Les plus jeunes n’imaginent pas la révolution qu’a été l’Écho des Savanes en 1972. Ce journal d’abord trimestriel a été créé sur un coup de tête par Mandryka, qui embarqua avec lui deux autres jeunes loups de la nouvelle BD française née dans Pilote, Gotlib et Brétécher. « J’avais envie de faire un journal du même format qu’un comic-book américain, déclare Mandryka dans une interview accordée à Benjamin Stroun, avec différentes histoires complètes par plusieurs auteurs. Le choix de Claire Brétécher et Marcel Gotlib m’a semblé évident parmi les auteurs satiriques autour de moi. J’étais très heureux de travailler dans Pilote, simplement je voulais essayer une autre approche : s’emparer de sujets laissés à la littérature et au cinéma et s’autoriser à travailler dans les mêmes conditions que celles qui sont concédées à un écrivain. Chacun travaillait en toute liberté pendant trois mois pour produire seize pages qui, une fois réunies, donnaient L’Écho des Savanes. Pendant deux ans, L’Écho fut un magazine trimestriel, ce qui permettait à Brétécher, Gotlib et moi-même de concevoir des pages avec un soin particulier. Cela me changeait des planches réalisées souvent dans l’urgence pour un hebdomadaire. »
Premier support de bande dessinée significatif vraiment orienté vers les adultes en France (Pilote, sous la houlette de Goscinny, faisait le grand écart entre les bandes dessinées de Reiser et les aventures de Tanguy & Laverdure, les autres expériences s’avérant ephémères), Il est surtout la première production « indépendante » française (c’est-à-dire d’auteurs se publiant eux-mêmes), aussitôt imitée par la bande à Fluide Glacial (1975), puis celle de Métal Hurlant (1975), eux-aussi "autogérés" par des auteurs. Un choc dont la BD contemporaine ne s’est pas encore remise. Le mensuel accueillit très vite de nouvelles plumes : Veyron, Pétillon, Vuillemin, Lob, Solé, Moebius, Druillet… C’est dire l’impact de cette formule novatrice sur la BD d’aujourd’hui.
Si Mandryka abandonna le titre en 1979, après que Gotlib ait fondé Fluide Glacial et que Brétécher soit passée au Nouvel Observateur, le titre perdura jusqu’en 1982 avant de passer sous la houlette d’Albin Michel et de Hachette qui en font un magazine masculin avec force femmes nues et autres « striptease des petites copines ». Des titres comme L’Amour propre de Martin Veyron ou encore Le Déclic de Milo Manara assurent le succès à cette nouvelle mouture qui connut même une formule hebdomadaire en 1984 et des hors séries consacrés à la bande dessinée américaine.
Dirigé depuis cette époque par Hervé Desinge, ses ventes ont cependant décliné récemment, les chiffres chutant à 55.542 exemplaires par numéro (OJD 2005). Pourtant, il nous semblait que ces derniers mois, la qualité du contenu était nettement à la hausse.
Le mensuel était édité par Lagardère Active Media (LAM, nouvelle dénomination d’Hachette-Filipacchi-Média) qui a décidé de recentrer ses productions en propre orientées vers une synergie entre ses titres et leur exploitation possible dans les nouveaux médias, notamment l’Internet. L’Écho s’arrête (pour le moment ?) mais pas la société d’édition SEFAM, une joint-venture entre Albin-Michel et le groupe Lagardère, très profitable puisque qu’elle détient dans son catalogue les droits de Reiser, Wolinski, Manara, Vuillemin ou encore le best-seller Pétillon, l’auteur de L’Affaire corse et de l’Affaire du voile, de bonnes affaires précisément. Lagardère étant par ailleurs actionnaire d’Albin Michel, est-ce que cet arrêt est le signe avant-coureur d’une renégociation des relations entre les deux groupes ? C’est bien possible. Nous en en saurons davantage dans les prochains jours.
Pour l’heure, comme en témoigne la planche de Joan que nous reproduisons ci-dessous, les collaborateurs du journal, salariés et pigistes, sont choqués d’apprendre par l’extérieur l’arrêt du mensuel et la recherche d’un partenaire qui reprendrait le titre en location-gérance. Le prochain numéro, entièrement bouclé, ne paraîtra pas, à moins d’une issue rapide des négociations en cours. Cette reprise portera-t-elle seulement sur le titre ou concernera aussi la maison d’édition – très rentable - qui lui est attachée ? La question reste posée.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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