« Romans graphiques », le vocable sonne aujourd’hui comme une évidence mais il a une historiographie très disputée, comme nous vous le rappelions dans notre article Sur les traces du Graphic Novel (Nov.2007).
Dans le film de Ron Mann, Comic Book Confidential (2004), le grand dessinateur américain Will Eisner expliquait les circonstances de la publication de Un Pacte avec Dieu (éditions Delcourt), le premier « Graphic Novel » historique : Il appelle un éditeur new-yorkais de ses amis, un personnage important dont le temps est compté. Il lui parle de ce « Graphic Novel » qu’il vient de créer et pour lequel il cherche un éditeur. « Graphic Novel » ? Oh, oh, ça m’intéresse ! lui répond l’éditeur. Passe me voir ! ». Arrivé chez son lui, Eisner lui montre les pages et là, déception, notre tycoon de l’édition lui dit : « Mais Will, enfin, ce que tu me montres là, c’est un comic book ! »
Avec cette anecdote, tout est dit sur le malentendu suscité par la traduction du vocable anglais : « roman graphique ». Je me souviens de Jean-Louis Gauthey, le vraiment trop sympathique éditeur de Cornélius, essayant de me coincer aux Universités d’été d’Angoulême sur la définition du mot. Comme je lui opposais ce qui à mon sens est la seule définition qui vaille : son usage commercial, à savoir une bande dessinée qui « singe » une forme de livre pour mieux se retrouver à côté des romans et des essais, et pas des bandes dessinées, il avait eu le bec dans l’eau…
Dans l’ouvrage de Ghosn, le malentendu est assumé puisque se retrouve dans son choix aussi bien le Ayako de Tezuka, que La Ballade de la Mer salée de Pratt, La Tétralogie du monstre de Bilal ou La Comète de Carthage de Chaland et Yann… Évidemment qu’on y retrouve Joann Sfar, Marjane Satrapi, Emmanuel Guibert, Jean-Christophe Menu, Marko Turunen, Ben Katchor ou Adian Tomine… C’est un choix subjectif, sous une jolie couverture de Blexbolex, mais sans faux pas et qui promet de belles heures de lecture.
C’est pourquoi nous ne ferons pas l’injure de rétorquer à son rédacteur : « Mais Joseph, enfin, ce que tu me montres là, c’est une bande dessinée d’auteur ! »
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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