de la BD sur la base de normes éditoriales apparemment inconciliables (comics, manga, bande dessinée), Frédéric Boilet s’insurge contre cette vision stéréotypée qui privilégie le produit aux détriment des auteurs : « …dès que l’on quitte l’industrie du "divertissement" et que l’on observe la bande dessinée d’auteur, explique-t-il dans son Manifeste, une bande dessinée tout simplement plus adulte et plus audacieuse, les différences s’aplanissent tout à fait : alors que bien des séries formatées et ciblées n’attirent que les fans respectifs de manga, comics ou BD, familiers, nostalgiques des codes et des tics du "genre", les albums novateurs et tout en finesse de la Japonaise Kiriko Nananan (Blue), de l’Américain Adrian Tomine (Blonde Platine) ou du Français Fabrice Neaud (Journal) semblent pouvoir être lus, d’emblée compris et appréciés aussi bien par les amateurs de manga que par ceux de comics ou de BD, aussi bien par les spécialistes que par les néophytes, aussi bien par les Européens que par les Américains ou les Japonais.
En réalité, la frontière qui sépare bande dessinée commerciale et bande dessinée d’auteur paraît plus nette que celle qui diviserait manga, comics et BD. C’est cette connivence, la conscience de l’universalité de la bande dessinée d’auteur, que cherche à exprimer l’initiative Nouvelle Manga. »
Qu’on ne s’y trompe pas : il s’agit bien là d’un mouvement artistique cohérent et pensé qui s’appuie sur un réseau d’auteurs et d’éditeurs patiemment construit ces dernières années et qui s’impose tout doucement, semble-t-il, comme une nouvelle façon de concevoir la bande dessinée. Frédéric Boilet la décrit dans son Manifeste : « "Nouvelle Manga" est aussi désormais un label que se partagent plusieurs éditeurs dans le monde, Casterman, Ego comme X, Les Impressions Nouvelles en France, Akashi Shoten, Asukashinsha, Ohta Shuppan au Japon, Ponent Mon en Espagne, Fanfare au Royaume-Uni et aux États-Unis, Coconino Press en Italie, Dala Publishing à Taïwan, Casa 21, Conrad Editora au Brésil, pour publier, indépendamment des origines géographiques et des questions de "genre", les créations ou les traductions du meilleur de la bande dessinée internationale, des livres de maîtres reconnus comme Emmanuel Guibert et Jirô Taniguchi à ceux de jeunes auteurs comme la Française Aurélia Aurita ou le Japonais Little Fish. »
Cette tendance se concrétise par une série de projets publiés par ces auteurs et ces éditeurs et qui prend des allures de « mouvement » à dimension mondiale, une sorte de réponse des créateurs à la normalisation et aux excès marketing de la bande dessinée commerciale.
« La nouvelle Manga » fait son chemin dans les esprits des créateurs et dans les librairies du monde entier, notamment grâce à une exposition qui fait son tour du monde en exposant par exemple dans les prochaines semaines en Espagne et au Brésil.
À quand, Frédéric, une publication des « Manifestes » en librairie ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Le mot manga est ici orthographié au féminin (il n’a pas de genre en japonais), comme l’a fait Edmond de Goncourt qui utilisa la première fois ce terme dans notre langue pour parler d’une estampe d’Hokusaï. (la Manga de Hokusaï. Edmond de Goncourt, Hokusaï, l’Art japonais au XVIIIe siècle, Paris, 1895, rééd. Orient 1984, cité par Frédéric Boilet dans Art Press N°26, Spécial Bandes d’auteurs, Paris, 17 octobre 2005,). Mais son usage ultérieur fut celui du masculin sous l’influence du terme « comics », également masculin. Thierry Groensteen dans l’Univers des mangas (Casterman, 1991, rééd. 1996) entérine son usage et signale que celui du féminin n’est pas fautif. Le Larousse de la BD de Patrick Gaumer lui attribua également les deux genres, féminin et masculin, ce dernier s’étant imposé par l’usage dans nos contrées. Certains auteurs, comme ici Frédéric Boilet qui vit à Tôkyô, ont préféré conserver le genre initial.
[2] Le Manifeste de la nouvelle Manga a été publié dans le N°26 de Art Press, Spécial Bandes d’auteurs, Paris, 17 octobre 2005.
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