La Grande Guerre de Charlie en est à son quatrième volume publié en français. Comme à l’accoutumée, la lutte est âpre, vigoureuse, inhumaine. Les hommes surgissent tous muscles bandés, les yeux exorbités, éructant, prêts à en découdre et quand ils ne combattent pas le "boche", ils se castagnent entre eux, de Verdun à la Somme : le Froggy contre le Rosbif, le troufion contre l’officier.
Le dessin de Joe Colquhoun est dans un noir et blanc cru, dépouillé d’artifices. Il semble mépriser les gris tamisés de la trame : il n’y a que le trait à sa disposition, avec lequel il se bat comme dans un combat loyal à mains nues, corps à corps.
De son côté, le scénariste Patt Mills sait de quoi il parle : Ses récits sont minutieusement documentés, il ne manque pas un bouton à la redingote, fut-elle déchirée. On ne s’encombre pas d’explications stratégiques inutiles, seule la bataille dans son évocation la plus exaltante vaut d’être racontée. On idéalise le destin de ces millions d’hommes sacrifiés, le plus souvent dans l’anonymat. Littérature de combat qui a fait les belles heures des publications de l’éditeur britannique Fleetway : de Battle Picture Weekly où paraît Charley’s War à Battler Britton, Action, Eagle ou Dan Dare.
On s’attache à ces têtes brûlées, ces trompe-la-mort pour qui la camaraderie est ce qui reste de l’humanité. Frères de sang et de papier, littéralement.
D’une guerre à l’autre
On retrouve Colquhoun dans une autre série, Johnny Red, sur un scénario de Tom Tully. Nous passons de la Première à la Deuxième Guerre mondiale. Notre aviateur anglais déserte son unité et se retrouve coincé entre des nazis sanguinaires et des apparatchiks russes criminels et pleins de morgue. Le ballet des Spitfire et des Yak contre les Messerschmitt est, là encore, sans faille. Les protagonistes, à couteaux tirés, pataugent dans une fange où plus rien ne distingue le mal du bien. Seul, le héros, et le lecteur grâce à lui, sait de quel côté est la justice.
"La guerre est belle, écrivait Marinetti, parce que, grâce aux masques à gaz, aux terrifiants mégaphones, aux lance-flammes et aux petits chars d’assaut, elle fonde la souveraineté de l’homme sur la machine subjuguée. La guerre est belle, parce qu’elle réalise pour la première fois le rêve d’un homme au corps métallique. La guerre est belle, parce qu’elle enrichit un pré en fleurs des orchidées flamboyantes que sont les mitrailleuses. La guerre est belle, parce qu’elle rassemble, pour en faire une symphonie, la fusillade, les canonnades, les suspensions de tir, les parfums et les odeurs de décomposition. La guerre est belle, parce qu’elle crée de nouvelles architectures, comme celle des grands chars, des escadres aériennes aux formes géométriques, des spirales de fumée montant des villages incendiés, et bien d’autres encore..." [1]
À cette esthétisation de la guerre que revendiqua clairement le fascisme, le philosophe allemand Walter Benjamin qui se suicida en 1940 en fuyant l’Allemagne nazie, prôna de répondre par une politisation de l’art.
Cette politisation est sans aucun doute possible la voie choisie par Tardi, davantage que chez Colquhoun ou même Hugo Pratt chez qui on décèle une fascination pour ces joutes viriles.
C’est peut-être parce qu’au-delà toute interprétation idéologique, le dessinateur anglais prend la vie-même comme un combat singulier que l’on ne supporte que dans l’exaltation du courage, même s’il est vain, même s’il est imbécile.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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