Ceci n’est pas Tintin
Les "175-25 ans de la Belgique" ont commencé fort, question engouement populaire. En ouverture, on a d’abord eu droit à une méga-surprise trop chouette : un concert classique au Bozar ! Nooon ?! Si. Avec le roi et la reine. Nooon ?! Si. Même qu’après le concert, dans le hall des Bozar, Albert a mangé des caricoles. Si c’est pas popu, ça. Ensuite, nous avons eu deux expos sur nos hauts (mé)faits coloniaux au Congo et un colloque super-teuf sur le fédéralisme. Jusque là, rien que du plaisir festif et de l’inventivité couillue, en somme.
Dans ce bel enthousiasme vient de s’ouvrir LA giga-exposition "Made in Belgium". La plus grande jamais organisée en Europe : 6000 m2 pour 4.000 objets rares, de l’épée de Godefroid de Bouillon à la casquette de Justine Henin (tachée de vraie sueur). Mais aucune trace de Tintin. Rien. Pas un cheveu de sa houppette, pas un poil de la queue de Milou. Un peu comme si on faisait une rétrospective sur le cyclisme sans Eddy Merckx, une expo sur la Bolognaise sans la sauce tomate ou un colloque sur l’écologie sans le prince Laurent (cherchez l’erreur). Tout ça par la faute de Nick Rodwell, second mari de Fanny Rémy (Madame Hergé) et donc patron de la Fondation Hergé ainsi que de la société Moulinsart (qui fait fructifier le magot Tintin). Comme d’hab, Nick The Fric a exigé des monceaux d’euros pour que Tintin daigne s’associer à "Made in Belgium". Nick ta mère !, lui ont consciencieusement répondu les organisateurs.
Mais, au fond, ne s’acharne-t-on pas un peu facilement sur ce brave Nick ? Alors que ce garçon fait tout ce qui est humainement possible pour perpétuer la légende de Hergé, en associant Tintin à une foultitude de produits. J’étais d’ailleurs très surpris de ne pas voir de stand Moulinsart à Batibouw pour la promotion des lunettes de WC Dupond-Dupont, des parpaings Rastapopoulos et des clenches de portes Général Tapioca.
Mais peut-être Nick se rattrapera-t-il au prochain Salon de l’alimentation, avec une nouvelle collection de produits estampillés Tintin : les fish-sticks Capitaine Haddock, les casseroles à pression Castafiore et l’huile Tournesol. On verra. Pour ce qui nous occupe, laissons-lui le bénéfice du doute. Pour une fois, une seule, Nick n’était-il pas désintéressé ? N’a-t-il pas voulu déclencher un sursaut créatif chez les concepteurs de l’expo, qui allaient bêtement exposer la fusée d’On a marché sur la lune ? Peut-être que Nick adore notre surréalisme belge (si il sait ce que c’est). Peut-être aurait-il aimé que les organisateurs unissent Tintin et Magritte (si il sait qui c’est) dans un même élan artistique, en installant un immense tableau blanc intitulé "Ceci n’est pas Tintin". No, vous pensez que ce n’est pas possible ? Tant pis. Mais je pense subitement à un truc. Dans cette chronique, j’aurai écrit neuf fois le nom de "Tintin". N’est-ce pas de l’extorsion de fonds ? Je veux dire : écrire "Tintin" sans payer Nick Rodwell, c’est permis ? Et appeler son chien Milou, ça se paye ? Et pour jurer comme Haddock, on lui doit quelque chose, à Nick ?
(par Patrick Albray)
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