Plein de choses à dire au sujet d’Angoulême.
Au départ, il ne s’agissait que d’une réponse un peu nerveuse en réaction aux messages provoqués par le billet d’Erik Arnoux. Avec la proposition de Didier Pasamonik d’en faire une tribune (et après relecture), il me semble plus opportun de réagir plus globalement.
En fait, il me semble que ce billet est qu’une nouvelle traduction du malaise ambiant dans la profession. Les auteurs (j’en fais partie) ont des conditions de travail difficile. Du coup, ils y vont tous de leur « coup de sang » (celui d’Erik Arnoux est plutôt sensé et poli) mais chacun râle que de son côté plutôt de se regrouper et d’agir.
Attention, je ne veux en aucun cas être donneur de leçon. Je pratique, moi aussi, la révolution sur canapé. Mais il est peut-être temps que cela change. Car, si tout le monde arrivait à vivre confortablement de son « art », y aurait-il encore quelqu’un pour râler de la gratuité d’un déplacement dans l’un des plus grands festivals du monde ?
Que reproche-t-on vraiment au festival d’Angoulême ?
Erik a bien traduit un malaise déjà évoqué depuis plusieurs années qui se résume par une question : Qui gagne de l’argent pendant le festival ?
- Les auteurs ? Sûrement pas. Nous venons gratuitement (comme Erik le dit fort bien en plus des trois ou quatre jours sur place il faut compter le double pour se remettre au boulot).
- Les éditeurs ? J’en doute de plus en plus. Ils sont tout de même la vache à lait du festival. Ils paient leur stand ainsi que le miam-miam et le logis des auteurs et tous les autres frais... C’est quand même l’un des rares festivals où toutes ces charges leur reviennent, non ?
Quand on voit en plus les subventions et aides diverses (la Ville, la Région, le Ministère de la culture…) ainsi que les sponsors, on se demande encore plus pourquoi les entrées ne sont-elles pas gratuites ? Si je n’avais pas mon pass et quelques invitations, je ne pourrais pas me permettre de venir en famille. C’est pour moi la première des hontes.
Là, plutôt que de ne pas venir de façon isolée, j’aimerais que tous ensemble nous puissions faire réfléchir les organisateurs pour que le festival réponde plus aux attentes des auteurs (avec la menace sérieuse de ne plus venir s’ils s’entêtaient à ne pas prendre en compte nos demandes).
Maintenant, il y a quelque chose qui me choque dans les interventions du forum (suite au billet d’Erik Arnoux). Je ne sais pas chez quels éditeurs sont les intervenants mais cela m’embête de laisser dire que les auteurs sont enchaînés à leur table de dédicace.
En plus de dix ans de festival, et en passant chez pas mal d’éditeurs, je n’ai jamais fait du non-stop. Que ça soit chez Ankama, Glénat (Vents d’Ouest,Drugstore), Casterman ou Soleil, il existe des plages horaires de dédicaces. Si je compare avec mes petits camarades, je peux rajouter : Dupuis, Lombard, Dargaud et Delcourt dans la liste. Je dédicace en moyenne 4h par jour et cela aussi parce que je suis chez plusieurs éditeurs (bien moins que dans n’importe quel salon). Il me semble d’ailleurs que l’éditeur tyrannique qui oblige à faire 8h d’affilée sans clope, ni pause pipi, soit plutôt l’exception. Et si, par aventure, il vous arrivait de tomber sur ce mauvais éditeur, vous avez le droit de dire "stop" ! Avoir du caractère n’a jamais fait de mal à personne !
Puisque j’en suis rendu là, je réfute aussi le terme "d’abattage". Étant donné qu’il y a des plannings de dédicaces, les files ont une fin (pour les plus connus d’entre nous, l’éditeur donnera des numéros – donc un nombre de places limitées). Bien sûr, comme partout, on peut regretter le peu de conversation de nos lecteurs (mais pas plus qu’ailleurs ; on trouvera toujours le temps de parler avec le lecteur qui n’est pas que chasseur de dédicace). Le seul point positif étant que même si on n’est pas reconnu comme un gros vendeur, on arrive à avoir assez de gens pour ne pas s’ennuyer, et je peux vous dire que je préfère accélérer sur une dédicace plutôt que de n’en faire que trois par jour !
Alors pourquoi les auteurs veulent-ils venir à Angoulême ?
Erik Arnoux parle de "fausse récompense" et je pense qu’il a en partie raison. Ce qui est sûr, c’est que l’auteur qui n’est pas invité le prend comme une vraie punition !
Je crois que chacun d’entre nous a envie de venir en espérant avoir des contacts que cela soit pour la promotion de notre album avec des journalistes et des libraires, ou des contacts avec d’autres éditeurs qui nous auraient remarqué, voire avec d’autres auteurs en vue d’une collaboration à venir.
Auteur de BD, c’est un boulot isolé. On est en face de sa page - planche – ordinateur toute la journée. Les festivals restent un moment privilégié pour les rencontres de toute sorte. N’oublions pas non plus que c’est l’un des rares festivals où les éditeurs sont présents.
Pour ma part, je me souviens très bien ce que je dois professionnellement à mes venues passées : Un éditeur m’a proposé un boulot de commande qui me serait forcément passé sous le nez si je n’avais pas été là ; j’ai rencontré plusieurs de mes futurs collaborateurs ; j’ai eu des contacts avec des éditeurs étrangers qui m’ont permis de signer dans d’autres pays que la France...
Je m’y suis fait aussi plusieurs copains, pour ne pas dire amis (un organisateur de festival, un petit éditeur et deux dessinateurs). Et rien que pour cette dernière raison, j’y retournerai.
Bref. En résumé : Oui, il y a de l’abus. Mais puisque le festival n’est rien sans les auteurs, c’est à nous de prendre les choses en main. Oui, les éditeurs pourraient de temps en temps changer de crèmerie et nous emmener dans un bon restau de la ville (ce n’est pas ce qui manque) plutôt qu’au Mercure (qui ceci dit est bien meilleur que la plupart des restaurants de petits festivals ou encore pire la bouffe d’avant dédicace à la Fnac).
Mais ne sabordons pas l’une des seules manifestations qui fait parler de notre profession au-delà de nos chers sites spécialisés. Je suis d’accord qu’il y a quelque chose d’énervant à ce que les médias généralistes ne parlent de BD qu’une semaine par an. Ce n’est pas la peine de leur donner raison en montrant notre vision individualiste de notre profession. Si nous voulons être pris au sérieux, il va falloir commencer par le devenir !
Oh, bien sûr, il y a plusieurs festivals par semaine sur toute la France. Mais aucun n’a les retombées médiatiques d’Angoulême. Nous qui ne sommes pas fichus de peser de tout notre poids pour avoir une émission BD sur France Télévisions, ne nous mettons pas une balle dans le pied. Certains me diront que le FIBD sent le sapin depuis plusieurs années. Ce n’est pas vrai. Il ne s’agit que de guéguerres internes (trop de fric en jeu). Le festival est bien trop important pour la profession, la ville et la région pour qu’il ne disparaisse.
D’ailleurs, avec tout ça, j’en oublie peut-être le plus important : Ce qui fait que le FIBD est différent de tous les autres festivals (outre son ampleur), c’est l’ouverture sur le monde de la BD. Cette année on parle de BD venant d’Espagne, de Suède ou de Taïwan… Et pour ça aussi, on se déplace de partout pour le voir.
Voilà. Je trouve dommage de ne pas pouvoir croiser Erik Arnoux cette année. c’est un type que j’aime bien (franc, droit dans ses bottes) et avec qui il ne me déplaît jamais de parler. Bon festival quand même et au plaisir de vous y voir.
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PS :
Par mesure de courtoisie, puisque j’avance à visage découvert, ce serait bien, chers intervenants, de ne pas vous cacher dans l’anonymat. Vous avez peur de quoi les gars ? Que l’on vous grille dans les allées surchauffées des bulles ? Qu’on se gausse de vous en disant « tiens voilà untel qui crache sur le festival et qui est quand même là » ? Ce n’est pas en restant anonyme qu’on pourra se défendre et de rendre notre profession plus vivable... Si tel est vraiment votre but.
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