Henk est un grand blond baraqué comme un cowboy, au menton en galoche quelquefois prolongé par une pipe fumante, et dont le grand front est surmonté par une houppe blonde qui se veut caractéristique. Régulièrement, il se tourne vers le lecteur pour lui décocher un clin d’œil complice. Il exerce souvent le métier de coiffeur qu’il alterne avec celui de peintre. Il multiplie les petites saynètes dont la logique très terre à terre souligne l’absurdité de la condition humaine : on voit le cowboy acheter cent billets de cinéma pour pouvoir les lire pendant le film, acheter une maison en flammes pour se réchauffer ou engager Jésus pour qu’il pose pour une aquarelle, le tout dans un graphisme d’une grande clarté enluminé avec des couleurs pop-flashy constituant un objet étrange, unique.
Rien d’étonnant : il est le produit de deux experts de l’absurde. Kamagurka, compagnon de route de Hara Kiri et de Charlie Hebdo, en écrit les textes en collaboration avec Herr Seele qui en assure aussi le graphisme.
C’est un des monuments de l’humour flamand contemporain dont nous avons déjà fait un long portrait dans nos pages. "Kamagurka, ludion médiatique, belle gueule incarnant la jeunesse de son époque, se caractérise par des intuitions fulgurantes nichant son trait d’humour dans la plus subtile et la plus absurde des abstractions, tandis que Herr Seele, avec ses airs de vieux dandy lunaire, apporte quelque chose de plus référentiel, de plus maîtrisé, une démarche cérébrale en vérité, qui s’inscrit dans une tradition qui en appelle aux Primitifs flamands..." écrivions-nous alors.
Nous avons également parlé du "dandy-punk" Herr Seele, révélation des Rencontres d’Aix-en-Provence en 2013 : "On l’aura compris, avec Herr Seele, on a affaire à une personnalité hors-norme qui n’est pas seulement auteur de BD (il a dessiné plus de 3000 planches de BD) mais aussi à un plasticien doué capable de structurer son discours dans des explorations hardies et souvent inédites." "Hergé, ce n’est pas de la Ligne Claire, c’est de l’Art-déco" affirmait-il dans nos pages, avant de postuler que "Hergé est sous l’emprise de l’art et de l’avant-gardisme allemands." Tout un programme...
"L’Art actuel", Herr Seele sait ce que c’est : « Je suis un artiste et je veux faire un art nouveau, dit-il. Et c’est très difficile de trouver un art nouveau car, comme on dit, tout est déjà fait Et après le surréalisme, quoi faire ? Je pense ce que nous faisons, Kama et moi est une sorte de surréalisme. On a toujours dit : « Volkssurrealime » c’est-à-dire un surréalisme de masse.
Le Pop Art est une forme de surréalisme. Nous sommes peut-être davantage Dada que le Pop Art. Le surréalisme, à mon avis est plus psychologique, davantage investi dans les décors. Quand on voit les grandes peintres surréalistes, comme Chirico, ils utilisent l’architecture. Mais le dadaïsme, c’est avant tout de l’anti-art, de la dérision. Le groupe surréaliste belge est franchement dadaïste. Quand Magritte peint « Ceci n’est pas une pipe », il est Dada. » [1]
Herr Seele est incontestablement un phénomène. Un auteur infiniment poétique. Pas étonnant qu’il soit publié au Frémok, le label qui, avec Yvan Alagbé, Paz Boïra, Frédéric Coché, Olivier Deprez, Vincent Fortemps, Dominique Goblet, éric Lambé, Jean-Christophe Long, Michaël Matthys et Thierry Van Hasselt se réclame d’une "bande dessinée de poésie".
Si vous passez par la Salon du Livre Livre-Paris, il participera le jeudi 17 mars à 10h15 à une table ronde avec les dessinateurs Brecht Evens (Panthères, chez Actes Sud), Jérémie Royer (Sur les Ailes du monde, Audubon, chez Dargaud) et la scénariste Julie Birmant (Pablo, chez Dargaud). Spectacle garanti !
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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Lire aussi :
– La dernière interview de Herr Seele sur ActuaBD.com à propos de L’Art actuel
– Notre article De Cow Boy Henk à Bad Bartje, la bande dessinée belge découvre la politique
– Une autre interview d’Herr Seele : "Hergé, ce n’est pas de la Ligne claire, c’est de l’art déco !"
– Herr Seele dans l’atelier de Cézanne
[1] Didier Pasamonik, Herr Seele : Vers « le surréalisme de masse », in Regards Croisés de la bande dessinée belge, Snoeck, 2009.