La shoah est un sujet souvent abordé dans les pages d’ActuaBD. Il y a dix ans déjà, nous faisions un inventaire des ouvrages traitant de ce thème. Depuis, les références se sont multipliées et il faudrait une thèse pour reprendre tous les ouvrages publié ces dix dernières années. Il suffit de taper "shoah" dans notre moteur de recherche (en haut, à gauche) et vous en aurez pour des pages et des pages de lecture.
L’émotion est encore forte depuis le 7 janvier 2015 et le Festival d’Angoulême va encore la prolonger. Mais depuis plusieurs jours, les contrevérités à propos de Charlie Hebdo tournent en boucle, notamment sur la question de la liberté d’expression. Des instances iraniennes ont notamment lancé, comme en 2006, un concours international de caricatures sur la Shoah pour ironiser sur le fait que Mahomet est une cible mais que la mémoire sacrée de la Shoah n’en a jamais été une dans Charlie Hebdo. C’est évidemment faux.
Pire : un dessin de Wolinski que nous avons publié représentant Hitler "sympa" (en médaillon et dans la galerie ci-dessous) se moquant de la Shoah (dessin qui prouve l’inanité de l’action iranienne) est repris sur des sites fachos révisionnistes comme preuve que "Charlie Hebdo pouvait être intelligent". Effectivement, pris sans explication, ce dessin peut choquer. Mais il faut regarder la date : 2 novembre 1978. La semaine précédente, le 28 octobre 1978, l’hebdomadaire L’Express publiait un entretien avec Louis Darquier de Pellepoix, directeur du Commissariat général aux questions juives de 1942 à 1944, intitulé « À Auschwitz, on n’a gazé que les poux ». Cette interview marque le début de l’« affaire Faurisson » et du négationnisme dans lequel le gouvernement iranien et quelques fachos se complaisent.
Je voudrais revenir sur un numéro publié quelques semaines plus tard sur le tournage du feuilleton Holocauste (N°431, 18 février 1979). Il est ahurissant de justesse et de prescience. En couverture, un dessin de Gébé : des comédiens bien repus portant l’uniforme des prisonniers juifs. Le réalisateur dit : « Rentrez le ventre ! »
À l’intérieur du numéro, ce titre d’un article de Cavanna : "J’ai compté les figurants d’ "Holocauste", il n’y en a que cinq millions et demi... Remboursez !" Cavanna se pose la question : Pourquoi faire tant de boucan autour de l’holocauste ? "On a écrit des milliers d’articles et de livres, répond-il, on a fait des dizaines de films, mais il faut sans cesse recommencer, répéter la même chose..." Et de s’insurger dans la foulée contre l’aspect "commercial" de la chose. "La préparation psychologique a commencé avec l’interview de Darquier de Pellepoix et le scandale attentivement entretenu qui s’en est suivi." Les historiens auront à se pencher sur cette thèse...
Ce qui frappe davantage encore, c’est quand on parcourt le numéro. Une BD de Wolinski intitulée "Vous avez dit "holocauste" ?" montre nos deux réacs au comptoir dont le premier dit : "- Croyez-moi, ce n’est pas un "Holocauste" qui me fera détester plus les Allemands et moins les Juifs !" Et son comparse de répondre : "- Effectivement, si les Français pensent comme vous, l’Europe n’est pas si mal partie !" Dans les couvertures « échappées » du numéro , Cabu montre un métro bondé avec un usager qui dit : "Si y avait eu six millions de juifs en plus dans le métro à six heures..." Reiser n’est pas mois délicat.. (voir notre illustration ci-dessous).Y a-t-il eu procès, interdiction ? Mais non.
Le plus étonnant, c’est que dans le même numéro, on remarque les conséquences de l’arrivée de Khomeini en Iran. "Pour qui sonne le glas ?" titre Sylvie Caster. On peut lire : "L’Islam n’est pas le seul à sonner le glas de la liberté de pensée de tout individu. Toutes les religions qui détiennent le crédo d’une seule vérité le sonnent pareillement. À la guerre sainte, nos grandes inquisitions. À leur bien et à leur mal, notre bien et notre mal. Face à leur repentir obligatoire, notre repentir nécessaire." [1]
Voilà pourquoi la Shoah ne peut être sacrée, pourquoi elle doit être interrogée chaque jour, même avec l’irrévérence du rire. Parce que, comme le dit bien Cavanna, " ...il faut sans cesse recommencer, répéter la même chose..." Mieux : pour nous obliger à répéter la même chose.
Et Dieudonné, me direz-vous ? Il est allé faire allégeance à l’Iran et invite Faurisson à ses pitreries. Avec cela, tout est dit. Il n’a rien à voir avec ces humoristes-là.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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[1] Elle dit aussi plein d’autres choses intéressantes et notamment le fait qu’il est "bien rare qu’une révolution ou qu’une guerre apporte quoi que ce soit aux femmes...[...] Il est insupportable de penser que l’Histoire va inévitablement s’écrire à leurs dépens. Et qu’on ne peut rien faire d’autre que l’écrire."
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