Max est un postier comme tant d’autres. Il vit au jour le jour la difficulté d’évoluer dans une société où les petites mains n’ont plus de voix. En perte de repère, lui et ses collègues, trognes fatiguées et déglinguées au jeu de l’aliénation et de la répétition des tâches, n’ont plus que leur morne et invariable soirée dans leur planning hebdomadaire.
Au cœur de cette routine, le débarquement d’un nouveau conseiller financier, petit soldat qui a le tort de croire un minimum à son travail dans ce monde désenchanté, va bouleverser les habitudes et révéler la profondeur des écueils relationnels.
Dans une bichromie pâle, presque trop terne, suggestive du discours, on redécouvre ce métro, boulot, dodo qui n’a pas disparu, loin de là, avec l’avènement de la société du divertissement.
Malgré sa disparition des unes de nos quotidiens, la confrontation de classe est belle et bien présente. Tout en sobriété, on découvre au détour d’une page, comme un aléa ordinaire, une nouvelle victime du capitalisme. Pas de causticité, ni de cynisme ici, Jonathan Larabie s’appuie sur un réalisme social qui ne tombe pas dans la dénonciation simpliste des abus des grandes entreprises et de leur kapo, mais va au plus près des relations d’hypocrisie concurrentielle.
Le travail, du latin « tripalium » qui signifie torture, s’avère le révélateur de nos comportements les plus vils. En plongeant dans cette entreprise stéréotypée à souhait par les médias et dont les employés sont peut-être les plus porteurs de clichés, on se retrouve presque dans un reportage. Malheureusement, l’album n’arrive pas toujours à se détacher de l’imaginaire commun dans les figures représentées même si elles servent le propos : collègues prêts à vous « balancer » pour sauver leur place, syndicaliste intéressé par son petit confort, patrons qui mettent la pression par tous les moyens...
Attestant des conditions de reproduction de soumission de diverses couches sociales, cet album manque quelque peu de spontanéité et semble trop court pour imprimer définitivement sa logique. L’ensemble finit par manquer d’engagement et de radicalité, restant trop vu de l’extérieur. Néanmoins, le récit marque le passage d’un statut de victime potentielle à un rôle de bourreau en suivant les déconvenues et les différentes histoires personnelles. En mettant à jour un système plus vaste de domination, il suggère que la fin de l’histoire n’est pas pour demain.
(par Vincent GAUTHIER)
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