Est-ce « naturel », pour des dessinateurs, d’entretenir une correspondance dessinée ? La Diagonale des jours d’Edmond Baudoin et Tanguy Dohollau ne donne pas directement de réponse, mais rassure sur le fait que le dessin est un excellent moyen pour exprimer ses pensées et ses sentiments et pour échanger, même quand la distance et le temps éloignent.
Pendant presque deux ans, du 2 novembre 1992 au 11 novembre 1994, les artistes ont échangé des courriers, écrits et dessinés, de façon plus ou moins régulière. Ils couchent sur le papier leur quotidien comme leurs réflexions sur l’actualité de l’époque. Nous vivons avec eux les joies et les peines, les accidents et les créations, les rencontres et les questions. Lire des lettres donnent toujours l’impression d’être invité dans une intimité : nous y sommes ici conviés par l’édition de cette relation épistolaire.
Après la première version, éditée par Apogée en 1995, c’est en effet Des ronds dans l’O qui nous permet de nous replonger dans ces échanges. Quelques pages, témoignant de la reprise des échanges, complètent l’ouvrage d’origine. Car après une pause d’une vingtaine d’années, Edmond Baudoin et Tanguy Dohollau ont de nouveau entretenu une correspondance, précisément en février et mars 2018. Il y avait presque une promesse à la fin de la première édition : « À suivre » pouvions-nous lire. Il faut parfois être patient pour être récompensé.
L’un des principaux attraits de La Diagonale des jours réside dans la confrontation de deux styles. L’emploi du noir et blanc et la communauté d’esprit des deux auteurs ne doivent pas faire illusion : il y a assez peu en commun dans leurs dessins. Cette confrontation ne produit cependant pas de conflit et le lecteur passera sans trop d’encombre d’un dessinateur à l’autre.
Le trait de Tanguy Dohollau est d’une finesse extrême. Minutieuse et précise, sa ligne incise le papier. Une multitude de hachures, presque des griffures, vient parfois apporter de la texture à un dessin qui pourrait laisser froid. Ses pages sont composées de façon très classique, presque architecturale. Il y a un peu de François Schuiten dans cet ensemble très travaillé.
Le dessin d’Edmond Baudoin, davantage dans l’évocation que dans le description, paraît au contraire beaucoup plus spontané - ce qui n’empêche pas pour autant un travail important, comme le prouvent les dernières pages où il redessine celles qui l’ont déçu vingt ans plus tôt. Son pinceau semble avoir caressé ses lettres, laissant quelques empreintes de-ci de-là. Les formes qu’il crée sont pleine de souplesse, de sensualité, parfois de colère voire de rage : pleine de vie, en somme.
L’alternance des deux styles pourrait déstabiliser. L’œil doit s’habituer, se déshabituer, puis se réhabituer pour apprécier au mieux chaque page. Mais l’exercice est fructueux et permet au final de mieux apprécier le dessin de chacun des deux auteurs. Et il fait de La Diagonale des jours une œuvre singulière, « à quatre mains », fondée sur un échange au départ étranger au lecteur mais auquel il se trouve finalement convié.
(par Frédéric HOJLO)
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La Diagonale des jours - Par Edmond Baudoin & Tanguy Dohollau - Des ronds dans l’O - 22 x 29 cm - 108 pages en noir & blanc - broché, couverture souple avec rabats - parution le 22 août 2018.
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